Alors que le Gouvernement affirme tenir ses engagements de financement du médico-social et vient en aide aux départements pour financer partiellement l’extension de la revalorisation salariale du Ségur de la santé, les organismes du secteur non lucratif de l’aide à domicile pour les personnes handicapées ou âgées en perte d’autonomie sont en grande difficulté : « 37% des structures UNA se considèrent en difficulté financière en 2025 dont 17% en risque de rupture de trésorerie imminente », communique l’Union Nationale de l’Aide, des Soins et des Services aux Domiciles (UNA). Sa présidente, Marie-Reine Tillon, expose la situation.

Question : Comment s’explique la situation dégradée dénoncée par l’UNA ?

Marie-Reine Tillon

Marie-Reine Tillon : Les responsabilités sont partagées. Le financement de l’autonomie relève à la fois de l’État, pour les soins, et des départements pour la partie aide à domicile. Ce qui se passe, c’est qu’il y autant de politiques de l’autonomie que de départements. Il n’y a pas une règle mais des règles différentes de financement des services à domicile. D’une part, ça pose une question d’équité pour les citoyens dans la manière dont ils sont traités, dans l’accès aux aides dont ils ont besoin lorsqu’ils sont en perte d’autonomie. Ensuite, ça pose la question du droit : l’Allocation Personnalisée d’Autonomie et la Prestation de Compensation du Handicap sont des droits intégrés dans la branche Autonomie qui est la 5e branche de la Sécurité Sociale, et qui dit Sécurité Sociale dit universalité des droits. Cela n’est pas appliqué aujourd’hui en France. Quand on connaît le nombre de services à domicile en voie de disparition ou en grande difficulté, il faut s’interroger sur la réelle volonté des pouvoirs publics de faire en sorte que les personnes soient dignement accompagnées chez elles, qu’elles puissent vivre et non survivre.

Question : Ces difficultés existent depuis au moins vingt ans, elles étaient déjà au cœur de la loi de janvier 2002 sur l’action médico-sociale…

Marie-Reine Tillon : Tout à fait, mais on n’a jamais pris les moyens. Maintenant les besoins sont grandissants et les services en grande difficulté. Il faut arrêter de se cacher derrière son petit doigt, faire semblant de parler de virage domiciliaire et, à côté de ça, ne pas donner les moyens aux services d’aide au domicile de réellement fonctionner. Ou alors on dit clairement que c’est la loi du marché, la loi du plus fort et tant pis pour le reste à charge des personnes.

Question : La situation des personnels, ce sont des bas salaires, une faible considération et l’échec des plans de revalorisation de ces professions ?

Marie-Reine Tillon : Il y a des conventions collectives, quand même ! Pour la nôtre, l’avenant 43 a relevé de 15% à 18% les salaires depuis octobre 2021, ce qui permettait de revenir à peu près à la hauteur des conventions collectives des établissements médico-sociaux. L’avenant a été signé juste avant le Covid, et après, la prime Ségur [183€ NDLR] a fait remonter, et tant mieux pour eux, les salaires des personnels des établissements, mais pas pour le domicile, en nous disant « Vous avez eu l’avenant 43 donc ça vous suffit. » On se retrouve à nouveau en-dessous des autres conventions collectives. Nous demandons d’ailleurs une convention collective unique établissements-domicile.

Question : La tarification des services prestataires varie d’un département à l’autre, bien qu’il y ait un tarif national plancher qui est actuellement à 24,58€ de l’heure au titre de la PCH, avec des départements qui paient plus et d’autres moins…

Marie-Reine Tillon : Soyons clairs. La tarification de par la loi de 2002, c’est la tarification au coût de revient du service, 24,60€ maintenant. Le tarif socle a été mis en place par le Gouvernement parce que, précisément, des départements étaient en-dessous des coûts de revient. Le 24,60€ ne correspond pas au coût de revient, c’est un tarif particulièrement plancher, mais ça permettait d’aider certains départements, plutôt les mauvais élèves d’ailleurs, à augmenter leurs tarifs. Le coût de revient est aujourd’hui au-delà de 30€, toutes les fédérations du lucratif, non lucratif et service public vous diront la même chose, on est autour de 32-33€ de l’heure. Moins d’une dizaine de départements financent au vrai coût de revient de l’heure.

Question : Alors, comment font les bénéficiaires pour accéder aux services à la personne quand ils doivent payer plus que le tarif pris en charge par l’APA ou la PCH ?

Marie-Reine Tillon : Une étude de la DREES montrait que 47% des personnes ne prenaient qu’une partie de leur plan d’aide, et certains pas du tout, à cause de ce qui était à l’époque [en 2017 NDLR] le reste à charge légal ; quand vous touchiez l’APA, vous aviez un petit reste à charge. Mais maintenant, le coût du reste à charge est beaucoup plus élevé puisque les départements ne tarifient pas au coût de revient; les services prestataires sont obligés de facturer la différence. Donc il y a plein de gens qui ne bénéficient pas des heures auxquelles ils auraient droit parce qu’ils ne peuvent pas payer le reste à charge.

Question : Quelle est la doctrine des départements quand ils constatent, lors du contrôle d’effectivité, que des bénéficiaires ne consomment de ce fait qu’une partie de leurs plans d’aide ? Ils sanctionnent ou laissent faire ?

Marie-Reine Tillon : Ils laissent faire. Ça les arrange, ça fait moins à payer ! Il n’y a pas de réaction de ce côté-là.

Question : Et que répondent les deux ministres de tutelle à vos demandes ?

Marie-Reine Tillon : La ministre des Solidarités, Catherine Vautrin, ne nous a pas reçu, nous ne l’avons pas rencontrée malgré nos relances. Je crois que la ministre déléguée aux Personnes handicapées ou âgées, Charlotte Parmentier-Lecocq, est parfaitement consciente des problèmes, sauf que je ne suis pas sûre qu’elle soit décideuse dans cette histoire. Il y a besoin d’une vraie grosse réforme de structuration de l’aide à domicile et de l’autonomie en général. Pas mal de ministres qui sont passés ont promis, et rien ne se fait. On fait savoir ce qu’il en est, parce que, quand même, l’APF et l’AFM-Téléthon avaient alerté en octobre 2023 la Défenseure des Droits sur le fait que nombre de personnes n’étaient pas accompagnées comme il se doit à domicile et qu’il y avait même mise en danger dans le domaine du handicap du fait du manque de services à domicile. Il va y avoir des drames à domicile, c’est évident. Maintenant, si tout le monde s’en fiche, on aura alerté. Il y a un moment où il faut mettre les responsables devant leurs responsabilités.

Laurent Lejard, mai 2025.

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