Une salle limitée à 28 personnes, aux bancs fixés au sol contraignant les prévenus en fauteuil roulant à s’entasser dans l’allée centrale. Les conditions sanitaires obligatoires en cette période de pandémie impossibles à respecter, mettant en danger des protagonistes en étroit contact pendant huit heures d’audience. A la sortie à 22 heures, les militants ont contraint le tribunal à affréter des véhicules de transport adapté pour rentrer chez eux. La dignité des personnes handicapées piétinée. Tel est le constat que dressent des participants à l’audience correctionnelle du Tribunal Judiciaire de Toulouse (Haute-Garonne) auxquels étaient reproché d’avoir bloqué un train pendant une heure à la gare Matabiau, et pénétrer sur le tarmac de l’aéroport de Blagnac en empruntant un accès de service ouvert en plein période d’alerte attentat Vigipirate ! Un procès politique représentatif de la dérive autoritaire d’un régime qui ne tolère plus la contestation de ses actes tournés contre la population. Avec la « surcouche » handicap.

Un avocat s’exprime

Défenseur de personnalités politiques et de manifestants poursuivis pour leurs protestations, Arié Alimi est l’un des avocats des militants handicapés. Il relate son vécu d’une audience telle qu’il n’en avait jamais connue.

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Question : Quelle impression vous a laissé cette audience ?

Arié Alimi : J’avais un regard un peu neuf, c’est la première fois que je défends des personnes en situation de handicap. Je m’attendais à un peu de compassion par rapport à leur situation, au fait qu’elles avaient eu un engagement exclusivement politique et militant pour permettre d’améliorer la situation des personnes en situation de handicap. Et ce que j’ai vu, c’était en-dessous de tout. Le tribunal a encore plus mal traité ces personnes en situation de handicap que des personnes qui ne le sont pas. J’ai vu un cynisme terrible du tribunal, une absence totale de compassion, de respect de leurs engagements. On peut être dans un tribunal tout en respectant les actes militants. Surtout, j’ai vu comme une volonté d’être encore plus dur qu’avec d’autres personnes, comme si on voulait éviter de les regarder en face, éviter de regarder leurs handicaps. C’est surtout cela que j’ai vu dans les yeux de la juge.

Question : Ces militants sont poursuivis pour des manifestations et protestations publiques, qu’est-ce que cela inspire à l’avocat que vous êtes ?

Arié Alimi : C’est un processus qui concerne tout le monde. Il y a une criminalisation de plus en plus importante des actes militants, des manifestations et des manifestants. C’est une évidence, ça l’a été pendant le mouvement des gilets jaunes, les lois travail. Il ne m’étonne que ça concerne également les personnes en situation de handicap. Ce qu’on a soulevé pendant l’audience, c’est que le tribunal était lui-même en situation d’illégalité, et il aurait dû le prendre en considération.

Question : Pas de public, pas de journalistes, des prévenus entendus dans des conditions où ils ne peuvent pas s’exprimer, vous avez déjà vécu cela ?

Arié Alimi : Je dois vous avouer que non. D’abord parce qu’il y a eu, soit un manque d’anticipation, soit une volonté d’empêcher des conditions décentes et dignes de jugement de tous ces militants. Quand je dis digne, c’est en adéquation avec leur handicap. D’abord, parce que le tribunal n’était pas lui-même aux normes, et même dans une situation d’inégalité, c’est ce qu’on a soulevé en premier lieu. Y compris parce que la salle n’était pas assez grande pour les seuls protagonistes du procès, les prévenus et leurs aidants, les avocats des prévenus et des parties civiles, et le tribunal ; on était au-delà de la jauge de l’audience. La seule solution qu’a trouvé le tribunal face à la situation a été de dire « les journalistes et les aidants sortent », c’est-à-dire que les prévenus se sont retrouvés sans aide.

Question : Comme si c’était un procès à huis-clos.

Arié Alimi : Oui, ils ont plus ou moins organisé un procès en huis-clos. Ils ont voulu masquer et empêcher la vérité. D’ailleurs, quand on voyait au tout début que les journalistes équipés de caméras étaient interdits d’entrée sur instruction du président du tribunal de Toulouse, c’était du jamais vu pour moi. Oui, il y a eu des instructions précises d’empêcher le public de voir ce qui se passait ce jour-là dans ce tribunal. Ce procès est l’archétype de ce qu’il ne faut pas faire dans une démocratie. Il va constituer une référence pour batailler sur l’accessibilité aux personnes handicapées dans tous les tribunaux de France.

