La méthode a tellement été employée qu’elle est connue, mais pas encore totalement usée. Le Gouvernement et son administration centrale élaborent une réforme visant à faire d’importantes économies et à déposséder les gens de ce qui les concerne, elle est annoncée sans concertation préalable puis introduite sans préavis par simple amendement dans un texte de loi afin d’éviter un débat contradictoire. C’est la méthode que le gouvernement dirigé par Élisabeth Borne avait appliqué pour remplacer les Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), moins de 6 mois après l’annonce faite lors de la Conférence Nationale du Handicap du 26 avril 2023 de la création de Pôles d’Appui à la Scolarité (PAS) : le projet de loi de finances 2024 avait servi de vecteur législatif, sans concertation préalable, conduisant le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) à rendre un avis défavorable dont il n’a évidement pas été tenu compte. Le Conseil Constitutionnel retoqua logiquement le procédé en censurant fin décembre 2023 l’article de loi concerné.

La Première ministre Élisabeth Borne dont la ligne d’action consistait à faire ce qu’elle voulait sans s’encombrer de discussions préalables avec les personnes et organismes consacrées par ses décisions aussi abruptes qu’autoritaires, avait alors échoué. Toutefois, elle vient de prendre sa revanche au bout de 17 mois de patience : devenue ministre de l’Éducation nationale, elle a mis en oeuvre son procédé chéri pour faire adopter les PAS sans débat préalable en déposant, six heures avant son examen par les députés, un amendement à la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers. Ce texte croupion déposé par des députés de la minorité macroniste ne contenait que des dispositions bureaucratiques insignifiantes se voulant transpartisanes, dissimulant son intérêt majeur : il devait servir de nouveau vecteur législatif pour donner force de loi aux PAS, sans concertation et par surprise. Autre signe du traquenard, le Gouvernement a déclenché la procédure accélérée au moment de l’examen du texte, ce qui veut dire qu’il ne sera examiné qu’une fois par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Et une fois encore, le procédé scélérat a fonctionné, mais de justesse : l’amendement gouvernemental est passé à deux voix près, grâce à la bienveillante abstention des députés Rassemblement National pourtant opposés au texte.

L’enjeu n’en est pas moins particulièrement important pour les plus de 500.000 élèves reconnus handicapés. Les futurs PAS devront en effet leur fournir les personnels d’aide humaine et les équipements nécessaires à leur inclusion dans les établissements ordinaires, l’administration de l’Education nationale étant à la fois décideur et payeur. Elle déterminera « à l’aveugle », lors de chaque rentrée et sans disposer des compétences pluridisciplinaires nécessaires, qui a besoin de ceci ou cela, avec quelles modalités et durées, et fournira ce qu’elle estimera utile. Quand aux Maisons Départementales des Personnes Handicapées, elles seront sollicitées pour les situations dites complexes, en deuxième niveau, ce qui devrait entrainer un retard de plusieurs mois au détriment des enfants et jeunes les plus handicapés. On pourrait croire cette nouvelle organisation plus efficace, mais le risque est grand que l’Education nationale dimensionne la population des élèves ayant besoin d’aides humaines ou techniques aux moyens en personnels et matériels disponibles et prévus au budget.

À en croire Élisabeth Borne, l’expérimentation d’une centaine de PAS dans l’Aisne, l’Eure-et-Loir, la Côte d’Or et le Var est un grand succès : « Là où ils ont été installés, ces pôles d’appui à la scolarité sont unanimement salués. » Ce qu’ont contesté plusieurs députés : « À la suite de l’échec total des Pial, vous créez les PAS, déplorait Jérôme Legavre (La France insoumise). Les organisations représentatives des personnels concernés ont dit qu’ils n’en voulaient pas mais voilà que vous revenez à la charge, en vous appuyant sur une expérimentation que vous décidez de généraliser, sans qu’on sache, d’ailleurs –⁠ et bien que vous veniez d’en faire la promotion –, comment elle se déroule concrètement sur le terrain. » Pour le Rassemblement National, Roger Chudeau rappelait que « les avis sont très partagés : à gauche, on dit que c’est un désastre, mais d’autres, ici, affirment que les échos sont plutôt favorables […] Il s’agit d’une politique publique –⁠ je le disais tout à l’heure ; or une politique publique, ça s’évalue. [Les Pial] n’ont pas non plus été évalués, mais vous voulez les remplacer par les PAS. Cela me paraît encore une fois brouillon et contre-productif. » Ce qu’a également condamné le groupe Écologiste et Social : « Vous passez en force, sans débat, et nous ne pouvons pas faire les déplacements qui nous permettraient de mieux comprendre ses effets, en échangeant avec les acteurs concernés. La mesure n’a fait l’objet d’aucune réflexion collective », déplorait le député Arnaud Bonnet. « Je veux bien vous croire quand vous dites qu’il donne satisfaction, répliquait la socialiste Florence Herouin-Léautey à la ministre, mais j’ai aussi entendu qu’en Eure-et-Loir les PAS n’ont pas fonctionné et que dans les trois autres départements préfigurateurs, l’expérimentation n’a pas été faite partout au même degré ni de manière comparable. » Faute de bilan de leur expérimentation depuis septembre dernier, on n’en sait pas plus. Si la ministre de l’Educ’ Nat’ affirmait lors du débat parlementaire « nous pourrons y revenir dans le cadre de la navette parlementaire, afin de vous fournir toutes les explications que vous demandez sur le fonctionnement des PAS », c’est bien d’une communication à sens unique qu’il s’agit, non d’une concertation : Élisabeth Borne, droite dans ses bottes et ne voulant voir qu’une seule tête : la sienne.

Laurent Lejard, mai 2025.

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