Question : Quel a été votre parcours personnel et professionnel ?
Anthony Guyon : J’ai connu trois écoles. D’abord à Lyon, au Centre de Rééducation de l’Ouïe et la Parole pour seulement une année, mes parents ont décidé de m’en retirer car cette école n’était pas adaptée pour moi. Ils m’ont placé en internat à l’Institut des Jeunes Sourds de Bourg-en-Bresse (Ain), de 1985 à 1997. Ensuite, je suis allé à l’Institut National des Jeunes Sourds de Chambéry (Savoie) où j’ai pu commencer à apprendre le métier de comptable et le secrétariat. En réalité, je n’ai pas choisi : autrefois il n’y avait que peu de choix comme métier pour les Sourds. Dans mon rêve, je souhaitais devenir comédien ou acteur, mais à l’époque on disait que ce n’était pas pour les Sourds. J’ai vite abandonné mon parcours scolaire quand j’avais 18 ans, et j’ai essayé de m’orienter vers l’infographie, j’ai suivi une formation de six mois à Lyon. Mais personne ne voulait m’embaucher du fait de ma surdité, donc j’ai abandonné à nouveau ! Ensuite une femme sourde, Fabienne Schindler que je connaissais m’a proposé de devenir formateur de langue des signes dans un établissement lyonnais, je l’ai intégré pour voir si ce métier me plaisait ou pas. J’ai vite accepté parce que dans cette formation, il y avait des salariés sourds et entendants, je pouvais enfin m’épanouir grâce à la fluidité de la communication. Mais dans ma tête, je souhaitais toujours devenir comédien.
Question : Comment y êtes-vous parvenu ?
Anthony Guyon : Alors, quand j’étais formateur, j’ai rencontré une conteuse bilingue, Patricia Mazoyer, qui maîtrisait la langue des signes et avait fondé sa compagnie, La Main Tatouée, en 2000 (lire cet article). Elle cherchait un conteur Sourd et j’ai accepté parce que j’adore raconter les histoires. Avec elle, on est devenu un duo et on a joué dans plus de cinquante villes en France. Parallèlement, je continuais à travailler au centre de formation de la langue des signes, et j’ai rencontré la danseuse et comédienne Géraldine Berger qui a décidé d’apprendre la langue des signes pour son personnel, et m’a fait rencontrer Anne de Boissy, gérante du Nouveau Théâtre du 8e [NTH8, qui n’existe plus aujourd’hui, lire cet article].
Elle souhaitait développer la langue des signes dans ce théâtre, vu que la loi du 11 février 2005 demande de mettre en place l’accessibilité dans la culture. J’ai travaillé avec Géraldine Berger pour plusieurs événements comme la Biennale de danse à Lyon, des ateliers de théâtre. Et Anne de Boissy m’a proposé d’être artiste associé du NTH8 pour que je sois référent Sourd auprès de la communauté sourde et de la politique culturelle de la ville de Lyon. Mais le problème était que je n’étais pas formé en tant que comédien ; alors le théâtre a décidé quand même de me prendre comme artiste sourd associé pour plusieurs créations, ateliers, événements culturels, j’étais pionnier de la culture sourde dans ce théâtre, j’ai appris rapidement le métier sur le terrain. Ensuite, j’ai proposé au NTH8 de faire des ateliers, des créations en langue des signes et pour les Sourds, et l’équipe a remarqué que j’avais des compétences et de la motivation. En 2008, Anne de Boissy m’a conseillé de fonder ma compagnie afin de développer plus d’activités culturelles et artistiques en langue des signes, avec son identité artistique et ses projets liées à sa culture. Le NTH8 m’a soutenu sur le plan logistique, financier et humain, et le 14 février 2008 j’ai créé ma compagnie ON OFF. Depuis elle a développé de plus en plus d’activités artistiques et culturelles dans la région lyonnaise. [Ces activités sont publiées par la compagnie dans l’agenda du Parcours Culturel Spectateurs Sourds en Auvergne Rhône-Alpes NDLR.]
Question : Qu’est-ce qui a changé ces dernières années pour les Sourds sur la scène culturelle lyonnaise ?
Anthony Guyon : Depuis la création de ma compagnie théâtrale à Lyon et la loi du 11 février 2005, la situation évolue pour l’accès à la culture, le théâtre, le cinéma, le concert, etc. Avec la compagnie ON OFF, nous travaillons régulièrement pour mettre en place la langue des signes afin d’accueillir les Sourds lyonnais dans les lieux de théâtre, cinéma, festivals. Concernant le théâtre, je travaille régulièrement avec le Théâtre du Point du Jour et la Maison de la Danse à Lyon, la Comédie de Valence (Drome) et quelques lieux ponctuels, et surtout les collectivités territoriales soutiennent régulièrement la compagnie. Et je peux constater l’affluence des Sourds lyonnais qui viennent de plus en plus au théâtre, et des entendants curieux de voir les spectacles en langue des signes. A Lyon, on peut dire que cinq à huit spectacles en langue des signes sont programmés pendant l’année. C’est un bon début. Et bien sur, il y a d’autres événements culturels accessibles pour les Sourds. En gros, à Lyon, on peut voir qu’il y a pas mal d’offres culturelles pour les Sourds par rapport au début des années 2000. 20 ans d’évolution, mais il nous reste encore du travail à faire.
Question : Mais qu’en est-il pour les artistes sourds ?
Anthony Guyon : Pour les comédiens sourds, c’est très difficile. A Lyon, il y a seulement deux comédiens sourds avec le statut d’intermittent du spectacle [507 heures de travail sur 12 mois.] En France, je peux dire qu’il y aurait entre 20 et 30 intermittents du spectacles Sourds. Il m’arrive parfois d’avoir des difficultés à trouver un comédien sourd pour travailler à Lyon. En ce moment, on travaille pour créer une école du théâtre pour les futurs comédiens Sourds, on y travaille avec plusieurs structures du théâtre pour mettre en place la formation. A l’avenir, j’espère qu’à Lyon il y aura des comédiens Sourds parce qu’à chaque fois, je dois engager des comédiens Sourds de Paris ou de Toulouse, ça demande un budget supplémentaire pour les frais de déplacement et de séjour.
Question : L’État et les collectivités territoriales réduisent l’aide au spectacle vivant, quel est l’impact sur vos projets ?
Anthony Guyon : Pour les aides financières auprès de l’État et les collectivités territoriales, ma compagnie les reçoit tous les ans, il n’y a pas de forte baisse de ces aides. En général, ils donnent les subventions régulièrement, pour le même montant (heureusement !) mais pour les prochaines années, je ne peux pas dire. Par contre, avec mon équipe on essaie de trouver d’autres ressources comme proposer des formations, des sensibilisations. Et nous nous orientons aussi vers les fondations. Ma compagnie travaille avec la Fondation de France qui nous soutient depuis 2024. Oui, la santé financière de ma compagnie reste toujours un sujet de vigilance.
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2025.
Avec le soutien d‘Acceo-Tadeo



