Le secteur des séjours de Vacances Adaptées Organisées (VAO) est fragilisé, clamait en mai dernier le Conseil National des Loisirs et du Tourisme Adaptés (CNLTA) en publiant un livre adapté en forme de plaidoyer. Mais à qui la faute ? A une réglementation contraignante, à l’inflation, aux difficultés de recrutement d’animateurs, ou à quelques entreprises qui font n’importe quoi ? Parce qu’on en est là en cette fin de saison estivale marquée par le décès de quatre vacanciers, et de la propriétaire, dans l’incendie d’un gîte de groupe, et la fermeture par arrêté préfectoral d’au moins trois séjours. Auxquels s’ajoutent les onze morts dans l’incendie du gîte clandestin de Wintzenheim (Haut-Rhin) le 9 août 2023, et d’autres fermetures administratives de séjours lors desquels la sécurité des vacanciers était mise en cause.

Drame et fermetures administratives

En Charente, le gîte de groupe Chez Gros Jean accueillant 8 personnes handicapées mentales a brûlé au petit matin au 28 juillet, entrainant le décès de la moitié des vacanciers et de la propriétaire venue les secourir.

Le gîte Chez Gros Jean à Montmoreau avant l'incendie

Le séjour organisé par l’Union Française des Centres de Vacances semblait conforme à la réglementation, sauf que le gîte était aux normes habitation puisque d’une capacité inférieure à 16 occupants. Et il était installé dans un ancien corps de ferme, un bâtiment aux murs de pierre percés de quelques fenestrons, sans fenêtre ni issue de secours alors que la charpente apparente était en bois, ainsi que des aménagements intérieurs. Tout comme le gîte de groupe non déclaré de Wintzenheim (Haut-Rhin). En moins de deux ans, seize personnes ont trouvé la mort dans des gîtes de vacances aux structures en bois, échappant tous les deux à la réglementation sécurité incendie régissant les Établissements Recevant du Public (ERP).

Le gîte de Brouvelieures communique sur une capacité de 30 personnes

Dans les Vosges, ce sont deux séjours qui ont été fermés par arrêté de la préfète pour d’importantes non-conformités. Le premier le 17 juillet, organisé à Brouvelieures par Destinations Voyages Adaptés dans un gîte pour 30 personnes mais sans conformité à la réglementation ERP pourtant obligatoire. La société organisatrice est l’une des filiales d’un groupe dont d’autres ont vendu des séjours défaillants : Oxygène, mise en sommeil depuis, commercialisait le gîte clandestin de Wintzenheim, et Escapades Adaptées le centre de vacances privé de Villamblard (Gironde) également non-conforme en matière de sécurité incendie et dont un séjour VAO a été fermé par le préfet de Gironde en août 2024. Le second séjour fermé au bout de deux jours (sur une durée prévue de quatorze) se déroulait dans un centre familial de vacances à La Bresse, avec un encadrement insuffisant pour satisfaire aux besoins de vacanciers handicapés soumis à moqueries d’enfants, et dans des locaux problématiques en terme d’évacuation par des personnes à mobilité réduite ; il était commercialisé par La Grande Ourse.

Fiche du séjour VAO de La grande ourse à La Bresse

Dans le premier cas, on constate que Destinations Voyages Adaptés ne s’est pas assurée de la conformité sécurité incendie du gîte de groupe, alors qu’elle est tenue de le faire. Cette carence professionnelle vaudrait, pour le moins, une enquête afin d’écarter le risque d’une pratique laxiste puisque cette société fait partie d’un groupe dont deux autres filiales ont vendu des séjours « à problèmes » : pour l’un, un incendie faisant onze morts, pour les deux autres la location de locaux non-conformes en matière de sécurité incendie et évacuation. Dans le second cas, c’est le caractère « adapté » qui est mis en cause. L’organisateur, la société La Grande Ourse, a envoyé dans un centre de vacances de La Bresse, avec enfants bruyants, un groupe de personnes dont dix sur seize avaient une faible autonomie, cinq ayant besoin d’aide pour leur hygiène personnelle que la poignée d’animateurs ne pouvait suffire à fournir, dans des locaux difficiles à évacuer par des personnes à mobilité réduite.

