Depuis janvier 2018, la dépénalisation du stationnement payant a fait de nombreuses victimes parmi les usagers titulaires d’une carte européenne de stationnement (CES) ou mobilité inclusion stationnement (CMI-S). La faute incombe à l’autonomie totale laissée aux municipalités et communautés de communes dans la réglementation et le recouvrement du paiement du stationnement payant. Quelques-unes ont été sensibles aux arguments d’une société qui vend (très cher) des véhicules de contrôle automatique par lecture des plaques d’immatriculation. Si Paris ne s’en sert, théoriquement, que pour signaler aux agents assermentés des « gisements » d’infraction, d’autres villes telle Marseille les utilisent pour automatiser la sanction en dressant un forfait post-stationnement (FPS). Bien que le procédé marseillais, outre qu’il impose des formalités incompatibles avec les handicaps donnant droit aux cartes de stationnement, soit contraire à la législation, il a été salué par la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel (lire l’actualité du 11 décembre 2018) et validé par l’APF France Handicap !

Mais absolument pas remis en cause par les sénateurs Thierry Carcenac (Socialiste, Tarn) et Claude Nougein (Les Républicains, Corrèze) dans un rapport d’information qui vient d’être rendu public par la commission des finances du Sénat. Ils ont constaté que de nombreux usagers handicapés avaient été sanctionnés d’un FPS du fait de contrôles automatisés sans vérification de la présence d’une carte, ou d’agents assermentés qui faisaient du zèle : « En effet, même si le stationnement est gratuit pour les personnes à mobilité réduite, toutes les collectivités territoriales ne respectent pas cette disposition, soit parce que leurs agents sont mal informés, soit parce que la carte n’était pas visible lors du contrôle ou encore parce qu’elles préfèrent sanctionner automatiquement, quitte à revenir après sur leur décision, que laisser place à un abus et perdre des recettes. » Cette pratique a d’ailleurs été dénoncée l’hiver dernier à Perpignan et Metz. La vérification des cartes de stationnement est la compétence exclusive des policiers et gendarmes mais cela n’arrête pas des roitelets locaux qui veulent que les gueux passent à la caisse, même avec des procédures illégales qui pourrissent la vie des citoyens handicapés. Et à six mois des élections municipales, on ne va pas contrarier ces petits potentats qui font leur loi.

Si nos deux sénateurs ont bien cerné le problème, ils ne proposent comme solution que d’exempter (après modification de la loi) les usagers handicapés de payer le FPS pour avoir le droit de faire un recours : « Il semble paradoxal, voire ubuesque, que des personnes bénéficiant de la gratuité du stationnement dussent payer le forfait majoré pour défendre ce droit à la gratuité. » On ne saurait mieux dire : ubuesque est d’autant plus le bon mot que la Commission du Contentieux du Stationnement Payant (CCSP), qui croule sous des recours qu’elle met plus d’un an à traiter, édicte ses propres exigences comme le relèvent les sénateurs : « Pour tenter de limiter les abus, la CCSP a estimé dans une décision du 21 janvier 2019 qu’un ‘requérant invoquant l’exonération de la redevance de stationnement instituée au profit des personnes handicapées et produisant à cet effet la copie de la carte européenne de stationnement émise au bénéfice d’un tiers, sans faire état de circonstances justifiant l’utilisation de ladite carte dans l’intérêt de cette tierce personne, encourt une amende pour recours abusif ». Dans cette affaire, la réclamante a été condamnée à payer une amende de 150€ en plus du FPS qu’elle contestait ! Par conséquent, être transporté par un parent, un ami, un covoitureur oblige ceux-ci à expliquer, sous peine d’amende, qu’ils ont véhiculé un usager handicapé : belle entorse au respect de la vie privée !

On le voit bien, le piétinement du droit à la gratuité du stationnement est désormais admis par la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité, des associations dont l’APF France Handicap, le ministère de l’Intérieur et celui chargé des Collectivités territoriales, la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées au profit de quelques grandes villes françaises. Cela augure mal du déploiement du contrôle automatique des véhicules entrant dans les Zones à Faibles Emissions de polluants qui est inscrit dans le projet de loi d’orientation des mobilités en fin d’examen au Parlement. Ce dispositif, outre sa complexité toute technocratique, va obliger les usagers handicapés à s’identifier sur des bases de données, des applis mobiles et autres outils, sous peine de sanction financière alors qu’ils dérogent de plein droit aux interdictions faites aux véhicules polluants. Vivre en ville ou s’y déplacer va devenir un véritable sacerdoce…

Laurent Lejard, septembre 2019.

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