Mise en place par la loi du 11 février 2005, la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) est une aide financière et personnalisée prenant en charge des dépenses liées à la perte d’autonomie de la personne handicapée. Versée par le département, elle constitue une prestation en nature qui peut être, selon le choix de l’intéressé, en nature ou en espèces. Elle est soumise à des conditions d’âge, de régularité de séjour et de résidence ainsi que de qualification de handicap, et sont prises également en compte les ressources de la personne pour déterminer le taux de prise en charge.
Lors de l’indemnisation des conséquences d’un accident, la question de la déductibilité ou non de la PCH est importante : devrait-elle venir en déduction de l’indemnisation de la victime d’un dommage corporel ? Les Fonds de garantie, les compagnies d’assurances et mutuelles estiment que la PCH est déductible du montant de l’indemnisation et ce, afin d’éviter un cumul d’indemnisation. Les associations de victimes sont en général d’un avis contraire.
L’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 détermine les prestations qui ouvrent droit au recours subrogatoire en raison soit de la qualité des tiers payeurs, soit de la nature de la prestation (indemnitaire ou forfaitaire), et doivent être imputées sur les postes de préjudice dus à la victime. Cependant, cet article ne vise pas la PCH : dès lors, peut-elle être déduite de l’indemnisation de la victime alors même qu’elle n’est pas visée par l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 et n’ouvre pas droit à un recours subrogatoire ?
A cette question, la jurisprudence a répondu différemment, notamment selon qu’il s’agit d’une indemnisation versée par un fonds ou de droit commun par une compagnie d’assurances ou une mutuelle, de même en matière de contentieux médical, la jurisprudence judicaire et administrative sont opposées.
1. PCH et FGAO et FGTI
Dans un premier temps, la Cour de cassation avait retenu en 2006 que l’Allocation Compensatrice Tierce Personne (ACTP, ancienne PCH mais plus restreinte) n’était pas déductible du montant de l’indemnisation de la victime dans la mesure où elle était versée dans le cadre d’un devoir de solidarité nationale et qu’elle n’avait donc pas de caractère indemnitaire. Compte tenu de l’entrée en vigueur au 1er janvier 2006 de la PCH, prestation plus large que l’ACTP, la Cour de Cassation a modifié sa jurisprudence à différentes reprises. Actuellement, les arrêts les plus significatifs sont les suivants :
1.2. Fonds de garantie des assurances obligatoires : accident de la circulation. Dans un arrêt de la 2e chambre civile en date du 16 mai 2013, la Cour de cassation retient le caractère indemnitaire et déductible de la PCH : « Attendu que pour déclarer le jugement opposable et condamner M. Y…à payer à Mme Maria X…une certaine somme au titre des préjudices patrimoniaux temporaires et une rente tierce personne à compter du 9 juillet 2004 payable trimestriellement à terme échu et indexé à compter du 9 juillet 2004 conformément aux termes de la loi du 27 décembre 1974 modifiée par la loi du 5 juillet 1985 renvoyant à l’article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, et débouter ainsi le FGAO de ses demandes tendant, à titre principal, à ce que Mme X…justifie des sommes attribuées au titre de la prestation de compensation du handicap ou d’une demande formée afin de bénéficier de cette prestation et, subsidiairement, à la réduction de cette rente, l’arrêt retient que l’éventuelle prestation de compensation du handicap n’indemnise pas les conséquences de l’accident mais l’existence d’un handicap ; que, de plus, elle ne fait pas partie de celles visées limitativement aux articles 29 et 32 de la loi du 5 juillet 1985 comme ouvrant droit à une action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur ; que la prestation de compensation du handicap ne peut être imputée sur l’indemnité en réparation de l’atteinte physique de Mme Maria X…; Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Cependant, un très récent arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 1er septembre 2015 statue le contraire et juge que la PCH n’est pas déductible mais en énonçant son caractère indemnitaire. Elle justifie cette non déductibilité par le fait que seules sont déductibles les prestations ouvrant droit à l’existence d’une action récursoire contre le responsable du dommage. Tel n’est pas le cas de la PCH. « Attendu qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a fait une exacte application des textes visés au moyen, dès lors que si la prestation de compensation du handicap définie aux articles L 245-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles dans leur rédaction issue de la loi du 11 février 2005 constitue une prestation indemnitaire, il résulte des articles L 421-1 du code des assurances et R 421-13 du même code définissant les obligations du FGAO que la déduction des versements effectués par des tiers payeurs est subordonnée à l’existence d’une action récursoire contre le responsable du dommage. »
1.2. Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions : Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI). La 2e chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 13 février 2014 rendu en formation plénière, a jugé du caractère déductible de la PCH et a retenu : « Attendu que pour fixer à une certaine somme l’indemnisation du besoin en tierce personne de M. X…, l’arrêt retient que la prestation de compensation du handicap versée par le Conseil général n’a pas un caractère indemnitaire justifiant sa déduction des sommes allouées ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que l’état de M, X.- nécessitait une aide humaine, justifiant une indemnisation du besoin d’assistance par une tierce personne la cour d’appel qui a refusé d’imputer la prestation de compensation du handicap sur ce poste de préjudice qu’elle indemnise, les demandes relatives aux autres postes concernés ayant été réservées, a violé les textes et le principe susvisés ».