Fiche du séjour UFCV organisé à Drancy

En Seine-Saint-Denis, le préfet a fermé le 1er août le séjour de douze personnes dans un gîte comportant dix-neuf couchages tout en n’étant pas déclaré ERP par son propriétaire, et de ce fait sans mise en oeuvre des règles de sécurité incendie. La mission d’inspection a également relevé d’autres manquements graves (évacuation, dispositifs de sécurité, distribution des médicaments, veille de nuit, etc.) lors de ce séjour vendu par l’UFCV, celle là-même qui a organisé le séjour Chez Gros Jean en Charente. Pour le préfet du 93, l’incident est clos : « La préfecture n’a pas émis de signalement auprès du procureur de la République de Bobigny, mais a mis en oeuvre l’ensemble des mesures nécessaires afin de garantir la sécurité des usagers et de veiller au respect, par la structure, de ses obligations relatives à la sécurité et à l’accueil des personnes en situation de handicap. »

Plan d'action gouvernemental sécurité des VAO

À la suite du drame charentais, la ministre chargée des Personnes handicapées, Charlotte Parmentier-Lecocq, « a adressé un courrier aux services déconcentrés (DREETS et DDETS) pour leur rappeler avec force les mesures de sécurité à contrôler dans le cadre des séjours adaptés, précise son cabinet. Il a également été demandé que des contrôles inopinés soient intensifiés sur le terrain, et ce, dès cet été, afin d’assurer une vigilance accrue. » Les organisateurs de séjours ont également été rappelés à « leurs obligations strictes en matière de sécurité, d’encadrement et de conformité des hébergements utilisés. » La ministre avait annoncé mi-juillet un plan d’action en dix mesures, finalisé deux semaines auparavant par la Direction Générale de la Cohésion Sociale, qui « seront consolidées dès cette rentrée par un travail inter-administrations, en lien notamment avec le ministère de l’Intérieur, afin de clarifier les normes applicables (en particulier sur les distinctions ERP/non-ERP) et d’identifier les leviers permettant de sécuriser encore davantage les séjours. » Tout cela sans compromettre « l’accès aux vacances pour des milliers de personnes pour qui les séjours adaptés représentent bien souvent la seule possibilité de partir. » La ministre parviendra-t-elle à ménager la chèvre et le chou ? Sa collègue chargée du Tourisme, Nathalie Delattre, n’a pas répondu à nos questions.

Une administration trop passive…

Arrêté préfectoral du 7 juillet 2023 délivrant un agrément provisoire à la société de VAO Oxygène

Chargés d’agréer les organisateurs et les séjours qu’ils élaborent, les services départementaux de l’État ont été mis hors de cause après l’incendie de Wintzenheim, par l’Administration elle-même : « Les investigations n’ont pas porté sur l’action des préfectures [qui] ne relevaient pas du champ de la lettre de mission », justifie l’Inspection Générale des Affaires Sociales dans son rapport d’enquête de septembre 2023 sur ce drame. Si elle a relevé qu’un agrément provisoire avait été attribué à la SAS Oxygène par arrêté préfectoral du 7 juillet 2023, c’était pour « permettre la tenue effective des séjours malgré l’incomplétude du dossier, et sous réserve d’apporter les pièces manquantes. » Agrément provisoire pas prévu par les textes réglementaires, mais n’ayant eu « aucun impact sur la question de la mise en sécurité des locaux, qui n’est pas prise en compte dans la procédure d’agrément » ajoutait l’IGAS. Elle évacuait ainsi un éventuel lien de causalité entre agrément de complaisance et décès de dix vacanciers et d’un animateur.

