Comme son prénom le laisse deviner, Armel Gueguen est Breton. Il vit à Morlaix (Finistère), ville mal commode et peu accessible pour un jeune homme handicapé de 32 ans qui se déplace en fauteuil roulant : cinéma, théâtre, bibliothèque inaccessibles, entre autres. Et des rues pavées que son père avait fait sauter à la pioche ! Parce que père et fils sont atteints de la même maladie génétique : « Dans ma famille, raconte Armel, on est assez nombreux à vivre la même maladie invalidante. Mon père était militant à Morlaix. Dans les années 70, il avait enlevé des pavés de la Grand-Place à coups de pioche, taggué au sol des places de stationnement et distribué aux passants des faux bâtons de dynamite ! Les gendarmes ont été bienveillants, certains étaient même assez favorables. Il n’y a pas eu de poursuites. » Un père qui ne s’en est pas tenu là : « Jeunes adultes, mon père est parti avec ma mère au Pérou où ils ont rencontré l’extrême misère des personnes handicapées. De retour en Bretagne, il a récupéré une masse de matériel orthopédique, fauteuils, béquilles et autres, et expédié un conteneur. Il a monté des partenariats avec des lycées bretons. Au Pérou, des ateliers ont été créés pour que les gens fabriquent et réparent fauteuils roulant, prothèses et aides techniques. Il y allait avec des ergothérapeutes. Et il a dû composer avec la corruption et la guérilla du Sentier lumineux. »

S’il a acquis au contact de son père le goût d’une vie combative, Armel Gueguen agit sur son territoire. Ancien des Jeunesses Communistes Révolutionnaires (JCR) et de la Confédération Nationale du Travail (CNT), il n’est plus engagé dans une formation politique : « Je suis devenu militant au contact de mon père et en réaction aux discriminations. La création du collectif anti-capacitiste du Pays de Morlaix est assez récente, sa première action a eu lieu il y a 18 mois pour demander le b.a.-ba, la mise en accessibilité pour tous des services publics : lors d’un samedi jour de marché où il pleuvait à torrents, on a eu près de 70 personnes. On organise régulièrement des projections de documentaires, des rencontres scolaires. Sans parti pris, tout le monde vient avec ses propositions, qu’il soit en situation de handicap ou pas. »

Un collectif qui prend appui sur une doctrine récente en France, le capacitisme : « Au départ, on utilisait plutôt le terme validisme, c’était celui avec lequel on était le plus à l’aise pour qualifier la société pensée pour et par les personnes dites valides en excluant tous ceux et celles qui ne le sont pas. Sur Internet, on a trouvé l’expression anti-capacitisme qui élargit la réflexion et le champ des personnes concernées. Le capacitisme, c’est juger des personnes sur ce qu’elles ne peuvent pas faire, une approche créatrice de discrimination. » Une situation qu’Armel Gueguen vit depuis que l’évolution de son état physique le contraint de se déplacer en fauteuil roulant : « J’ai commencé à être discriminé parce que mis en situation de handicap. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, que la société ouvre les yeux, et j’ai monté le collectif. À titre plus personnel, j’ai créé une conférence gesticulée pour faire comprendre ce que c’est qu’être discriminé parce qu’en situation de handicap. C’est un show d’anecdotes vécues; à partir d’elles on émet une critique de la société, en théâtralisant pour dénoncer les discriminations. C’est plus vivant qu’un rapport de thèse ! »

Le collectif devrait prochainement évoluer vers des actions plus spectaculaires : « Pour se faire connaître, on a organisé des choses un peu gentilles, on commence à avoir du monde, et on pourrait mener des actions plus fortes maintenant qu’on est plus nombreux. Par exemple, bloquer le cinéma qui est inaccessible. Morlaix est une ville où on ne peut pas faire grand-chose : la bibliothèque, le théâtre, le cinéma, les bars sont inaccessibles. Tout est question de définition, on ne peut pas entrer en autonomie parce qu’il y a toujours quelques marches, il faut être porté; c’est le cas du théâtre. On perd ce sentiment de faire partie de la Cité, on ne se sent plus citoyen. » Mais faute de réseau, il s’organise localement sans relation avec les quelques collectifs ou activistes de par la France : « On n’a pas fait le chemin pour contacter d’autres collectifs, on est un peu isolé, sans contact avec d’autres groupes. Jusqu’à il y a quelques mois, on était moins de dix à être actifs, et je suis assez allergique aux réseaux sociaux… On a mis beaucoup d’énergie à se faire connaître localement. La seule association avec laquelle on a été en contact était l’AFM-Téléthon, qui n’a pas supporté une critique du Téléthon : son représentant nous a dit ‘comment vous allez récupérer des sous ?’, alors que ce n’est pas notre démarche. On trouve pitoyable que ce soit la société civile qui finance la recherche sur les maladies génétiques et pas l’État qui se dédouane de son rôle sur les associations. »

À cet égard, la perception d’Armel Gueguen de la politique nationale en direction du handicap est sans illusion : « C’est une politique de façade, jeter quelques miettes en augmentant de 90€ l’Allocation Adulte Handicapé. Mais avec des restrictions pour le bénéfice de la Prime d’activité [lire l’actualité du 4 octobre 2018], le recul d’accessibilité des logements inscrit dans la loi ELAN. On ne pourra pas aller voir un voisin par exemple, pour boire le thé… Pour le président Macron, on est juste des faire-valoir, une espèce de pansement. » Des critiques qui le conduisent à exposer son projet politique : « Que l’on soit davantage représentés dans les institutions représentatives, les médias publics, que le Gouvernement respecte l’obligation d’emploi et que les principes de la loi de 1975 soient enfin réellement appliqués. » 44 ans après, il serait en effet temps que « la prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapés physiques, sensoriels et mentaux constituent [réellement] une obligation nationale. »

Laurent Lejard, février 2019.

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