Après avoir obtenu leur baccalauréat, une partie des lycéens handicapés entame des études supérieures avec plus ou moins d’aide et de soutien selon les établissements universitaires ou grandes écoles. Ceux-ci sont en effet autonomes, et même s’ils sont tenus d’accueillir des étudiants handicapés, chacun élabore ses modalités d’aide, comme le précise le ministère de l’Enseignement supérieur. Il estime que l’accompagnement est « sur mesure », élaboré lors d’un processus d’évaluation pluridisciplinaire qui mobilise les médecins universitaires et l’équipe pédagogique pour établir un Plan d’accompagnement de l’étudiant en situation de handicap. Un processus considéré plus efficace que la mise à disposition d’auxiliaires de vie universitaire qui devraient aider à la fois aux gestes de vie quotidienne, aux soins d’hygiène ainsi qu’à la prise de notes et l’assistance aux recherches documentaires en ayant un niveau de connaissances adéquat pour comprendre la discipline de l’étudiant assisté. Pour le ministère, il n’est pas concevable de trouver des personnels disposant à la fois de toutes ces compétences. Et pour les étudiants physiquement dépendants, il met en avant l’accompagnement assuré à Nantes et à Nancy par un Service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) ou un Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH) en étroite collaboration avec un foyer adapté et les établissements universitaires, dispositif dont il appelle de ses voeux une diffusion vers d’autres territoires. Avec quelle action auprès des établissements universitaires autonomes, cela le ministère ne le dit pas.

Formalités sur la corde raide

Dans tous les cas de figure, les lycéens doivent soigneusement s’informer au préalable sur les dispositifs existants dans les établissements qu’ils demandent, puis monter un dossier auprès de leur Maison Départementale des Personnes Handicapées pour demander les heures de PCH qu’ils estiment nécessaires pour les gestes de la vie quotidienne et pédagogiques et tout en tenant compte de leur souhait d’hébergement (famille, foyer adapté, chambre en cité universitaire). Le tout surmonté de l’épée de Damoclès que constitue Parcoursup : cette plateforme d’attribution des places en université en fonction des voeux des candidats ne priorise pas ceux qui sont reconnus handicapés et ils peuvent ne disposer que de quelques semaines pour monter leur dossier MDPH (lire l’actualité du 20 décembre 2018) en espérant qu’elle statue favorablement et suffisamment vite pour ensuite mettre en place tout ce qui doit l’être. Décrit ainsi, le processus n’est déjà pas simple, et il faut y ajouter le critère d’âge pour bénéficier en tant qu’adulte de la PCH et d’une place en SAMSAH, 20 ans, autant penser tout de suite aux dérogations. Sans oublier qu’en cas d’hébergement en foyer adapté, il leur sera difficile de disposer de suffisamment d’aides humaines dès qu’ils en franchiront la porte.

C’est la situation vécue par Chloé Fonveille, brillante étudiante à Sciences Politiques Grenoble (Isère), entièrement paralysée et privée de la parole : elle a obtenu un logement dans une résidence adaptée aux étudiants (Prélude) lourdement handicapés, accompagnée d’une PCH en établissement dont les prestations s’arrêtent à la porte de l’immeuble. C’est elle qui finance, grâce à des actions de solidarité, l’aidante qui assure prise de note et assistance humaine pour tout le reste : trajets, cours, hygiène, repas, activités, etc. Il n’est en effet pas possible de bénéficier d’heures de PCH en établissement et d’autres de vie extérieure, en clair PCH établissement = assignation à résidence. Après sa dénonciation publique l’hiver dernier de la situation qui lui est faite, le ministère de l’enseignement supérieur s’est saisi du dossier. « En effet, nous écrivait Chloé Fonvielle début juillet, une réunion à laquelle je n’étais pas conviée s’est tenue le 9 juin avec le ministère de l’Enseignement supérieur, le département [de l’Isère], le service handicap de l’université de Grenoble (SAH), Prélude (résidence pour étudiants handicapés) et Sciences po pour essayer de trouver une solution à ma problématique. Mais ce qui ressort de cette réunion est sincèrement affligeant. Car selon le Ministère, les personnes handicapées doivent gagner en autonomie lors de leurs études supérieures car c’est la condition pour qu’elles puissent trouver du travail ensuite. Ils pensent que l’aide d’autres étudiants suffit et que je devrais utiliser une synthèse vocale pour éviter d’avoir ‘un facilitateur de communication’, rôle que tient mon auxiliaire de vie universitaire, entre les professeurs et moi, et les étudiants et moi. J’ai déjà essayé les synthèses vocales et non seulement c’est plus long et plus fatiguant pour moi, mais surtout en général personne n’écoute quand je l’utilise ! Bref, je n’arrête pas de dire quels sont mes besoins en termes d’aide humaine mais ils font semblant de ne rien entendre, la preuve, la semaine dernière, il y a eu une nouvelle réunion entre le SAH, Prélude, l’IEP et moi (le 18 juin à la demande de Laurence Lefevre, haut-fonctionnaire chargée du handicap au ministère de l’enseignement supérieur) qui portait sur mes besoins. J’ai donc redis une fois de plus mes besoins, le SAH a donc fait un joli tableau récapitulatif transmis au ministère. Aujourd’hui [1er juillet], aucune solution pérenne m’a été proposée. »

