Comment définit-on un licenciement pour faute grave ?

La faute grave est définie comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, y compris pendant la durée du préavis : elle est définie par les articles L1232-1, L1234-1 et L1234-9 du code du travail. Elle est appréciée par les juridictions au cas par cas.

Quelles sont ses conséquences ?

Cette qualification prive le salarié de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis, qui doit être appréciée strictement par le juge, au regard de la gravité des faits, de leur imputabilité, de leur impact sur la relation de travail et de la nécessité d’une réaction immédiate de l’employeur.

La mise à pied à titre conservatoire est en général prévue au sein de la lettre de convocation à entretien préalable pouvant mener à éventuelle sanction qui peut aller jusqu’au licenciement : telle est la première réaction qu’une juridiction va apprécier pour vérifier le caractère grave de la faute du salarié.

Sur la procédure générale

La Cour de cassation n’apprécie qu’en droit ce que les juridictions du fond, alors que le Conseil de Prud’hommes et la Cour d’Appel apprécient les faits et le droit. C’est dire que lorsqu’elle casse une décision de Cour d’Appel, cette dernière est réputée avoir mal appliqué le droit. Ce n’est pas un troisième degré : c’est la juridiction suprême.

Le Conseil Constitutionnel quant à lui, est une institution qui occupe une place centrale dans l’architecture institutionnelle de la Ve République. Sa mission première est d’assurer le respect de la Constitution, tant dans le contrôle des lois que dans la régulation des opérations électorales et référendaires. On la saisit pour contester la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution dans le cadre d’une QCP (question prioritaire de constitutionnalité).

I – Rappel sur les faits et la procédure

A – Sur les faits

Par contrat de travail à durée déterminée à compter du 26 septembre 1994, la fondation Ellen Poidatz [gestionnaire d’établissements médico-sociaux] a engagé en qualité de monitrice Madame JC et ce jusqu’au 1er mai 1995, dûment prolongé d’un contrat à durée indéterminée au gré duquel elle exerçait les fonctions d’aide médico-psychologique en équipe de nuit.

Par lettre avec accusé de réception du 27 août 2019, Madame JC a été convoquée à un entretien préalable fixé au 4 septembre 2019. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 septembre 2019, elle a été licenciée pour faute grave.

B – Sur la procédure

  1. Première instance

Madame JC a saisi le Conseil de Prud’hommes de Melun (Seine-et-Marne) pour solliciter différentes indemnités notamment liées au licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour caractère vexatoire du licenciement intervenu, comme le remboursement des jours soustraits à son salaire durant la mise à pied à titre conservatoire, le temps que l’entretien préalable se tienne.

Par jugement du 7 mai 2021, le Conseil a requalifié le licenciement de Madame JC en licenciement pour cause réelle et sérieuse et alloué à l’employé des dommages-intérêts pour conditions particulièrement vexatoires du licenciement intervenu.

  1. Cause d’appel

La fondation Ellen Poidatz a relevé appel du jugement. L’arrêt du 31 janvier 2024 a jugé que le licenciement de Madame JC est bien un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ne repose donc pas sur une faute grave.

De fait, la Cour ordonne la condamnation de l’employeur à lui verser des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que ceux destinés à réparer les conditions particulièrement vexatoires du licenciement intervenu, un rappel de salaire concernant sa mise à pied à titre conservatoire

  1. Cour de Cassation

Dans son arrêt du 21 mai 2025, la Cour a cassé et annulé l’arrêt d’appel du 31 janvier 2024, sauf principalement en ce qui concerne les dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, mais en revanche renvoie l’employeur et l’employé devant la Cour d’Appel de Paris autrement composée. La loi a donc été mal appliquée.

II – Sur la portée de ces décisions

A – L’article L1235-3 du code du travail

Cet article est au coeur de ces trois décisions. C’est le fameux barème Macron qui est rentré en vigueur le 1er avril 2018. Il n’est applicable qu’à compter de sa date d’entrée en vigueur. La loi ne vaut que pour l’avenir, sauf exception très rare. Toujours est-il que ce barème établit selon l’ancienneté du salarié une indemnité minimale et maximale, si la société comprend plus ou moins onze salariés.

Or, Madame JC va solliciter devant la Cour l’application de l’article 10 de la convention numéro 158 de l’Organisation Internationale du Travail et l’article 24 de la charte sociale européenne pour écarter le barème. Elle n’est pas la seule à tenter d’écarter de l’article L1235-3 du code du travail. Cependant, l’ensemble des décisions des Cours d’Appel y est opposée. C’est le cas notamment de la Cour de Paris du 31 janvier 2024 ou de la Cour d’Appel de Toulouse du 28 janvier 2022.

Les principales motivations retenues par les Cours d’Appel pour justifier le maintien du barème d’indemnisation sont le respect du cadre légal, l’absence de preuve d’un préjudice supérieur, la conformité du barème à la finalité de réparation du préjudice, l’absence de contrariété manifeste avec les normes internationales et l’application du barème sauf circonstances exceptionnelles dûment justifiées.

Une question prioritaire de constitutionnalité a été également présentée contre cet article, avant l’instauration du barème Macron. La Cour de cassation a été en effet saisie par un employeur qui dans le cadre d’un licenciement économique a indiqué que cet article portait atteinte au principe d’égalité devant la loi et à la liberté d’entreprendre, en raison du traitement différencié selon la taille de l’entreprise. C’est ce que l’on appelle une QCP (question prioritaire de constitutionnalité). C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a indiqué le 13 juillet 2016 que cette question présentait un caractère sérieux et a décidé de la renvoyer au Conseil Constitutionnel.

C’est ainsi que dans une décision du 13 octobre 2016 le Conseil Constitutionnel a rejeté ces arguments considérant que la différence de traitement était justifiée par un but d’intérêt général (ne pas alourdir la charge des petites entreprises) et que la mesure n’était pas disproportionnée au regard de la liberté d’entreprendre.

B – L’appréciation de la faute

Il se trouve que la personne handicapée qui s’est plainte du comportement de Mme JC ne l’a fait qu’une fois, même si son témoignage est confirmé par un patient dormant à ses côtés. La Cour va rappeler qu’il n’y a eu aucune mise en garde préalable de l’employée de sorte que les motifs au licenciement grave sont insuffisants et impropres à écarter la qualification de faute grave, en application des articles L1234-1, L1234-5 et L1234-9 du code du travail.

De même, la sanction prononcée pour les faits matériellement établis est disproportionnée du fait que la salariée n’a jamais fait l’objet de la moindre mise en garde sur son comportement à l’égard des patients alors même qu’un mois avant les faits survenus le 26 août 2019, des critiques formulées par des parents avaient déjà été portées à la connaissance de la fondation, en application des articles L1234-1, L1234-5 et L1234-9 du code du travail.

En synthèse, la jurisprudence récente montre que la faute grave est retenue lorsque les faits reprochés au salarié sont établis, répétés et d’une gravité telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. À l’inverse, l’absence de preuve, la disproportion de la sanction ou le caractère non suffisamment grave des faits conduisent à l’écarter.

Conclusion

Chaque cas est apprécié in concreto par les juges, qui exigent une démonstration précise et circonstanciée des manquements invoqués.

Mais que va dire la Cour de renvoi puisque la Cour de Cassation a cassé l’arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 31 janvier 2024 !

Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), août 2025.

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