Début janvier, l’alerte était lancée : des usagers handicapés du stationnement urbain risquaient d’être victimes de la décentralisation avec dépénalisation du stationnement payant. En cause, le contrôle automatique par des véhicules équipés d’un système de Lecture Automatique de Plaques d’immatriculation (LAPI), présentés dans ce Flop. Et des municipalités qui font un peu n’importe quoi.

Des sauvageons assermentés à Paris

Streeteo, filiale du gestionnaire de parking Indigo elle-même filiale du gigantesque groupe de construction Vinci, affirme que les LAPI ne servent à Paris qu’au pré-contrôle. Mais si l’établissement des Forfaits Post-Stationnement (FPS) est effectué par des agents à pied, cela ne les empêche pas de redresser des usagers handicapés comme le rapporte dans le Figaro Jean-Yves Pinet, adjoint au maire à la sécurité dans le 15e arrondissement : « En quelques jours, j’ai reçu de nombreuses personnes qui avaient été verbalisées sans raison. Des handicapés, qui ont pourtant le droit de se garer n’importe où, et des gens qui avaient bien payé pour leur stationnement. » Même constat dans Le Parisien, et c’est là le moindre problème : deux agents assermentés de la société Streeteo ont été interpellés par des policiers, comme le révèle Unsa Police, qui les ont contrôlés positifs… au cannabis ! Et l’un des deux roulait sans permis, en usurpant l’identité d’un tiers. Indigo, maison-mère de Streeteo dont les coordonnées téléphoniques ou mél sont confidentielles, refuse désormais de répondre aux questions des journalistes.

Autre société contrôleuse à Paris et également dans une dizaine d’autres villes, Moovia affirme respecter les lois en utilisant sa LAPI parisienne pour effectuer un pré-contrôle et en formant correctement ses personnels : « Les agents ont suivi 140 heures de formation, précise sa porte-parole. Dès le début des contrôles les consignes étaient précises sur les personnes titulaires d’une carte PMR CIG GIC et encore aujourd’hui les agents de Moovia ne contrôlent pas ces véhicules. Il y a eu malheureusement des erreurs de lecture mais les agents sont sensibilisés sur le sujet. » Passons sur la mention approximative « carte PMR CIG GIC » et espérons que les agents assermentés Moovia connaissent les cartes en cours de validité, et se servent de leurs yeux pour vérifier la présence d’une carte de stationnement valide.

Effia toute en rigueur

Filiale de la SNCF spécialisée dans les parkings en gares, Effia est devenue un acteur majeur du stationnement payant en voirie et travaille en délégation de service public pour quelques communes. « On utilise des véhicules Lapi à Sceaux (Hauts-de-Seine), à Béziers (Hérault), à Vincennes (Val-de-Marne) à partir d’avril, explique sa porte-parole. Ils assurent un pré-contrôle : si un véhicule est en défaut de paiement ou sa plaque non enregistrée, l’information est transmise sur un terminal portable à un Agent de Contrôle du Stationnement (ACS) qui vérifie et est obligé de faire le tour du véhicule, et de photographier le pare-brise, puis il établit le FPS. Si une personne handicapée reçoit un FPS, l’équipe qui traite les Recours Administratifs Préalables Obligatoires vérifiera la présence du macaron sur la photo du pare-brise, et sa validité. Si l’agent a pris la photo mais n’a pas vu le macaron, on adresse des excuses. » Les personnels ont été formés, affirme Effia, et les victimes d’erreur pourront toujours demander une indemnisation pour les frais engagés, le temps passé et le stress; comme cela n’est pas prévu par la réglementation, il y a fort à parier qu’une telle indemnisation tiendra de l’exception. Cliente d’Effia, la ville de Béziers confirme : le véhicule LAPI fera du pré-contrôle, l’établissement des FPS étant effectué par les agents assermentés. Autre opérateur en contrôle du stationnement payant, la société Q-park n’utilise pas de LAPI et ses agents assermentés vérifient à pied chaque véhicule.

Montreuil fait sa loi

La ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a créé un « macaron PMR » pour permettre « de stationner en toute tranquillité avec une photocopie de votre carte de stationnement » pouvait-on lire jusqu’au 29 janvier dernier sur la page dédiée au stationnement et dont la copie d’écran figure ci-dessous. Ce macaron spécifiquement montreuillois est à retirer dans l’un des parkings payants de la ville en présentant la carte de stationnement et la carte grise de la voiture concernée. « On l’a créé en 2015 pour lutter contre la fraude, précise Medy Sejai, Directeur de l’Espace public et de la Mobilité à la Mairie de Montreuil. On délivre autant de macarons que nécessaire à la personne, qui peut être transportée dans plusieurs véhicules. » Mais pourquoi ce macaron doit-il être apposé derrière le pare-brise à côté d’une photocopie de la carte de stationnement ? « On nous a dit qu’il était possible de n’utiliser qu’une copie, pour éviter de se faire voler l’original. » Medy Sejai est tout surpris d’apprendre que l’usage d’une photocopie constitue une contrefaçon et un délit passible de cinq ans d’emprisonnement plus 75.000€ d’amende !

Capture d'écran de l'ancienne page web consacrée au stationnement à Montreuil.

