La lumière se fait. Un couple dans un décor simple : elle sur son fauteuil roulant s’agrippant au bras de l’homme qui veut la quitter. Elle le mord, il crie et s’arrache. Elle, c’est Clémence, devenue paraplégique du fait d’un accident ; lui, Antoine, est marié et a voulu devenir assistant sexuel. Leur rencontre, tout d’abord délicate, a évolué vers une relation amoureuse jusqu’à ce que l’épouse d’Antoine lui impose de choisir. Tel est l’argument de Toutes les autres, texte écrit par Clotilde Cavaroc, créé au Théâtre de Belleville (Paris 11e) début juin et qui sera joué en juillet lors du festival Avignon Off.
« Je suis tombée en 2020, pendant le confinement, sur le documentaire Moi, Assistante Sexuelle, qui suit le parcours de Claire assistante sexuelle en Suisse, justifie l’autrice, Clotilde Cavaroc. J’ai trouvé sa parole très mature, altruiste, humaniste, ça m’a beaucoup touchée et intéressée. A partir de là, j’ai fait des recherches sur le sujet et j’ai vu à quel point c’était un noeud, un sujet délicat, complexe, et à partir du moment où c’est délicat et complexe je me suis dit qu’il avait quelque chose à faire d’artistique. Donc j’ai commencé par écrire un court-métrage sur le sujet, avec les mêmes comédiens de la pièce, Kimiko Kitamura et Stéphane Hausauer. Ce court-métrage Toutes les autres a plu, il a été sélectionné dans plusieurs festivals, a reçu des prix, et j’ai eu envie de l’adapter en écrivant une autre histoire, différente, il y a deux ans. Je ne voulais pas que ce soit du drame total, donc il y a des passages qui sont plutôt de la comédie, je dirais que c’est une comédie dramatique. Je voulais trouver un bon équilibre entre eux, faire que ce soit léger sans non plus banaliser la chose, et parler de ce qu’est véritablement l’accompagnement sexuel dans toutes ses dimensions, y compris le risque le risque amoureux. » Dans ses recherches et entretiens, elle a rencontré Marcel Nuss et sa femme, pionniers-militants de l’assistance sexuelle, et a eu des retours de personnes qui étaient tombées amoureuses : « Parfois ça le fait pas, comme dans la vie, et d’autres sont aujourd’hui mariées. »

Metteuse en scène de la pièce, Élise Noiraud a dû résoudre certaines contraintes : « J’ai vraiment eu un coup de coeur pour cette équipe et le projet qu’elle portait, parce que c’est une équipe qui a beaucoup de sensibilité, d’interrogations sur cette thématique-là. Et puis j’adore ces deux comédiens. J’avais envie d’une mise en scène qui soit simple, proche des comédiens et des comédiennes parce que c’est ce que j’aime. Et puis surtout qui révèle la complexité, l’ambivalence des êtres, qu’on ne soit pas sur un travail manichéen, blanc ou noir à l’égard d’aucun d’entre eux, je voulais qu’on rende compte de leur humanité dans toute sa complexité. » La représentation de l’acte sexuel a été résolue par l’équipe grâce à une chorégraphie restituant une évocation poétique.
Si la comédienne incarnant Clémence n’est pas handicapée, Clotilde Cavaroc a pourtant cherché une actrice paraplégique : « Oui, la question s’est posée. Pour le court-métrage, j’avais contacté plusieurs comédiens et comédiennes, dont deux en situation de handicap. Malheureusement, l’une ne pouvait pas venir le jour de l’audition et l’autre n’a pas répondu. Quand j’ai rencontré Kimiko, elle a passé le casting directement avec Stéphane, et pour moi c’était une évidence, c’était un choix artistique pour la comédienne et pour le duo. Quand il a été question de le transposer au théâtre, j’ai repris les mêmes comédiens parce que ça fonctionnait très bien à l’écran, très bien sur scène et très bien aussi dans le relationnel. »
Si cette première mise en théâtre de l’assistance sexuelle met l’accent sur le risque amoureux, la pièce pourrait contribuer à la réapparition du sujet actuellement perdu dans les méandres du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) vers lesquels l’ex-secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, l’a expédié en février 2020, trois semaines avant le premier confinement de la crise du Covid. Depuis, le sujet est profondément enterré et le débat entre partisans et opposants reste à organiser, alors que l’accompagnement sexuel est déjà un préjudice reconnu par la jurisprudence…
Laurent Lejard, juin 2025.
Toutes les autres, de Clotilde Cavaroc, sera joué du 5 au 26 juillet à l’Artéphile, chaque jour à 15h55 (sauf les 6, 13 et 20 juillet). Durée 1h10. A partir de 12 ans.