Charité publique et soutien régional

C’est localement qu’est venu le salut, pour financer pendant la prochaine année universitaire l’auxiliaire de vie universitaire qu’emploie Chloé : « En effet, j’avais eu au téléphone au mois de mars Monsieur Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne Rhône Alpes, et il avait été touché par ma situation. Il a donc proposé que la région finance pendant une année l’emploi de mon AVU. J’attends encore les modalités (actuellement, mon AVU est embauchée par mes parents en CDI, il faut donc faire une rupture conventionnelle puis un CDD proposé par l’IEP) mais cela devrait être bon. Cette solution est valable 1 an et ne concerne que moi. Ma cagnotte en ligne me permettra de financer environ deux années (peut être moins si je pars à l’étranger car dans ce cas mes frais en terme d’aide humaine seront encore plus importants). En résumé, il n’y a aucune avancée sur la possibilité d’avoir un dispositif d’AVU. De son côté, la résidence Prélude réfléchit à proposer quelques accompagnements en dehors de ses murs mais ce ne sera que très très ponctuel. »

Pour résumer, la situation faite aux étudiants handicapés évolue entre débrouille et bureaucratie, une belle introduction au « statut » d’adulte handicapé ! Mais Chloé Fonvielle espère toujours pouvoir peser : « Je suis en contact avec la députée Camille Galliard-Minier qui suit de près mon combat ainsi qu’avec son collègue Didier Baichère. J’ai eu une visioconférence avec madame la députée cette semaine car elle a rencontré en juin Patrice Fondin, conseiller de Sophie Cluzel, et doit la rencontrer la semaine prochaine pour lui parler de plusieurs dossiers dont le mien. J’ai écrit une lettre adressée à Sophie Cluzel que madame la députée va transmettre directement. Le ministère de l’Enseignement supérieur n’a pas répondu à la demande de rendez-vous des députés. Ce qui émerge des réunions, c’est que les étudiants en situation de handicap doivent apprendre l’autonomie pour pouvoir trouver du travail, donc pas d’AVU d’autant que des étudiants avec des handicaps ‘lourds’ s’en passent actuellement, donc pourquoi pas moi, et que donner la possibilité d’avoir des AVU engendrerait des coûts trop importants, un ‘appel d’air’, sous entendu que des étudiants qui pourraient s’en passer en demanderaient. »

Chloé Fonvielle ne se contente pas d’avoir identifié ces réticences, elle agit et a créé le Collectif « pas d’AVU/pas d’Études » pour demander la fin de la rupture des droits entre le secondaire et le supérieur pour les étudiants handicapés. Tenace comme elle est, Chloé Fonvielle saura encore faire parler de la situation pour le moins aléatoire des jeunes femmes et hommes handicapés dépendants qui doivent surmonter les obstacles bureaucratiques qu’on leur jette dans les roues…

Laurent Lejard, août 2020.

Partagez !