Cette solution a été récemment confirmée par la 2e chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 2014 qui a retenu : « Attendu que pour allouer à M.X une certaine somme au titre de son préjudice corporel et une rente mensuelle au titre de la tierce personne à venir, et débouter ainsi le Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions de sa demande tendant à ce que M.X justifie des sommes attribuées au titre de la prestation de compensation du handicap, l’arrêt retient que cette dernière, qui est une allocation servie en exécution d’une obligation nationale destinée à garantir un minimum de ressources aux personnes handicapées et dont le montant est fixé par le président du conseil général du département de la résidence de l’intéressé, compte tenu notamment de ses ressources, constitue une prestation d’assistance dépourvue de caractère indemnitaire, qui ne doit pas être déduite des sommes allouées à la victime ; Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
La jurisprudence estime qu’en présence du FGAO et du FGTI, la PCH est une prestation qualifiée d’indemnitaire qui doit être déduite des indemnités versées à la victime. Cependant, la discussion reste toujours ouverte en raison de l’arrêt contraire de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 1er septembre 2015.
2. PCH et contentieux relevant de la loi Badinter (accident de la circulation) avec prise en charge par un assureur ou une mutuelle
De façon générale, la PCH n’est pas considérée comme une prestation indemnitaire et ne doit donc pas être déduite du montant de l’indemnisation due à la victime au titre de la tierce personne. La Cour d’Appel de Paris (P2 C3 17) par arrêt de mars 2014 a jugé que : « Or, l’allocation compensatrice pour tierce personne, qui est servie en exécution d’une obligation nationale destinée à garantir un minimum de ressources aux personnes handicapées, et dont le montant est fixé en tenant compte, notamment, des ressources de l’intéressé, constitue une prestation d’assistance dépourvue de caractère indemnitaire. Elle ne doit donc pas s’imputer sur les indemnités allouées en réparation du préjudice et il n’y a pas lieu de surseoir à statuer ni d’inviter Madame Marie Claude M. épouse B. à justifier des sommes qu’elle reçoit à ce titre ». Récemment, la 2e chambre civile de la Cour de Cassation par arrêt en date du 2 juillet 2015 rappelle ce principe de non déductibilité de la PCH.
3. PCH et contentieux médicaux relevant de l’ordre judiciaire
Récemment encore, la 1ere chambre civile de la Cour de Cassation par arrêt en date du 19 mars 2015 a jugé du caractère déductible de la PCH en l’absence de recours subrogatoire : « Attendu que, dès lors que la prestation de compensation du handicap à laquelle Bernard Y pouvait prétendre ne donnait pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation, de sorte qu’elle n’avait pas à être imputée sur l’indemnité réparant l’atteinte à son intégrité physique, l’arrêt n’encourt pas le grief du moyen ».
4. PCH et contentieux médicaux relevant de l’ordre administratif
Il a été admis que la PCH devait être déduite du montant de l’indemnisation de la tierce personne, aussi bien passée que future. Le Conseil d’Etat par arrêt du 23 septembre 2013 juge seulement que la PCH doit être déduite de l’indemnisation allouée à la victime du dommage dont un établissement public hospitalier est responsable, dès lors qu’aucune disposition ne permet au département qui verse la prestation d’en réclamer le remboursement au bénéficiaire revenu à meilleure fortune.
Conséquences du caractère déductible de la PCH
La déductibilité de la PCH a d’importantes conséquences qui entraine un ralentissement considérable dans la solution des litiges et une complexité accrue des procédures. En effet, dès lors qu’il est jugé que la PCH a un caractère déductible, sa prise en compte pour la détermination de l’indemnisation du dommage corporel de la victime, implique que le montant des sommes perçues par elle doit être communiqué aux parties. A ce titre, le Fonds de Garantie sollicite que soit mis en cause le Conseil Départemental, qui verse ladite prestation, et qu’un sursis à statuer soit ordonné dans l’attente de la production des montants versés ou de la décision de la MDPH, si celle-ci ne s’est pas encore prononcée.
Sur ce point, on observe que les décisions récentes sont divergentes et que toutes les juridictions n’accèdent pas à la demande du Fonds de Garantie. D’autres cependant retardent considérablement l’indemnisation du dommage corporel des victimes en prononçant un sursis à statuer ou en réservant les droits futurs de la victime. On observera également que les compagnies d’assurances et mutuelles sollicitent aussi la production des documents de la MDPH ainsi qu’un sursis à statuer sur les postes concernant la tierce personne, le logement adapté et le véhicule adapté qui peuvent être concernés par la PCH. Le Fonds de Garantie sollicite aussi que la victime demande la PCH, rendant ainsi obligatoire cette demande qui est facultative et qui retarde encore et encore l’indemnisation de la victime.
Il convient de rappeler que le Conseil Départemental ne bénéficie pas d’un recours subrogatoire, ainsi ce retard considérable dans le règlement des indemnisations des victimes ne lui profite en rien et nuit indiscutablement à ces dernières. A l’évidence, on ne peut déduire une prestation qui n’est pas pérenne ce qui obligera les victimes en cas de modification ou de suppression de la PCH de saisir à nouveau la justice. Ainsi certaines décisions ont jugé que les montants de la PCH devront être déduits de la rente tierce personne et que le solde de la rente sera recalculé à chaque renouvellement de la PCH en fonction du montant accordé. Que de même, l’incertitude demeure, certaines décisions déduisent les heures de tierce personne pour le passé et pour l’avenir au titre de la PCH du montant de la tierce personne, d’autres déduisent le coût de la PCH.
La jurisprudence n’est donc pas encore nettement établie, les points juridiques en suspens sont importants et très discutables. Ainsi plus que jamais il est indispensable d’être assisté par un avocat spécialisé qui a l’habitude et la pratique pour traiter ce type de dossiers car il est difficile de se défendre contre des compagnies d’assurances, des mutuelles et le Fonds de Garantie qui sont représentés par des spécialistes. Il est des plus regrettable que ce nouveau contentieux retarde une fois encore l’indemnisation des victimes d’un dommage corporel, que le différend soit traité à l’amiable ou devant un tribunal.
Catherine Meimon Nisenbaum, avocate à la Cour, décembre 2015.