Lancé en septembre 2011, le Centre National Relais 114 sera dans quelques mois pleinement accessible aux personnes sourdes s’exprimant en Langue des Signes Française. Ce numéro d’appel est destiné aux personnes sourdes ou malentendantes confrontées à un accident, une agression, un incident de vie ou de santé, pour joindre Police Secours, les pompiers ou le SAMU. Par SMS ou Fax uniquement, ces usagers communiquent avec une plate-forme multimédia qui assure la relation avec les services les plus proches du domicile de l’appelant après avoir apprécié le caractère d’urgence de la situation décrite. Confié à l’unité d’accueil et de soins pour les sourds du Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble (Isère), le CNR 114 finalise actuellement la lente appropriation par ses personnels d’une nouvelle plate-forme intégrant visioconférence et communication en LSF. « Pour ce qui est de la date de lancement de la Conversation Totale, précise son responsable, le docteur Benoit Mongourdin, nous jugeons raisonnable d’attendre la fin des derniers ajustements et tests en cours concernant la sécurisation technique du dispositif, afin de pouvoir annoncer une date d’ouverture au public que nous pourrons tenir, de toutes les manières avant fin 2018. » Ce mode de conversation totale devrait donc être opérationnel trois ans après l’annonce de son lancement, et sept ans après celui du service !

Depuis sa création, le CNR 114 n’a jamais publié de bilan d’activité et les seules informations remontaient à une thèse de médecine portant sur l’activité de 2013. Mais aujourd’hui un rapport de mission de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) permet d’apprécier l’état du service qu’il rend. En 2016, 10.166 prises de contact ont entrainé l’ouverture d’un dossier, mais un tiers seulement concernaient une situation d’urgence, 2.903 exactement soit le double de 2013. Il semble toutefois que l’activité soit stabilisée à une trentaine de dossiers par jour, et la mission IGAS juge que la plate-forme est suffisamment dotée en personnel pour répondre efficacement, même avec l’extension du contact par visioconférence LSF. Elle estime même inutile la création d’un poste de superviseur, sans clairement en expliquer la fonction. Ce superviseur devait, entre autres tâches, contrôler le travail des répondants en mode visioconférence, afin de corriger d’éventuels problèmes. « Les agents ne sont pas suffisamment préparés au traitement d’appels vidéo en voix-texte ou en LSF, estime Sophie Dalle-Nazebi, consultante et sociologue. Notamment dans le cas de surcharge d’appels et avec une diversité des profils d’appelants, enfants, personnes sourdes âgées ou blessées, appelant de nuit ou ayant aussi d’autres difficultés notamment visuelles. Là, le superviseur est essentiel, alors que les agents vont devoir s’auto-former. » La relation en mode visuel en situation d’urgence nécessite en effet une disposition adaptée des postes de travail des agents, avec fond neutre assurant la bonne compréhension des mots-signes, ainsi qu’une gestion de la relation face à la caméra et plus précisément de ce que verront les répondants : sont-ils préparés à encaisser psychologiquement la détresse humaine, des scènes difficiles ?

Autre problème soulevé par Gilles Quagliaro, président de l’association Française pour l’insertion des Déficients Auditifs d’Expression Orale (AFIDEO), l’absence de préparation des futurs usagers : « Dans un monde normal, le téléphone précède les appels d’urgence et pas l’inverse. On n’adosse pas un service de sauvegarde de la vie des personnes à un système qui n’est pas rodé au quotidien […] Avec la ‘Conversation Totale’, le 114 s’appuie sur une infrastructure télécom dédiée donc peu utilisée en rapport du téléphone normal. Les sourds vont découvrir au dernier moment comment ça marche, et cela dans un contexte d’urgence. » Il estime que le déploiement d’un Centre National de Relais des appels téléphoniques du quotidien aurait dû précéder un service dédié aux appels d’urgence, mais les opérateurs téléphoniques ont agi depuis vingt ans pour bloquer la création d’un tel CNR « généraliste », contraignant l’Etat à élaborer un CNR spécifique aux situations d’urgence.

Reste à traiter l’extension du 114 aux départements et territoires d’Outremer, ce qui ne semble toujours pas envisagé comme si ce n’était pas aussi la France, et aux personnes sourdes-aveugles ou aphasiques, imposée par la loi pour une République numérique, ce que rappelle d’ailleurs la mission IGAS. Sophie Dalle-Nazebi déplore que les agents du CNR 114 ne soient pas formés à recevoir des appels en conversation totale émanant de ces usagers qui emploient des modes spécifiques de communication visuelle que les répondants ne connaissent pas. Toutes questions qu’on aurait aimé éclaircir avec le docteur Mongourdin, mais auxquelles ce dernier a étrangement opposé une fin de non-recevoir. Heureusement que les agents du 114 répondent aux appels, eux !

Laurent Lejard, janvier 2018.

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