Réaction du Collectif Handicaps

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Réunissant 48 des plus importantes associations nationales de personnes handicapées, le Collectif Handicaps exprime sa réprobation : « On ne discute pas les modalités de manifestation des uns et des autres, et leurs conséquences. Mais là, il y a un comble : l’État applique à des militants handicapés une sévérité qu’il ne s’applique pas à lui même, notamment en matière d’accessibilité. Les associations attendent des mises en accessibilité depuis la loi de 1975, puis de 2005, ce procès révèle leur colère et celle des personnes handicapées privées d’accès et de leurs droits. C’est ce qui est paradoxal dans ce procès dont les conditions illustrent à la fois l’état de l’accessibilité et les aspirations des personnes : on a un cas d’espèce très factuel ou des personnes handicapées demandent à accéder à la justice avec les moyens nécessaires, qu’elles n’ont pas en l’espèce. »

Qu’en pense la Fédération APAJH ?

Parmi les quelques autres organisations sollicitées, seule la Fédération APAJH a réagi : « Cette affaire est symptomatique des grandes difficultés d’accessibilité pour l’ensemble des personnes en situation de handicap, quel que soit le handicap. Personne ne peut rester indifférent face à ce que les militants présents ont vécu. Les personnes en situation de handicap sont des justiciables comme les autres. Où se trouve la pleine citoyenneté de chacun ? L’APAJH soutient tous ceux qui se battent pour faire évoluer les regards et participent à construire une société réellement inclusive. Nous le constatons tristement ici, il est urgent de mettre l’ensemble des services publics dans cette dynamique inclusive que l’on nous promet ! Enfin, faire évacuer la presse quand on juge des militants bénévoles est une mesure qui ne peut que nous interroger. »

Des militants réagissent

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« Le tribunal était informé mais la salle était trop petite, raconte Sophie Lombard, comédienne autrice en 2018 d’une parodie du Duoday. On avait prévenu le tribunal du temps de pause nécessaire pour aller aux toilettes, des difficultés d’élocution d’une des prévenues. Là ou je me suis sentie prise au piège, c’est que nos soutiens et les journalistes n’ont pas pu assister à l’audience. Les fauteuils roulants étaient casés d’un côté et de l’autre, et dans l’allée centrale, les micros ne fonctionnaient pas et donc on n’entendait pas. Si on n’avait pas été là, ça n’aurait pas gêné de nous juger. J’ai vraiment le sentiment d’une injustice et d’un traitement indigne, alors qu’on avait envoyé la liste de nos besoins y compris en aide humaine. ‘Vous auriez dû vous organiser avant’, a asséné la juge ! Ces dysfonctionnements font penser à du mépris. Une des prévenues ayant du mal à s’exprimer a été maltraitée, sans faire d’efforts pour l’écouter, en lui reprochant de ne pas être comprise. Et à d’autres qui avaient besoin de sortir, la juge a lancé ‘allez-y on terminera sans vous’ ! »

« La montée de l’escalier a été très longue, relate Fatiha Ouldaa. J’étais accompagnée, et la montée des fauteuils par l’élévateur a été longue. Il n’y a eu aucune considération pour ma déficience visuelle, j’ai reçu les documents comme tout le monde, 12 jours avant le procès un dossier de 900 pages au format PDF avec photos, tableaux, images. La citation à comparaître m’a été remise par un huissier qui ne m’en a pas donné lecture après que je lui ai dit que j’étais aveugle. Aucun guide n’était prévu pour accéder à la salle, bien que le tribunal soit informé de la présence d’une prévenue aveugle, et les avocats avaient informé le tribunal des personnes à besoins spécifiques. Je me suis organisée pour avoir un transport adapté retour pour 20 heures, que j’ai dû annuler. Les seules pauses ont été accordées par le tribunal, mais pas en fonction des besoins des personnes. Pour m’exprimer, je n’ai fait que me lever sans aller à la barre, il y avait des fauteuils dans le passage. Je n’ai pas bougé, parce que je ne savais pas trop comment gérer la distanciation, sans aide du tribunal. Tout le monde était masqué. On se bat face à toutes les injustices, parce que rien n’est aisément accessible, et finalement au sein même du tribunal on a été confrontés aux mêmes problématiques. »

« C’était d’une violence inouïe, extraordinaire, j’étais dans une colère noire tout l’après-midi, témoigne Odile Maurin. La juge a tenté de nous faire avaler que la jauge de 28 personnes pour la salle ne comprenait pas les magistrats, le procureur et le greffier. Il y a trois semaines s’est tenu un procès avec 15 prévenus, le tribunal a loué la salle Mermoz qui est très grande. Ça traduisait une volonté d’audiencer avec presse et public. Mais pour nous, sous la pression, la présidente a refusé tous les journalistes TV et radio, puis éjecté les cinq journalistes de presse écrite. Les conditions de sécurité n’étaient pas réunies. Tous les prévenus ont été entendus depuis leur place, sans respect des règles sanitaires. La juge ne s’est pas inquiétée qu’on entende les débats ou pas. Il y a eu un refus d’interprète pour Bedria Kaya, alors que la juge ne comprenait pas ses propos, en disant que c’était difficile pour elle, la juge. Je me suis vue incapable de protéger mes camarades. A la sortie, j’ai dit aux copains qu’il était hors de question qu’on se débrouille pour rentrer, obligeant le président du tribunal et le procureur à négocier avec le directeur de Tisséo puis le directeur du département pour obtenir un transport adapté pour rentrer, et des auxiliaires de vie aux domiciles, qui ne sont pas venus. On s’est débrouillés comme on a pu. »

