Depuis le 2 janvier, des « sulfateuses à PV » sillonnent les rues de quelques villes françaises. Ces voitures équipées de caméras haute-définition détectent et identifient les plaques d’immatriculation des véhicules pour vérifier si leur conducteur a payé la redevance de stationnement. En cas de manquement, ces machines roulantes peuvent éditer un Forfait de Post-Stationnement (FPS) expédié au domicile du titulaire du certificat d’immatriculation ou de la carte grise. Ce nouveau procédé découle de la dépénalisation du stationnement payant : jusqu’au 31 décembre 2017, ne pas le régler était passible d’une amende de 17€ désormais remplacée par l’obligation d’acquitter un FPS sous peine d’une amende pénale plus élevée. Plus de ticket à placer derrière le pare-brise, mais une appli mobile pour chaque ville et des nouveaux horodateurs informatisés dans lesquels les automobilistes doivent entrer le numéro d’immatriculation du véhicule dont ils acquittent le droit de stationner. Le contrôle est effectué par des terminaux informatiques qui permettent une vérification en temps réel, travail qui peut être délégué à des sociétés privées. Le montant du FPS est fixé par chaque municipalité qui pratique le stationnement payant : 50€ à Paris, 60€ à Lyon, 17€ à Marseille par exemple. Cette réforme ne remet pas en cause la gratuité accordée aux véhicules transportant des personnes handicapées, mais l’édition automatique de FPS piétine allègrement ce droit.

Les voitures équipées de Lecteur Automatique de Plaque d’Immatriculation (LAPI) pour verbalisation assistée par ordinateur sont fournies par l’Agence Française de Sécurisation des Réseaux Routiers (AFS2R) qui, comme son nom ne l’indique pas, est une société commerciale. Son directeur commercial, Michaël Sdika, a déclaré dans le magazine Capital que son système ne remettait pas en cause la gratuité : « Nous avons bien pris en compte cet élément, car les handicapés sont invités à se signaler à la mairie, ou via l’horodateur s’ils sont simplement de passage. » La Commission Nationale de la Communication et des Libertés, qui a publié le 14 novembre dernier des recommandations sur l’usage des LAPI, rappelle toutefois qu’aucun texte n’oblige les usagers handicapés à se faire connaître en mairie ou à introduire un numéro d’immatriculation dans un horodateur. Elle oppose deux arguments : tout d’abord, l’usager peut se prévaloir de la gratuité sur tout le territoire national, ce qui l’obligerait à se signaler dans toutes les communes où il se rendrait ! Ensuite, la carte de stationnement est attachée à la personne et pas à un véhicule, ce qui contraindrait l’usager à renseigner les plaques d’immatriculation des voitures dans lesquelles il serait transporté. Par ailleurs, le législateur a voulu simplifier la vie et les déplacements des personnes handicapées en leur accordant la gratuité du stationnement. Or, se rendre auprès d’un horodateur pour renseigner un numéro d’immatriculation afin de bénéficier de la gratuité fait porter une charge sur la personne handicapée, rappelle la CNIL… si tant est que la personne puisse accéder à cet horodateur. Dans ses recommandations, la CNIL valide l’emploi des LAPI pour repérer les contrevenants mais rappelle que la loi Informatique et Libertés « interdit la prise de décision produisant des effets juridiques sur le seul fondement d’un traitement automatisé. » La verbalisation automatique par LAPI sans constatation par un agent assermenté est donc illégale.

Pourtant, des municipalités ont utilisé des voitures LAPI dès 2017 pour verbaliser. Au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) par exemple, comme le relevait le quotidien Le Parisien le 8 décembre dernier : un habitant handicapé déplorait que son véhicule ait été verbalisé deux fois malgré la présence d’une carte de stationnement (lire plus bas ce qu’en dit le maire). Brest (Finistère) en revanche n’utilise la LAPI que pour repérer les véhicules en stationnement gênant, des agents assermentés devant ensuite se rendre sur place pour verbaliser. Le contrôle du paiement est également effectué par ces agents, la gratuité pour les usagers handicapés est donc respectée. A Paris, la LAPI ne sera utilisée que pour identifier les « gisements » à sanctionner, comprenez les rues dans lesquelles les agents assermentés pourront établir un maximum de FPS, véhicule par véhicule.

