Il manque encore la moitié des signatures nécessaires pour que le Sénat s’en saisisse : la pétition en faveur de l’indépendance financière des conjoints de couples handi-valide a décollé depuis que la presse grand public l’a évoquée, fin décembre, suscitant un intérêt et une accélération des signatures. Jusqu’alors, c’est sur les réseaux sociaux que Véronique Tixier et Sylvain du Villard ont fait connaître leur initiative qui avait recueilli 30.000 approbations en trois mois et demi. Mais il en faut 100.000 d’ici au 10 mars prochain pour que la Conférence des présidents des groupes parlementaires du Sénat soit saisie d’une proposition de loi.

Indu d'AAH

Et ce texte existe, il est déposé sur le bureau de la Haute Assemblée depuis le 13 février dernier et son adoption surprise à l’Assemblée Nationale : la proposition de loi supprimant la prise en compte des revenus du conjoint ou assimilé pour calculer le montant de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) était adoptée contre la volonté du Gouvernement et plus particulièrement de Sophie Cluzel, secrétaire d’État aux personnes handicapées. Elle n’avait d’ailleurs pas hésité à biaiser ses propos lors du débat parlementaire, invoquant davantage de couples perdants que gagnants pour dissuader les députés : « Voici ce que je vous propose : je m’engage devant vous tous dans cet hémicycle à vous présenter d’ici à juin un rapport très circonstancié sur les perdants et les gagnants. » Plus de six mois se sont écoulés depuis ce mois de juin, la ministre n’a pas remis ce rapport aux parlementaires.

Un vote acquis contre la majorité gouvernementale dont les représentants « de permanence » ce soir-là ont préféré rester à la buvette ou dans leur bureau : en bons petits soldats (ou Playmobil dirait François Ruffin), ils avaient rejeté 12 jours plus tôt une proposition de loi allongeant de 7 jours le congé parental en cas de décès d’un enfant. En suivant aveuglement l’argumentation de la ministre du Travail d’alors, l’affairiste Muriel Pénicaud (recyclée depuis à l’OCDE outre ses nombreux sièges très lucratifs dans des conseils d’administrations de multinationales) qui défendait les intérêts des employeurs alors que le président du Médef, Geoffroy Roux de Bézieux, affirmait de son côté son soutien à cette extension. Accusés « d’inhumanité » dans une polémique nationale, désavoués par le Président de la République, les députés macronistes n’ont pas voulu s’en reprendre une couche. Et voilà ce texte sur voie de garage au Sénat depuis dix mois : cette assemblée avait rejeté le 24 octobre 2018 un texte similaire défendue par la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly. Depuis, une élection a renouvelé une partie de ses membres mais oseront-ils désavouer leurs collègues deux années plus tard ?

Une affaire de couple

« On a été touchés par ce problème de perte de l’AAH à la naissance de mon fils, né le 9 décembre 2015, explique Véronique Tixier. On vivait ensemble sans PACS ni mariage. A l’hôpital, on nous a demandé de remplir des papiers et d’indiquer depuis quand on vivait ensemble, on a répondu le 31 mai. » Cette formalité était nécessaire pour que les parents perçoivent la prime de naissance versée par la Caisse d’Allocations Familiales, 900€, mais a entraîné le recalcul de l’AAH attribuée à Véronique : le 18 février 2016, elle ramenait cette Allocation Adulte Handicapé (AAH) à zéro et réclamait à Véronique 4.445€ de trop-perçu ! « Ça nous a instantanément endettés, ajoute Sylvain du Villard. Encore aujourd’hui, on ne parvient pas à finir notre maison en cours de rénovation. On n’a pas pu installer le chauffage central. » Et cette perte de revenus génère un déséquilibre dans le couple, une dépendance financière qui s’ajoute à la dépendance physique.

Véronique Tixier est devenue handicapée motrice à l’âge de 8 ans par la faute d’un automobiliste qui a pris la fuite. Rattrapé, cet expert-comptable a été condamné à de la prison ferme mais s’en est finalement sorti en payant… sans indemniser Véronique qui n’a perçu que 25.000€ d’indemnités, pour deux jambes en miettes, de multiples opérations et greffes osseuses pour retrouver la station debout, et des graves séquelles : une différence de hauteur de ses jambes l’obligeant à porter une chaussure à hauteur compensée de 6 centimètres, une déformation de la colonne vertébrale, des douleurs résiduelles. Et à cela s’ajoute un trouble bipolaire diagnostiqué pour ses 25 ans. Le couple vit en territoire rural, à 45 minutes de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Sylvain est salarié et écrivain, il touche une rémunération qui dépasse le plafond qui, à l’époque, était égal à deux fois le montant annuel de l’allocation. Parce que depuis 2019, ce plafond a été abaissé à 1,8 fois ce montant soit 1.620€, réduisant davantage encore l’AAH d’un conjoint. « On a sonné à toutes les portes, poursuit-il. Au Défenseur des Droits, au médiateur européen qui nous a répondu, le député de Haute-Loire Jean-Pierre Vigier. Il a défendu un amendement au projet de loi de finances 2021 qui a été rejeté. »

La première pétition à fonctionner

Pétition au Sénat, cliquez pour aller signer

« 115 pétitions ont été publiées depuis le lancement de la plateforme de e-pétitions du Sénat le 23 janvier 2020, précise le service de presse du Sénat. La pétition 416 intitulée Désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) est la plus signée ce jour. » Si elle atteint 100.000 signatures, elle sera vérifiée puis « transmise à la Conférence des Présidents lors de sa plus prochaine réunion qui renvoie la pétition à la commission permanente compétente » qui effectuera « un second contrôle de recevabilité. » Mais au-delà de ces questions de procédure et de conditions assez drastiques, la crédibilité du Sénat est en jeu : il a ouvert aux citoyens un droit de le saisir, il perdrait toute crédibilité en opposant des arguments tels que le dépôt d’une « proposition de loi reprenant le dispositif de la pétition, éventuellement modifié. Le fait que la proposition de loi reprend une pétition transmise par la Conférence des Présidents doit être mentionné dans l’exposé des motifs. La proposition de loi sénatoriale est alors transmise à la Conférence des Présidents. » Parce que le texte existe déjà, et qu’il n’attend plus que le bon vouloir de cette assemblée parlementaire pour être mis à l’ordre du jour, et qu’enfin les gens qui s’aiment et font le projet de vivre ensemble ne soient plus pénalisés parce que l’un des conjoints est handicapé.

Alors, signez et faites signer. Il suffit de s’identifier au moyen d’un compte France Connect, ou son numéro fiscal, ou son numéro de Sécurité Sociale. C’est simple et rapide, quelques instants pour contribuer à régler une incongruité indigne de la « société inclusive » que le Gouvernement prétend bâtir.

Laurent Lejard, janvier 2021.

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