« Je suis infirme motrice cérébrale, écrit Bedria Kaya. Je me déplace en fauteuil, je suis dépendante de tierce-personnes au quotidien et ai des difficultés d’élocution. Ce procès, duquel nous espérions un ‘coup de projecteur’ sur nos revendications, fut une véritable mise en abyme ! L’expression même de la société que nous dénonçons : inhumaine, violente, discriminante, liberticide et en défaut vis-à-vis des Conventions internationales. Tout d’abord, confrontés à l’inaccessibilité du tribunal, nous avons mis près d’une heure à gagner la salle d’audience, avec un monte-charge inaccessible en autonomie en fauteuil dont il fallait maintenir enfoncé le bouton tout le long de la montée, ce que la plupart d’entre nous ne peuvent pas faire. »

« Une fois installés, aucun respect des gestes-barrières, pourtant obligatoires, du fait de l’exiguïté de la salle et de l’imprévoyance du président du Tribunal Judiciaire. Nos avocats ont alors demandé à la magistrate de reconnaître la nullité de la procédure, la fragilité de certain-e-s d’entre nous face au virus, du fait de leurs comorbidités, étant évidente : Refusé ! »

« La magistrate à décidé de vider la salle des journalistes, des personnes en situation de handicap venues nous soutenir et a demandé à nos proches venus pour nous aider, faute d’auxiliaires, de rester à la porte ! Le procès commença alors sans public, sans journalistes, sans respect de nos droits les plus élémentaires, et à huis clos ! La pire situation que nous pouvions imaginer ! »

« Dans le dossier figurent nos handicaps, chacun de nos besoins propres comme la nécessité d’aller souvent aux toilettes, de bénéficier d’un interprète pour compenser les difficultés d’élocutions, d’être accompagné par des auxiliaires de vie pour la réalisation des actes essentiels, etc. Nos avocats ont donc demandé le renvoi de l’audience pour non-respect de l’accessibilité du procès : Refusé ! »

« A cinq reprises au cours de l’audience, les propositions de renvoi par nos avocats, ont été rejetées ! Le procès continuera de se dérouler dans des conditions indignes. Le tribunal n’avait rien fait pour nous permettre d’avoir un procès équitable. Aucun moyen de compensation n’avait été prévu et d’autres complications se sont présentées : des micros non fonctionnels rendant l’écoute des débats quasi impossible pour une prévenue ayant des problèmes d’audition, aucun document accessible, rendant la lecture impossible pour une autre qui est très mal voyante, aucune assistance pour nombre d’entre nous pour accéder aux sanitaires, une camarade s’est même urinée dessus durant l’audience faute d’aide et du temps nécessaire pour aller aux toilettes ! Et moi j’ai dû quémander de l’aide à une connaissance pour pouvoir aller au WC afin d’éviter le même sort que mon amie. Comment vous relater la gène ou l’embarras qu’on peut ressentir dans ces moments-là ? Et c’est justement pour ne pas vivre immuablement ces situations que nous menons un tel combat ! »

« D’ailleurs de mon côté, j’ai été dans l’impossibilité de m’exprimer, de justifier mes actes et de me défendre par manque d’interprète alors que la justice était au courant depuis 2 ans de mes problèmes d’élocution. Lorsque j’ai souhaité le faire, la juge semblait me comprendre, mais quand mes avocats lui ont demandé de reformuler, elle en a été incapable et a répondu qu’elle n’avait pas compris : elle faisait semblant ! Alors que j’insistai, elle m’a coupé : ‘Merci Madame, je sais que c’est dur pour vous mais c’est aussi dur pour le Tribunal’. Enfin, l’heure avançant, nos avocats ont demandé une suspension d’audience car nous n’avions plus de transports adaptés ni d’auxiliaires de vie à partir de 20h30 : Refusé ! »

« Nous avons donc été contraints à 22h30, fin de l’audience, de menacer de bloquer le tribunal en présence de la presse et de nos avocats pour qu’une réquisition de véhicules adaptés nous ramenant à domicile soit organisée. Ce sont alors nos camarades qui ont dû remplacer les auxiliaires de vie pour que nous puissions manger, s’habiller, se coucher, cela est scandaleux ! D’autant que c’est épuisant de déranger toujours nos proches pour compenser nos droits non appliqués. J’ai vécu personnellement ce procès, d’une violence inouïe, comme un condensé de tout ce que la société capacitiste nous renvoie au quotidien ; de la maltraitance, du mépris, pire encore, de l’humiliation. Pour dire, même la majorité des avocats des parties civiles ont évoqué leur malaise quant aux conditions du procès et l’un d’eux a même exprimé de la “honte” de devoir plaider contre nous dans ces conditions ! »

Laurent Lejard, avril 2021.

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