Casse-tête exemplaire à Pau

La ville de Pau (Pyrénées-Atlantiques) utilise une LAPI pour verbaliser automatiquement, bien que ce soit illégal, et met en place un dispositif déclaratif pour identifier les titulaires de la carte européenne de stationnement ou Mobilité Inclusion portant la mention « stationnement ». Ces usagers pourront enregistrer, auprès de la mairie, l’utilisation de leur carte pour un seul véhicule, soit via son site web, en joignant un formulaire de déclaration « avec copie de la carte grise du véhicule concerné et copie de sa carte de stationnement, précise une porte-parole de la ville. Chaque dossier est ensuite instruit (vérification date de validité de la carte notamment), et après validation l’immatriculation du véhicule est enregistrée dans notre système pour 2 ans. L’usager n’a alors qu’à signaler à nos services un éventuel changement de véhicule au cours de cette période le cas échéant. » Il est toutefois possible, en cas d’accompagnants multiples récurrents, d’enregistrer d’autres plaques d’immatriculation. Les autres usagers pourront déclarer la plaque d’immatriculation d’un véhicule utilisé pour une journée, ajoute la porte-parole : « Cette déclaration ponctuelle peut se faire directement sur nos horodateurs (en sélectionnant simplement le profil PMR et en saisissant la plaque d’immatriculation du véhicule concerné), mais également depuis un smartphone à partir d’un compte Woosh! (là aussi en choisissant le profil PMR, l’usager active le début/fin de période du stationnement à chaque fois que nécessaire). »

Ces formalités ont été validées par la Maison Départementale des Personnes Handicapées des Pyrénées-Atlantiques et la commission intercommunale Accessibilité : « Chaque présentation a reçu un avis favorable, ces instances voyant également dans ce système de déclaration auprès de la Direction Prévention et Sécurité Publique de la Ville de Pau le moyen de lutter contre la fraude aux fausses cartes ». Et gare aux petits malins qui seraient tentés d’identifier leur numéro d’immatriculation avec profil PMR : « Il convient néanmoins d’exercer un contrôle de la présence d’une carte valide afin de lutter contre l’usage du véhicule par un tiers sans paiement ou les fausses déclarations de profils PMR aux horodateurs. Une alerte remonte donc dans le véhicule chargé du contrôle à chaque fois qu’il détecte un de ces véhicules, ce qui permet aux agents de contrôler la présence sur le tableau de bord du véhicule d’une carte valide. » Les associations paloises de défense des personnes handicapées ont accepté de faire porter à leurs usagers la charge d’une verbalisation automatique illégale.

Marseille, Saint-Denis et Le Kremlin-Bicêtre s’y mettent aussi !

La seconde ville de France utilise également des LAPI et entend contraindre tous les usagers handicapés à s’identifier, comme l’explique son porte-parole : « Désormais, les agents de contrôle se basent sur la plaque d’immatriculation pour savoir si le véhicule a enregistré son stationnement. C’est pourquoi, à Marseille, les usagers handicapés titulaires de la carte européenne de stationnement ou mobilité-inclusion sont tenus comme tous les autres usagers du stationnement payant de signaler le début de leur stationnement en saisissant l’immatriculation du véhicule sur l’horodateur. Afin de garantir la gratuité du stationnement un bouton ‘PMR’ est installé sur les horodateurs. En appuyant sur ce bouton et en saisissant leur numéro d’immatriculation, ils bénéficient de la gratuité dans la limite de 24 heures sur le même emplacement. » Une procédure de référencement est prévue pour les seuls Marseillais, mais uniquement en se rendant physiquement à l’agence SAGS Marseille de la rue des Frères Barthélemy pour bénéficier d’un « abonnement annuel » gratuit, avec une liste invraisemblable de documents exigés pour les étudiants handicapés. Royale, la SAGS vous fait cadeau des frais de gestion ! Comme à Pau, les agents contrôleurs conduisant la LAPI devront s’assurer que les véhicules référencés stationnent avec une carte en cours de validité.

La ville de Marseille affirme avoir « pris en compte les exigences déclaratives de la CNIL pour mettre en oeuvre son service d’abonnement gratuit pour les personnes handicapées. Ce service n’est en aucun cas obligatoire et constitue une facilité proposée aux PMR habitant Marseille. » Cela veut dire que les usagers qui ne résident pas à Marseille devront systématiquement entrer le numéro d’immatriculation du véhicule dans un horodateur : « Tous les horodateurs bénéficient du même niveau d’équipement (moyens de paiements, informations à l’utilisateur, bouton PMR…) et sont conformes aux normes PMR [sic]. En cas de panne occasionnelle d’un horodateur, les usagers sont invités à se rendre à l’horodateur le plus proche. » Pas d’échappatoire dans cette ville aux nombreuses rues pentues, il faudra s’acquitter de la formalité ou prendre le gros risque de recevoir un FPS à contester selon la procédure. « La Ville de Marseille dispose des informations horodatées sur les indisponibilités d’horodateurs et annulera, le cas échéant, l’avis de paiement », conclut le porte-parole.

