Il n’aura tenu que 45 jours : nommé le 20 mai ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées dans le premier gouvernement dirigé par la technocrate Élisabeth Borne, Damien Abad a été évincé du second nommé le 4 juillet. La faute, semble-t-il, en incombe aux accusations de viols portées publiquement contre lui par plusieurs femmes pour des faits datant du début des années 2010. Confronté à ces accusations, le nouveau ministre avait invoqué la lourdeur de son handicap physique pour affirmer le 23 mai son incapacité à violer : « Je suis contraint aujourd’hui de préciser que, dans ma situation, l’acte sexuel ne peut survenir qu’avec l’assistance et la bienveillance de ma partenaire. Qu’il ne m’est nullement possible d’imposer telle ou telle pratique, tel ou tel geste. » Mais se désignant lui-même comme homme handicapé, Damien Abad a quitté sans en avoir conscience la caste des politiciens et professionnels de la politique, composée d’êtres physiquement standards. Dès cet instant, il n’était plus le député travailleur qui dirigeait le principal groupe parlementaire d’opposition (Les Républicains) au Président de la République et à ses gouvernements jusqu’en avril 2022 pour rejoindre en mai ce camp politique par opportunité (ou opportunisme), mais un homme handicapé.

Parce qu’on ne peut expliquer autrement l’éviction de Monsieur Abad. Deux plaintes contre lui ont été classées sans suite par le Procureur, comme cela se pratique habituellement pour 80% des plaintes pour viol. Une troisième plainte fait l’objet d’une enquête préliminaire mais ce type d’action judiciaire n’empêche pas d’ordinaire de poursuivre une fonction ministérielle. D’ailleurs, trois ministres du précédent gouvernement Castex, sous enquête ou mis en examen, ont été reconduits dans le premier puis le second gouvernement Borne : Olivier Dussopt (Travail et insertion) sous enquête pour corruption et prise illégale d’intérêts, Eric Dupond-Moretti (Justice…) traduit en Cour de Justice de la République pour prise illégale d’intérêts, Gérald Darmanin (Intérieur) qui vient d’obtenir un non-lieu d’accusation de viol. Et n’oublions pas le vétéran François Bayrou, nommé Haut-Commissaire au plan malgré une mise en examen pour complicité de détournement de fonds publics. Mis en examen ou sous enquête, ces quatre ministres (et assimilés) valides ont été maintenus en fonction.

Et que dire de Chrysoula Zacharopoulou, nommée le 20 mai secrétaire d’État au Développement et à la Francophonie ? Dès son entrée au Gouvernement, elle a été accusée de viol dans le cadre de son exercice professionnel de gynécologue où elle travaillait dans un service hospitalier dont le chef de service est également accusé de viols et de violences gynécologiques par 28 patientes ! La situation judiciaire de Madame Zacharopoulou est identique à celle de Monsieur Abad, une enquête préliminaire : la première, valide, reste au Gouvernement, le second, handicapé, en est éjecté le 4 juillet.

Au-delà des faits reprochés à Damien Abad, il apparaît évident que l’aveu public de ses incapacités lui a davantage valu l’éviction politique que les faits qui lui sont reprochés, l’exigence d’une exemplarité ministérielle n’existant plus depuis longtemps. Sa carrière en sera durablement affectée, malgré sa réélection à l’Assemblée Nationale où il vient de retrouver son siège. Sans ami ni soutien puisqu’il a changé de camp tout en embarrassant le groupe de la majorité présidentielle (Renaissance) qu’il a rejoint, il est désormais un homme seul… et handicapé.

Laurent Lejard, août 2022.

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