« Cette jeune fille de 25 ans, dont le taux de handicap est de 80 %, travaille ; tout ce à quoi elle aspire, le jour où elle rencontrera l’amour et, peut-être, se mariera, est d’être le pilier de son couple. » En quoi ces aspects de la vie privée de la fille de la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, intéressent-ils les députés et la Nation ? L’exposition, le 7 octobre dernier à l’Assemblée Nationale, de la vie de cette jeune femme par sa mère-ministre avait un but : appuyer ses arguments contre une indépendance financière dans le couple dont un membre perçoit l’Allocation Adulte Handicapé (AAH). « Peut-être rencontrera-t-elle quelqu’un qui ne pourra pas travailler, poursuivait Sophie Cluzel. Si elle était en couple, elle ferait partie de ces 44.000 personnes qui perdraient à votre proposition de loi et que la fiscalisation actuelle protège. »

On pourrait penser que c’est au nom des futurs droits de sa fille que la mère-ministre veut maintenir des centaines de milliers d’allocataires dans la dépendance. Elle utiliserait ainsi son pouvoir pour favoriser l’avenir qu’elle envisage pour son enfant dont elle a maintes fois piétiné la vie privée pour la livrer en pâture à l’opinion publique par voie de presse. On se rappelle un « reportage » que Paris Match a réalisé à la Présidence de la République et publié le 25 mai 2017 dans lequel tout était relaté : la naissance, l’annonce du handicap et son impact professionnel, l’évolution de l’enfant et son insertion professionnelle… à la Présidence de la République. Des articles ultérieurs dans la presse d’actualité et people ont exposé d’autres éléments personnels de la vie de la fille de Madame Cluzel : gestion de ses revenus, installation dans un appartement et vie indépendante avec soutien spécialisé, emploi dans un café, et même relation amoureuse. Ce n’est jamais cette jeune femme qui s’exprime dans la presse, mais sa mère qui parle d’elle, et même pour elle. Le summum (temporaire ?) a donc été atteint ce 7 octobre à l’Assemblée Nationale lors de l’examen d’une proposition de loi contenant la déconjugalisation de l’AAH : « Je vais vous parler sincèrement en vous rappelant que je suis maman d’une jeune fille handicapée : je sais ce que cela signifie et tous les jours, je me lève pour améliorer la vie des personnes handicapées. » Quel dommage que ces dernières n’aient pas le même sentiment…

Ce que l’on a constaté dans ce débat parlementaire, c’est l’utilisation de personnes handicapées, qui n’avaient pas la parole, pour justifier une politique néfaste. La députée macroniste Christine Cloarec-Le Nabour y a ajouté sa pierre : « J’ai été enfant aidante pendant quarante ans. La galère, nous l’avons connue en famille. Le fait d’être dépendants – toujours, de tous et de tout –, nous l’avons connu en famille. Le fait de ne pas pouvoir aller partout, entrer partout, faire comme tout le monde, nous l’avons connu en famille. » Pourtant cette galère, cette dépendance découlant du handicap de son père, Christine Cloarec-Le Nabour les convoque pour justifier son refus de déconjugaliser l’AAH : à ce niveau d’aveuglement et d’instrumentalisation, le débat n’était plus possible, comme l’a justement pointé le député Les Républicains et rapporteur du texte Aurélien Pradié :

  • « Nous touchons là un sujet essentiel sur lequel les uns et les autres feront valoir leurs convictions. Madame Cloarec-Le Nabour, je vous parlais tout à l’heure de pudeur ; voulez-vous qu’on fasse un concours, vous évoquant votre père, moi le mien,…
  • Christine Cloarec-Le Nabour : Arrêtez avec ça, c’est bon !
  • Aurélien Pradié : Madame la secrétaire d’État, sa fille ? Ce n’est pas nécessaire. Quoi que nous ayons vécu, nous sommes tous, ici, convaincus de la nécessité des mesures que nous défendons. Il ne s’agit pas de déballer notre vie – je ne l’ai jamais fait et vous n’auriez peut-être pas dû le faire –…
  • Christine Cloarec-Le Nabour : Si !
  • Aurélien Pradié : … Pour justifier des positions injustifiables. »

La vie de la fille de Sophie Cluzel ne regarde qu’elle, l’étaler dans la presse et à l’Assemblée Nationale pour étayer une argumentation politique est tout simplement indigne.

Laurent Lejard, octobre 2021.

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