Le nombre de missions et rapports émanant de l’administration de l’État proposant de laminer voire supprimer l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) ne se compte plus. Dernier en date, celui de la Cour des Comptes publié le 25 novembre dernier recommande au Gouvernement de resserrer davantage encore le barème médical assorti d’une contre-visite obligatoire, conditionner l’attribution à l’employabilité et une prise en charge médico-sociale, donner à l’État le pouvoir de décision, instaurer un contrôle strict des bénéficiaires, sanctionner les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) qui ne respecteraient pas ces diktats. L’État finance l’intégralité de l’AAH et doit de ce fait décider qui doit la toucher. Dans un régime ultralibéral on sait ce que cela veut dire : moins d’argent pour les plus pauvres afin d’enrichir les plus riches en abaissant leurs impôts.

Bien évidemment, les magistrats de la rue Cambon se désintéressent des conséquences de leurs propositions et évacuent les vraies raisons qui font que le nombre d’allocataires augmente constamment : faibles perspectives d’insertion professionnelle alliées à la réduction de l’accessibilité du cadre bâti et des transports résultant de la réforme par l’ordonnance du 26 septembre 2014, fabrication constante de handicaps dans la vie professionnelle et quotidienne faute de prévention suffisante, grandes difficultés d’accès aux études qualifiantes (sur les 2,7 millions d’étudiants en France, seulement 30.000 sont reconnus handicapés). Pourtant, ce sont les plus défavorisés que vise la Cour des Comptes, les invalides à moins de 80% qui perçoivent l’AAH pour restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi. Le nombre d’allocataires de cette « AAH-2 » a doublé en dix ans : cela énerve nos hauts-fonctionnaires qui voudraient faire fondre cette catégorie en lui opposant davantage de contraintes.

Tout n’est pourtant pas à jeter dans ce rapport, notamment quand il constate que les MDPH sont devenues des machines à enregistrer des dossiers et industrialiser des décisions : il en est rendu 1.100 par réunion de commission décisionnaire, ce qui correspond à l’acceptation de ce qui a été instruit par des équipes pluridisciplinaires fréquemment composées d’un seul agent. De plus, les médecins se faisant rares, ce sont fréquemment les employés qui décident en fonction du certificat médical. Pour résumer, les MDPH ont hérité des faiblesses des COTOREP : personnels administratifs insuffisants, pénurie de médecins, décisions à la chaine sans recevoir les demandeurs. Tout le contraire des volontés du législateur de 2005 quand il a créé des MDPH aux missions élargies. Mais dans la mise en oeuvre, l’État a limité les moyens financiers et en personnels au strict nécessaire pour prendre des décisions sur des dossiers administratifs, l’esprit de la loi du 11 février 2005 a rapidement été évacué comme l’expliquait en décembre 2017 la présidente de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, Marie-Anne Montchamp : « On a une espèce de fichu plafond de verre, et très épais. Pour arriver à s’arracher d’une espèce de déterminisme sociétal, social, organisationnel et administratif, il y a quelque chose qu’il faut dynamiter, faire céder, parce que le système s’est mis en mode reproduction. Il a oublié, perdu de vue une partie du sens que le législateur avait porté dans les textes. » Et que les magistrats de la Cour des Comptes refusent de voir.

Laurent Lejard, décembre 2019.

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