Après ce drame, le préfet des Hauts-de-France avait pourtant suspendu puis supprimé, le 23 mai 2024, l’agrément de Destinations Voyages Adaptés, société du même groupe que la SAS Oxygène : « A ce stade, le maintien de l’agrément a été autorisée [le 3 juillet 2024] par la justice administrative et les séjours y compris dans la région font l’objet de contrôles renforcés », informe le cabinet du préfet des Hauts-de-France qui n’a pas fait appel de la décision du Tribunal Administratif de Lille. DVA a pu poursuivre ses activités, et l’un de ses séjours de l’été 2025, celui de Brouvelieures, a été fermé par la préfète des Vosges pour manquement de l’hébergement aux règles de sécurité que l’organisateur est obligé de vérifier. Le directeur de Destinations Vacances Adaptées s’est mis aux abonnés absents : dommage, il aurait pu justifier les critères de choix des lieux d’hébergement et préciser comment il s’était assuré que le gîte de Brouvelières était bien en règle avec la sécurité incendie.

Des organisateurs silencieux

Comme ses concurrentes, cette société profiterait-elle d’une dispersion géographique de clients qui ne se connaissent pas et dont le handicap mental contribue à leur absence d’organisation commune ? Les familles des victimes et des survivants de l’incendie de Wintzenheim ne se sont pas regroupées en association, aucune ne s’est exprimée publiquement ou s’est constituée partie civile afin d’avoir accès au dossier de l’instruction judiciaire dans laquelle seule la propriétaire du gîte et sa société sont mises en examen, confirme le Parquet de Paris.

Incendie de Wintzenheim

L’incendie charentais a toutefois fait réagir dans Ouest-France le 28 juillet le président d’Adultes Enfants Inadaptés Mentaux (AEIM) de Meurthe-et-Moselle, Denis Renaud, dont la structure prenait en charge quatre des vacanciers décédés : « Je suis en colère. Car j’ai l’impression que les leçons n’ont pas été retenues. J’avais alerté la Première ministre Elisabeth Borne et sa ministre en charge du Handicap Fadila Khattabi. Une liste des établissements accueillant des séjours adaptés devait être dressée, la législation changée. Malheureusement, les promesses faites à cette époque n’ont pas été tenues. » Il est bien le seul à plaider pour des règles de sécurité renforcées dans les hébergements de vacances, au niveau de celles exigées dans les établissements médico-sociaux, qualifiant d’« aberration » la distinction ERP ou pas : « Est-ce que les critères du contrôle technique d’une voiture changent en fonction du nombre de passagers ? Un conducteur qui roule seul a-t-il le droit d’avoir des pneus lisses et des freins défectueux ? Les exigences devraient être les mêmes dans les petits ou les grands bâtiments. » Au contact permanent avec des familles de victimes et rescapés, Denis Renaud n’a pas été autorisé par l’AEIM à apporter quelques compléments d’information sur l’attitude de la SAS Oxygène et de sa holding Voyages Adaptés Développement après le drame, leur soutien aux rescapés, aux familles, une éventuelle procédure d’indemnisation amiable…

Page du site web de La Grande Ourse

Vendeur d’un séjour vosgien également fermé par la préfète, le directeur de La Grande Ourse, Benoît Locquet, applique lui aussi la loi du silence : « Nous avons opté pour ne pas commenter cette situation », justifie-t-il avant de refuser d’expliquer les modalités de remboursement du séjour interrompu au bout de deux jours, et l’éventuelle indemnisation amiable des clients concernés. « S’agissant de la Grande Ourse, ajoute la préfecture des Hauts-de-France, le séjour dans les Vosges a été fermé et des vérifications en lien avec l’agrément sont programmées. »

Site web vacances adaptées de l'UFCV

Destinations Voyages Adaptés a également demandé à ses personnels de faire silence, justifie sa directrice pour l’Ile-de-France, qui refuse de préciser si les vacanciers du séjour fermé par décision préfectorale ont été remboursés ou indemnisés. Quand à l’UFCV, son directeur marketing et communication, Gabriel Hubschwerlin, l’a joué circulez y a rien à voir : « Je n’ai pas de réaction particulière à faire, nous avons été transférés donc il n’y a rien a ajouter », a-t-il déclaré à ActuParis au sujet du séjour à Drancy. L’UFCV n’a donc pas répondu à notre demande de précisions, belle unanimité d’opacité d’organisateurs de séjours de vacances adaptées au fonctionnement opaque, qui ne cessent de se tirer des balles dans les pieds, et dont le sort des victimes de leurs agissements semble être la dernière de leurs préoccupations…

Laurent Lejard, septembre 2025.

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