S’il est un enseignement que l’on peut tirer de la 6e Conférence Nationale du Handicap, c’est l’inédite politisation de l’action en direction des personnes handicapées. Comme on pouvait s’y attendre, ce énième rendez-vous triennal laisse un sentiment de répétition tant les mêmes sujets reviennent d’une CNH à l’autre, avec les mêmes constats de carences concernant les thèmes retenus cette fois-ci : éducation, emploi, accessibilité, accompagnement. Pour pallier les lacunes, le Président de la République a annoncé une avalanche de 70 propositions et mesures gardées à ce point secrètes qu’elles n’ont été diffusées aux médias qu’une heure après le discours les annonçant au Palais de l’Élysée : objectif atteint, faute de pouvoir détailler, c’est le bloc des 70 mesures qui a fait les titres des journaux, peu importe que plus de la moitié soient des redites.

C’est ce secret entretenu jusqu’au bout qui a irrité des dirigeants d’associations de personnes handicapées rassemblées au sein du Collectif Handicaps. Ils ont dénoncé l’absence d’une réelle concertation puisque malgré les multiples échanges et réunions avec les ministères, ils n’ont pas été associés ni même seulement informés des arbitrages, c’est-à-dire des décisions et mesures retenues. Comme si le Gouvernement leur lançait « On vous consulte mais on décide seul » tout en affirmant publiquement que la politique du handicap est coconstruite. Cela s’est traduit par la décision du Collectif Handicaps de ne pas participer à la grand-messe élyséenne de la CNH, faute d’obtenir le droit d’intervenir avant le discours du Président de la République. Président qui s’est également abstenu de convier des représentants d’associations activistes et collectifs militants de personnes handicapées, organisations également exclues de participation au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH). Dans le milieu du handicap, on n’est pas vraiment démocrate…

Briser le front du refus

Le Collectif Handicaps survivra-t-il à cette 6e CNH ? La majorité de ses 52 associations membres avait décidé de boycotter l’événement mais des minoritaires n’ont pas respecté cette décision et sont allés à l’Élysée. Dont la présidente de l’APF France Handicap, Pascale Ribes, justifiant sa présence au premier rang : « On avait posé trois conditions, elles ont été levées par le Gouvernement. Mais il y a eu du maximalisme. » Ce dont Madame Ribes n’a pas fait preuve en ouverture de la seconde table-ronde avec des propos très policés, alors qu’elle avait envoyé ses adhérents manifester devant des préfectures pour mettre l’Etat « #Au pied du mur. » Un grand écart entre résistance et collaboration bien éloigné de l’image militante que son organisation veut toujours mettre en avant.

Présent également à l’Elysée, le président de l’APAJH, Jean-Louis Garcia, dont la Fédération affiche sa satisfaction dans un communiqué : « C’est une impulsion forte qui a été donnée par Emmanuel Macron et son gouvernement le 26 avril ; une impulsion qui convient à la Fédération APAJH et dans laquelle nous nous engageons. » Particulièrement critique et presque contestataire durant le premier quinquennat Macron (Monsieur Garcia a maintes fois fustigé « l’autosatisfaction permanente, c’est insupportable »), cette organisation se range désormais sous la bannière Macron 2. Mais la palme revient à la Fédération Générale des PEP qui encense « des annonces ambitieuses pour une société plus inclusive ! » Un ralliement total parfaitement logique dès que l’on sait que cette Fédération est présidée par l’ancienne ministre socialiste Dominique Gillot qui faisait partie de l’équipe de campagne pour la réélection d’Emmanuel Macron : elle a co-rédigé son programme avec la collaboration du vice-président de l’APF France Handicap, Alain Rochon.

On ressort donc de cette 6e CNH avec le constat d’une fracture du milieu des associations nationales : au Collectif Handicaps, on ne joue pas collectif.

Laurent Lejard, mai 2023.

PS : organiser la Conférence Nationale du Handicap au siège de la Présidence de la République, monument inaccessible sans aide, est invraisemblable mais pourtant devenu une habitude pour contrôler la parole et museler les contradictions. Sa salle des fêtes est équipée d’un seul WC accessible et mal adapté duquel on a pu voir sortir la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castera : « J’ai l’habitude d’aller là quand je viens au Conseil des ministres », s’est-elle justifiée face aux participants handicapés attendant que la ministre ancienne sportive de haut-niveau finisse son affaire, n’ayant pas voulu consentir l’effort de descendre au sous-sol où se trouvent les WC standards...

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