Future ville olympique et paralympique, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) impose également aux usagers handicapés d’identifier leur véhicule. « Oui, précise le porte-parole de la ville, les horodateurs ont été placés en des lieux accessibles aux handicapés, la grande majorité se trouve sur des trottoirs ou il n’y a aucune entrave à la circulation des PMR, de plus la communauté des PMR aura bientôt la possibilité par le biais d’un portail-ville de signaler leur présence sur le territoire. » Pendant le premier semestre, l’établissement des FPS ne sera effectué que par des agents « pédestres », mais après place à la verbalisation automatique illégale. « Les horodateurs communiquent avec les [appareils] des agents et la LAPI si la plaque du véhicule est correctement inscrite il ne pourra y avoir d’émission de FPS », conclut le porte-parole de Saint-Denis. Actuellement, le site web de la ville n’informe pas les usagers handicapés de ces dispositions.

Aux portes de Paris également, Le Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) utilise une voiture LAPI depuis septembre 2016 sans que les habitants aient fait remonter de difficultés particulières, affirme le maire, Jean-Marc Nicolle : « La LAPI permet de faire revenir du civisme sur la voirie, pour que les trottoirs soient libres et le code de la route respecté. » Employée pour verbaliser le stationnement gênant, entre autres, cette voiture assure en plus le contrôle du stationnement payant, mais qu’en est-il pour les usagers handicapés ? « C’est assez simple, poursuit le maire. Pour le tarif résident ou la gratuité PMR, il faut s’enregistrer au service ou par voie électronique. On a voulu travailler avec la Maison Départementale des Personnes Handicapées pour qu’elle nous transmette le fichier des titulaires de cartes de stationnement, elle a opposé une fin de non-recevoir. » Les usagers handicapés peuvent-ils s’enregistrer sur un horodateur ? Jean-Marc Nicolle n’en sait rien, de même qu’il ne peut préciser le nombre de contestations formulées par des personnes handicapées sanctionnées indûment. Enfin, il estime que la verbalisation par LAPI est légale puisqu’un agent assermenté assure la validation, même s’il ne sort pas du véhicule pour vérifier la présence d’une carte de stationnement. Le maire oublie toutefois de préciser que le site web de sa ville, à l’instar de Saint-Denis, n’informe pas les usagers handicapés de ces dispositions.

Pau, Marseille, Saint-Denis, Le Kremlin-Bicêtre, et quelles autres villes ? Faudra-t-il que des grands médias ou associations s’émeuvent pour que soit mis un terme à une intolérable attaque contre la loi instaurant sans formalité la gratuité du stationnement ? Ce droit nécessite seulement de placer de manière visible derrière le pare-brise de la voiture une carte européenne de stationnement ou mobilité-inclusion. On attend encore l’expression de la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, peut-être cherche-t-elle ce qu’elle peut penser de cette curieuse inversion de la charge de la loi…

Les usagers handicapés qui recevront un FPS n’auront d’autre possibilité que de le contester au moyen d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai maximum d’un mois suivant la date de notification de l’avis de paiement du FPS. Une formalité coûteuse et contraignante destinée à décourager les réclamations, d’autant qu’en cas de rejet la juridiction d’appel est installée à… Limoges. Son président s’attend à traiter 100.000 procédures d’appel en 2018. Combien d’usagers handicapés subiront-ils la dépénalisation du stationnement ?

Laurent Lejard, janvier 2018.


PS : informé de la publication de cet article, le conseiller national accessibilité & conception universelle de l’Association des Paralysés de France fait savoir qu’il « s’agit d’un sujet que nous allons relayer au député Adrien Taquet, puisqu’il doit remettre un rapport sur la simplification administrative des démarches effectuées par les citoyens en situation de handicap. » On doit en conclure que l’APF trouve normal que les usagers handicapés accomplissent des formalités spécifiques en matière de stationnement automobile…

PS2 : Le directeur général de l’APF demande la publication du droit de réponse ci-dessous :

Droit de réponse APF.
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Un commentaire sur “Nouvelles menaces sur le stationnement

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