Ce qui est arrivé le 22 janvier 2013 à un travailleur roubaisien en Établissement et Service d’Aide par le Travail (Esat) qui rentrait chez lui après sa journée de travail n’est pas un incident rare : le conducteur d’un autobus a refusé de le laisser monter à bord au motif que s’y trouvait déjà un voyageur en fauteuil roulant. Mais l’attente excessive (plus d’une quarantaine de minutes sous une température négative) du bus suivant, et l’absence d’excuse de l’exploitant des transports de l’agglomération de Lille, Transpole, ont eu comme conséquence une procédure en justice.

Un an plus tard, le 28 janvier 2014, le juge de proximité a rendu en dernier ressort une décision remarquable, considérant que Transpole avait manqué « à son obligation contractuelle de transport à l’égard [du client] en lui refusant l’accès au bus du réseau dont elle est exploitante alors qu’il est titulaire d’un titre de transport ne comportant aucune restriction liée à son handicap. » Comme d’habitude, le transporteur a invoqué la sécurité du passager, argument balayé par le juge, de même que l’invocation légale d’un seul emplacement obligatoire par autobus : « Transpole reconnait que l’accès au bus a été refusé [au client] au seul motif que l’emplacement réservé aux handicapés en fauteuil roulant était déjà occupé sans pour autant démontrer qu’un autre emplacement dans le bus pouvait compromettre la sécurité du demandeur et celle des autres passagers. »

Plus intéressant encore, car dynamitant les règlements des réseaux de transport terrestre : le règlement d’exploitation de Transpole « ne fait que prévoir un emplacement complémentaire sans aménagement spécifique, destiné à améliorer le confort des personnes handicapées; qu’interpréter cet alinéa comme une disposition limitant l’usage des transports en commun aux personnes handicapées, au seul emplacement qui leur est réservé, aboutirait à opposer le même refus aux invalides, femmes enceintes, personnes âgées dès lors que la place assise qui leur est réservée est déjà occupée par une personne présentant les mêmes caractéristiques, ce qui n’est pas concevable. » Ajoutons que cela ferait même scandale ! Au regard de l’article 1147 du Code Civil, le juge n’a donc pu que constater la défaillance de Transpole quant à son obligation contractuelle de transport, et la sanctionner de l’euro symbolique de dommages et intérêts demandé par le client.

« Transpole n’a pas de commentaires particuliers à faire », écrit son service de presse. De même, la communauté d’agglomération Lille Métropole reste sans voix au sujet d’une affaire dont on peut tirer plusieurs enseignements. D’abord, le client maltraité n’aurait pas engagé de poursuites judiciaires si l’exploitant l’avait écouté, s’était excusé du désagrément. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est produit en décembre 2013 à Chambéry (Savoie) lorsqu’un paraplégique a attendu près d’une heure que des policiers déplacent leur véhicule pour qu’il puisse accéder au sien pourtant stationné sur un emplacement réservé. L’un des policiers s’étant bardé de son autorité et du prétexte « je viens faire mon travail » pour ne pas s’excuser, ses supérieurs l’ont contraint à rencontrer la victime, à dialoguer entre adultes responsables et un point final a été mis à l’incident. Les personnes handicapées ne sont pas spontanément procédurières, elles demandent simplement à être respectées (comme toutes les autres) et à être considérées dans leurs besoins spécifiques : la judiciarisation d’un problème d’accessibilité résulte toujours de cette absence de respect.

Autre enseignement de cette affaire : les exploitants des transports collectifs interprètent à leur manière leurs obligations légales et réglementaires. Ils limitent l’accès des personnes en fauteuil roulant aux autobus sans tenir compte des circonstances, comme dans cette affaire lilloise où le véhicule était peu rempli. Voilà qui va obliger les exploitants et leurs donneurs d’ordres que sont les collectivités territoriales à réviser les conditions qu’ils imposent aux voyageurs en fauteuil roulant, qui disposent désormais d’un premier jugement pour faire valoir leur liberté de se déplacer quand ils le veulent. Il n’est pas certain, en outre, que les prochaines condamnations, s’il y en a, se limitent à l’euro symbolique…

Laurent Lejard, janvier 2014.

Le jugement RG 500-2013 du 28 janvier 2014 prononcé par le juge de proximité de Lille est téléchargeable au format PDF image en suivant ce lien.

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