Côté stationnement payant, Montreuil découpe son territoire en deux zones, verte et rouge. Dans la première, le stationnement est gratuit pendant 24 heures pour « les PMR titulaires d’une carte réglementaire et d’un disque de stationnement agréé apposés sur le pare-brise ». Par carte réglementaire il faut comprendre européenne de stationnement ou mobilité-inclusion stationnement, mais pourquoi donc un disque agréé ? S’agit-il du disque Zone bleue qui ne couvre pas 24 heures, ou d’un autre agréé par la ville de Montreuil, et à retirer où ? En Zone rouge, la gratuité est réduite à… 2 heures, inférieure de 10 heures au minimum prévu par la loi du 18 mars 2015 instaurant la gratuité dudit stationnement pour les usagers handicapés. Cette transposition locale de la loi nationale a entre-temps été supprimée par la ville de Montreuil : « Je voulais vous signaler que depuis hier, nous a écrit par courriel Medy Sejai, les informations du site web de la Ville concernant le stationnement ont été mises à jour suite à vos remarques. Nous vous remercions pour votre lecture attentive. » Dont acte.

Mais le contrôle demeure automatisé par LAPI à Montreuil pour réprimer les infractions au stationnement et contrôler le paiement. « La LAPI sert à tout le stationnement, précisait Medy Sejai. Elle scanne les plaques d’immatriculation, le système interroge la base de données pour vérifier si le véhicule est enregistré s’il s’agit d’une PMR. Sinon le système émet une alerte, l’agent vérifie et prend une photo de la voiture stationnée sans sortir de la voiture. » L’agent ne va pas vérifier la présence d’une carte de stationnement; de retour au bureau les Forfaits de Post-Stationnement sont établis. L’exemple montreuillois témoigne des libertés dont sont capables les municipalités.

Déclaration obligatoire à Aubervilliers et Saint-Ouen

Autre commune de Seine-Saint-Denis, Aubervilliers contrôle le stationnement par LAPI et impose aux usagers handicapés un pré-enregistrement : « Pour les personnes titulaires de la carte européenne d’invalidité et les accompagnants (pose de la carte sur le pare-brise du véhicule) le stationnement est gratuit sous réserve de s’être préalablement inscrit sur les registres de la direction prévention sécurité de la ville […] Pour les véhicules non identifiés dans la base de données de la direction prévention sécurité de la ville, obligation de saisir le numéro d’immatriculation à l’horodateur grâce à la touche prévue à cet effet (PMR). » Mais la ville n’est pas en mesure de garantir l’accessibilité de ses horodateurs.

L’information est parcellaire à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) : « Ils se signalent à la police municipale avec leur justificatif et une carte grise », explique la porte-parole de la ville. « Ils », ce sont les usagers handicapés qui doivent deviner cette formalité non mentionnée sur la page Stationnement du site web d’une ville qui respecte ni lois ni devoir d’information de ses concitoyens.

Béthune, Le Mans et Toulouse attendent

La ville de Béthune (Nord) finalisait le déploiement de la LAPI pour la fin du mois de janvier. « C’est par rapport aux places matérialisées pour les handicapés », précisait laconiquement dans un premier temps le chargé de communication de la ville. Après s’être informé auprès des services de la ville, il ajoute que la LAPI est différée le temps de régler « plusieurs dysfonctionnements » et que la société qui commercialise le système trouve une solution nationale.

Situation différente au Mans (Sarthe) : « Le véhicule LAPI n’est pas utilisé pour la gestion du stationnement payant parce qu’il n’est pas programmé comme tel, explique la porte-parole de la ville. Si nous le décidions il le pourrait mais dans cette hypothèse, il ne serait pas utilisé en mode ‘redressement’ par nos agents. La voiture verbalisera directement, elle dressera automatiquement le Forfait Post Stationnement. Comme cette voiture est ‘intelligente’, il nous est possible de programmer des plaques qui seront identifiées et donc non ‘verbalisables’. Pour ce qui concernent les PMR nous demanderons aux conducteurs de venir se déclarer au service [lequel ? NDLR] et pour ceux qui seraient verbalisés, ils feront un RAPO, Recours Administratif Préalable Obligatoire auprès du Maire, preuve à l’appui et nous mettrons fin aux poursuites du FPS. » Là encore, Le Mans n’a pas franchi le pas vers l’illégalité mais pourrait le faire.

La Métropole de Toulouse est plus prudente, elle a consulté les associations de personnes handicapées pendant l’automne 2017. Après divers échanges et une réunion de concertation, le Collectif Inter Associatif Handicap 31 (qui rassemble près d’une trentaine d’organisations) a répondu le 16 janvier dernier au président de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc, par une demande « d’adaptation totale du dispositif aux droits des personnes titulaires des Cartes Européennes de Stationnement ou Cartes Mobilité Inclusion-stationnement ». Il rappelle que le contrôle du stationnement doit s’effectuer dans le respect des lois, et « être conforme aux recommandations de la CNIL sous peine de sanction juridique. » Le CIAH refuse la mise en place de du contrôle LAPI et reste « vigilant sur ce qui sera mis en place » sans fermer la porte à la discussion : « Notre collectif reste bien évidemment disponible pour avancer ensemble sur ce chantier en prenant totalement en compte nos contraintes et en trouvant des moyens vraiment efficaces de lutte contre la fraude au stationnement réservé. » Les autres municipalités auraient dû commencer par là…

Laurent Lejard, février 2018.

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Un commentaire sur “Stationnement payant : l’anarchie

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