On peut se poser la question de savoir si aujourd’hui le marché du travail n’a pas fait place au marché du salarié. Quelques jours de week-end, des semaines passées à être ailleurs qu’à vos domiciles respectifs peuvent vous conduire à le penser réellement.

Sur le sort des voyageurs

Il y a les malheurs de Sophie et il y a les malheurs des touristes en 2022. À la faveur non pas de la réouverture des frontières mais tout simplement de la liberté d’aller et venir chère à nos coeurs, on a pu constater des dysfonctionnements importants par rapport à la qualité des prestations des restaurateurs, aubergistes, hôteliers, clubs de vacances, compagnies aériennes ou de croisières, et même des contrôleurs des aéroports d’Orly ou de Roissy Charles de Gaulle. Saviez-vous que ce dernier est probablement le troisième plus important au niveau européen ?

Des bagages sont pourtant perdus ou endommagés. L’aéroport de Schiphol, tout près d’Amsterdam, est lui aussi parmi les plus fréquentés d’Europe et il fonctionne avec seulement 50% de son personnel habituel [Son PDG a démissionné le 15 septembre NDLR.] Le Terminal 4 d’Orly (ex-Orly Sud) est à son comble déjà au 14 juillet avec un seul employé pour aider les voyageurs, retardataires ou pas, à éditer sur les bornes libre-service les étiquettes bagages et, bien sûr, les cartes d’embarquement. Pourtant, nombre de machines sont libres mais elles ne fonctionnent tout simplement pas :

  • La « douchette » ne lit pas la carte d’embarquement,
  • La balance affiche un poids anormal,
  • La carte d’embarquement est imprimée mais le « gong » de l’heure limite d’enregistrement est tombé et il est trop tard pour que l’étiquette bagage soit délivrée…

On se demande quand la clientèle d’Air France va finalement devoir piloter l’avion ! De plus, ce que l’on ne vous dit pas c’est que le personnel qui vérifie l’aéronef est en sous-effectif : un professionnel contre des équipes de 5 ou 10 pour vérifier le moindre boulon. Un retard de la compagnie pour préparer l’avion qui fait inlassablement le même parcours ? Eh bien on force le bétail passager à entrer dans l’avion le plus vite possible. La convention de Varsovie prévoit en effet, selon le retard mais aussi le type de vol (national ou international), le remboursement partiel.

Les croisiéristes qui ont tant souffert du Covid n’ont pas eu, quant à eux, le temps ou l’envie de choisir de mettre à jour les règles sanitaires qui leur sont propres ; la libre circulation sans passe sanitaire est rétablie dans toute l’Europe dès la fin du mois de juillet mais ils demandent toujours 2 doses de vaccins, même à un enfant de 12 ans qui a reçu la seconde juste 15 jours avant la date de départ. Mais quels sont les droits des voyageurs : le client est roi, rappelons-le, car c’est lui qui nourrit tout le tissu du voyage !

Le Covid a bon dos. Les salariés ont-ils encore envie de travailler alors qu’on leur a appris que, passé un à trois mois, un simple arrêt maladie leur permettait de toucher la même rémunération et d’en profiter tranquillement ? L’hôtelier investit-il toujours ou cherche-t-il désespérément à maintenir sa rentabilité ? Il ne vérifie pas les filtres de ses climatiseurs, sa literie pas plus que les dates de péremption de ses produits alimentaires. S’il n’investit plus, de quoi sera donc fait demain ?

Sur le sort des salaries du tourisme :

Le monde du travail a-t-il vraiment changé ? Trois fois oui ! Qu’indiquent les spécialistes sur cette question :

  • Mondialisation et compétitivité internationale,
  • Restructuration et délocalisation d’entreprises,
  • Changements technologiques et organisationnels,
  • Tertiarisation de l’économie,
  • Vieillissement et féminisation de la main-d’œuvre sont au nombre des facteurs qui transforment le monde du travail.

C’est ce que l’on peut lire dès 2013 chez l’éditeur Presse du Québec dans l’ouvrage intitulé « Transformations du monde du travail – regards interdisciplinaires en relations industrielles .» A côté de cela, en France, fleurissent les tentatives pour faire travailler de nouveau les salariés ou les diriger vers d’autres voies que celles dont ils rêvent. C’est ainsi que le hashtag de Pole Emploi s’intitule #TousMobilisés, en réalité une opération lancée par Pole Emploi pour accompagner le plan gouvernemental de relance. Des événements sont ainsi organisés dans chaque agence pour :

  • Rencontrer directement des employeurs qui recrutent,
  • Faire découvrir les métiers,
  • Promouvoir les opportunités de formation.

Cependant, le marché du travail se définit communément comme le point de rencontre entre une demande, les employeurs qui recherchent des compétences, et des personnes qui peuvent la satisfaire, les chercheurs d’emploi. Or, les salariés expérimentés ne peuvent subir les mêmes pressions que les jeunes gens, diplômés ou pas, qui cherchent à tout crin à vivre par leurs propres moyens. Pourtant, le travail occupe une place essentielle dans nos sociétés, même par son absence.

  • C’est une des bases de l’économie.
  • C’est la source principale des revenus qui autorise l’accès à la consommation.
  • C’est aussi la voie principale de l’insertion sociale.

Dans les faits, près de 26 millions de personnes ont un emploi, soit 64% des personnes en âge de travailler (de 15 à 64 ans.) Le secteur tertiaire concentre aujourd’hui 79% des emplois. Les autres secteurs d’emploi sont l’industrie (12%), la construction (6%) et l’agriculture (3%.) Alors, que font les employeurs aux salariés : ils les embauchent, les paient mais ne les forment plus. Le cuisinier ne sait pas faire cuire du bacon : ce n’est pas grave, la viande baignera dans l’huile et ne sera pas cuite… Nous n’avons pas été livrés suffisamment en oeufs : le cuisinier, les serveurs n’ont pas même l’initiative de passer à la supérette acheter quelques boîtes pour satisfaire les clients. La mère supérieure, la grande prêtresse des chambres mises à disposition est souffrante pour une affection longue durée (ALD), on ne peut pourvoir à son remplacement : on ne sait pas quand elle rentrera. Tant de dysfonctionnements vécus par les voyageurs qui ont pourtant payé sans sourciller – ah ! ces chères vacances – ne sont pas mérités.

Qui va en définitive profiter de ces faits :

  • Le personnel sous-qualifié qui fait ce qu’on lui demande de faire, à supposer qu’il comprenne bien les instructions,
  • Les laissés pour compte.

Est-ce l’avenir que l’on souhaite à nos enfants, à ceux auxquels nous avons payé des études et à nous, qui voulons juste nous prélasser temporairement ? Ne pourrait-on pas tout simplement prévoir une transformation du sacro-saint CDI pour les scinder en deux par jour : un emploi de 7 à 14h et un second de 14 à 20h par exemple et ainsi de suite travail de nuit/ travail de jour ? C’est un modèle très répandu dans les pays anglo-saxons et qui fonctionne très bien.

C’est ainsi que ceux qui ont envie de beaucoup travailler pour avoir de forts revenus le peuvent, et ceux qui veulent profiter de la vie le peuvent aussi. Les saisonniers l’ont compris depuis des années et ne s’en privent pas.

Et vous, la glace vous la préférez à la fraise ou au chocolat ?

Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), septembre 2022.

Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d'Arbitrage.
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