À titre liminaire
Il n’échappera pas au lecteur que ces deux décisions ont été rendues rigoureusement à la même date, cette année. Elles confortent les différences d’interprétation par le Tribunal Administratif dans différentes régions (en 2024, la France comptait 42 Tribunaux Administratifs dans l’hexagone et 11 en outre-mer).
C’est communément entre juristes ce que l’on appelle une « fronde » des juridictions qui ne rendent pas des décisions dans le même sens alors qu’elles sont saisies en vertu des mêmes textes, dans l’attente d’une décision de la juridiction suprême, le Conseil d’État aux cas qui nous occupent.
Sur les faits
- Tribunal Administratif de Lyon du 7 février 2025 : M. A.E, né le 23 juillet 1999, est atteint de troubles autistiques sévères. La CDAPH de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de l’Ain a pris plusieurs décisions d’orientation le concernant entre 2018 et 2019 pour désigner des établissements susceptibles de l’accueillir ;
- Tribunal Administratif de Nantes du 7 février 2025 : M. E.B, né le 19 septembre 2013, souffre du syndrome de Dravet (forme rare et grave d’épilepsie, de troubles autistiques et d’une déficience intellectuelle importante). Par décision du 1er juin 2018, la CDAPH du département de la Loire-Atlantique a orienté M. E.B vers une prise en charge en Institut Médico-Educatif (IME) pour la période du 1er juin 2018 au 31 août 2023.
Les deux requérants sont des jeunes handicapés.
Sur les textes applicables
L’article L114–1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit de manière expresse un droit de toute personne handicapée à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnu à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. « L’État est garant de l’égalité de traitement des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d’action. »
Cet article de loi est visé aux deux décisions.
Sur la portée de ces deux décisions
- La décision du TA de Lyon : Le tribunal a rejeté la demande de réparation de la mère de M. A.E qui soutenait qu’elle n’avait pas pu travailler du fait qu’elle avait pallié la prise en charge défaillante de son fils. Il se trouve en effet qu’elle n’avait pas établi, sur la seule production d’un diplôme de CAP pâtissier, confiseur, chocolatier, glacier, d’une attestation de sa soeur ainsi que de son avis d’imposition, que l’absence de prise en charge adaptée de son fils pendant la période considérée serait en lien direct et certain avec l’absence professionnelle invoquée. En revanche, l’absence de prise en charge dans une structure adaptée, depuis février 2018 jusqu’en 2025, lui a causé un préjudice moral dont il a été fait juste application en évaluant son préjudice à hauteur de 20.000€ ;
- La décision du TA de Nantes : Le tribunal a fait droit partiellement aux demandes formulées par les parents du jeune E.B en vertu de ce qui suit. Une expertise judiciaire de l’ensemble de la famille a justifié les préjudices moraux du père (anxiété, impuissance), ainsi que des deux autres enfants qui voyaient leurs parents beaucoup plus occupés à leur petit frère qu’à leur égard, ce qui se traduisait par des tensions familiales. Leur préjudice moral a été réparé. Il a été également justifié par les parents que nombre de demandes écrites ont été adressées à des IME du 1er juin 2018 au 31 août 2023. De même, il a été retenu à juste titre que Mme B a, dès le placement de son fils, repris son poste à 80%, tandis que n’a pas été retenu sa perte de gain professionnel alors que c’est que dès le 2 novembre 2017 (date à laquelle l’enfant aurait dû être scolarisé) qu’elle avait demandé à travailler à temps partiel à hauteur de 60%. La carence de l’État a également été reconnue du fait de la perte de gain professionnel de la mère qui occupait son poste avant la nécessité de l’entrée en maternelle de l’enfant, à 100 % son emploi.
Sur la portée des jugements
On peut constater de manière factuelle des prises en considération d’emploi exercé plus ou moins partiellement, la production de justificatifs restant primordiale en droit selon l’adage bien connu que celui qui se réclame de l’exécution d’une obligation a la charge de la preuve. Même pour le préjudice moral subi par les enfants, du fait de la situation de leur frère non scolarisé.
Sur l’analyse de la jurisprudence de 1ere instance et de Cours d’appel
Jugements de première instance
Par exemple, le Tribunal administratif de Strasbourg a, le 1er février 2023, reconnu la carence fautive de l’État dans la prise en charge médico-sociale d’un enfant atteint de troubles du spectre autistique, ce qui a entraîné des préjudices pour l’enfant et ses parents.
- Le Tribunal a estimé que les efforts des requérants pour obtenir une prise en charge adéquate, ainsi que les troubles subis en conséquence, justifiaient une indemnisation ;
- Les parents ont obtenu des dommages-intérêts pour préjudice moral et troubles dans les conditions d’existence subis par leur fils, en se fondant sur l’article L114-1 du Code de l’action sociale et des familles cité plus haut.
En revanche, le même jour ce tribunal a rejeté la demande des parents d’un enfant souffrant de troubles du spectre autistique, estimant que l’absence de prise en charge adaptée ne révélait aucune carence fautive de l’État car l’enfant avait bénéficié d’une orientation vers une unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) et avait été accueilli dans un service adapté dès que des places étaient disponibles.
Ces décisions illustrent la complexité de l’application de l’article L114-1 CASF, qui implique une évaluation de la prise en charge par l’État et de son adéquation aux besoins des personnes handicapées. La reconnaissance de la responsabilité de l’État dépend souvent de la démonstration d’une carence fautive dans la mise en oeuvre des mesures nécessaires pour garantir l’accès aux droits fondamentaux et le plein exercice de la citoyenneté des personnes handicapées.
En conclusion, cet article L114-1 CASF établit un droit fondamental à la solidarité et à l'égalité de traitement pour les personnes handicapées, mais son application en jurisprudence montre que la reconnaissance de la responsabilité de l'État nécessite une démonstration précise de la carence dans la prise en charge adaptée.
Arrêts de Cours d’appel
Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 8 mars 2023, le demandeur a contesté la décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) concernant la révision de la Prestation de Compensation du Handicap pour des frais spécifiques. La Cour a confirmé que la prise en charge des frais d’ergothérapie a été effectuée dans le respect des textes en vigueur et dans les limites prévues par l’article L. 245-3 du Code de l’action sociale et des familles. La demande de révision de la PCH pour couvrir des besoins réels a été rejetée, la Cour estimant que la prise en charge actuelle était conforme aux dispositions légales.
En conclusion, pour établir la carence fautive des administrations, la Cour administrative d’appel examine si l’Administration a respecté ses obligations légales, si elle a pris les mesures nécessaires pour remplir ces obligations, et si les demandeurs ont démontré un préjudice directement lié à une faute de l’Administration. C’est ainsi que les Cours d’appel se placent à l’instar des juridictions de première instance dans une analyse fine des conditions dans lesquelles les carences de l’État sont évidentes ou non.
C’est ainsi que l’on peut conseiller aux familles de multiplier leurs démarches en justifiant ces dernières par écrit. De même, elles devront justifier la diminution de leurs gains professionnels pour une assistance nécessaire à l’enfant présentant un handicap. C’est aussi les inviter à justifier le cas des frères et soeurs qui peuvent se sentir délaissés, les parents étant très centrés sur l’enfant présentant un état de santé différent du leur.
Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), mai 2025.