Dix ans après un premier reportage, la troisième ville de France (dont, à l’instar des grandes métropoles, il serait illusoire de vouloir détailler exhaustivement les points d’intérêt) a beaucoup développé son activité culturelle, y compris accessible aux publics handicapés, au point de faire récemment l’actualité grâce à l’ouverture du très attendu Musée des Confluences, prétexte à ce nouveau tour d’horizon sélectif…

La Confluence est le plus récent territoire de Lyon, moins de 200 ans d’existence, et le plus actif du fait de sa réhabilitation totale. Un peu d’histoire pour comprendre. En 1766, l’ingénieur Perrache avait proposé à la municipalité d’étendre la ville au sud de la presqu’île d’entre Saône et Rhône en remblayant les ilots qui parsemaient le confluent, alors proche de l’actuelle place Bellecour. Ce n’est qu’avec le développement industriel des années 1820 que cette extension a été réalisée, avec la construction d’une digue le long du Rhône, de quais sur la Saône, d’une gare d’eau et de la première gare de chemins de fer construite en France (1829), toutes deux aujourd’hui disparues.

L’implantation, en 1857, de la gare de Perrache a fermé ce nouveau quartier industriel, les voies constituant une barrière uniquement franchissable par des souterrains mal famés. Dans les années 1970, la construction d’un assez monstrueux centre d’échange intermodal a parachevé le désastre sur fond de déclin des industries et entrepôts implantés « au-delà des voûtes ». Ce quartier de la Confluence est désormais en pleine restructuration, avec l’achèvement d’une première phase: immeubles de bureaux et logements de standing s’étalent le long de la Saône, le côté Rhône étant en chantier pour au moins dix ans encore.

A la pointe de cette Confluence vient d’ouvrir un musée d’exception, plus pour ses collections et leur « mise en spectacle » (et c’est heureux) que pour le bâtiment qui les abrite: au nord, le « cristal » en verre a perdu la légèreté des images de synthèse, du fait de l’épaisseur des structures métalliques qui le composent, et le « nuage » de béton couvert de métal semble bien lourd… Ce Musée des Confluences devait constituer le « phare » de Lyon, un geste architectural rivalisant avec le célèbre Guggenheim de Bilbao et générant les mêmes retombées touristiques et financières. Malgré un coût d’au moins 300 millions d’euros et dix années de retard, sans la fluidité de lignes promise par le cabinet autrichien d’architectes CoopHimmelb[l]au (sic).

Priorité donc aux collections: l’émerveillement est réellement au rendez-vous tant la mise en valeur des objets exposés est aboutie. Au fil des quatre salles, plongées dans la pénombre, de l’exposition permanente, on parcourt les origines de la Terre, des espèces vivantes et de l’Homme, jusqu’aux sciences, techniques et rites funéraires qu’ont développé les différentes civilisations. Les ombres des squelettes de dinosaures et autres bestioles préhistoriques hantent les murs, ammonites et minéraux enchantent le regard (et le toucher, grâce à des spécimens mis à la libre disposition du public), des ustensiles modernes côtoient des poteries anciennes, les oiseaux et cervidés naturalisés semblent observer les visiteurs, tout n’est que surprise et beauté. Et les lyonnais ne s’y trompent pas en achetant massivement le pass annuel de visite, pour revenir autant de fois que possible parmi ces merveilles !

L’accessibilité architecturale lorgne toutefois encore du côté du siècle dernier: le hall est desservi par un grand escalier avec guidage podotactile sans contraste et rampes latérales non doublées, les visiteurs en fauteuil roulant accèdent par le bas via l’entrée des groupes puis par ascenseurs, la rampe aérienne reliant deux étages à travers l’espace du cristal est pentue et étroite au point qu’un « fauteuil » ne peut croiser un piéton en toute sécurité.

L’accessibilité culturelle est nettement meilleure, privilégiant l’accueil humain: dans chaque salle, un personnel accompagne les visiteurs au besoin, et à heures fixes présente une oeuvre ou un objet. 400 outils tactiles ont été développés en collaboration avec l’Association Valentin Haüy, mais il est dommage que ceux qui sont placés dans les salles aient des cartels illisibles en petits caractères noirs sur fond gris pierre, écueil que ne facilite pas l’éclairage (très) tamisé. Des actions sont en préparation pour les visiteurs handicapés intellectuels, une visite sensorielle est proposée pour tous publics. L’offre de visites adaptées est en cours de mise en place, celles en LSF attendent d’être coordonnées avec les musées lyonnais, une application Bluetooth d’agrandissement et lecture vocale des cartels est en cours de développement, les audiovisuels des salles sont sous-titrés. Tout n’est certes pas en place dans ce musée ouvert depuis peu, mais la volonté est bien présente.

On n’en dira pas autant du quartier de la Confluence, tant les erreurs et lacunes d’accessibilité sont multiples et gênantes. Entre la Saône et la voie de chemin de fer qui traverse le quartier, des immeubles de bureaux et de logements à faible consommation d’énergie ont été érigés sur un plan à angles droits. Lesquels se retrouvent d’ailleurs dans toutes les constructions, assemblages de cubes et parallélépipèdes, la courbe n’apparaissant que dans les vastes toits vitrés du centre commercial. Ces bâtiments en béton ont été confiés à de nombreux architectes qui font alterner esthétiques et matériaux dans une grande diversité d’aspects et de couleurs : bleu profond, vert lumière du cube Euronews et orange minium de celui de Cardinal Immobilier, jaune d’or, argent, la richesse s’étale sur les façades : habiter un immeuble avec vue a un prix, plutôt élevé…

La déambulation conduit à un long bassin ouvert sur la Saône et qui accueille un port de plaisance que les personnes en fauteuil roulant ne peuvent franchir qu’à son extrémité est, la passerelle piétonne à l’ouest étant trop pentue pour la passer sans aide. Les promenades piétonnes dépourvues de bancs ne sont pas bordées sur toute leur longueur de chasse-roues ou barrière basse alors que les plates-bandes sont en dénivelé, ce qui peut causer la chute de passants aveugles, d’autant que les bandes d’éveil de vigilance sont rares. Les personnes en fauteuil roulant ne peuvent pas aller des bords de Saône aux restaurants et bars installés à quelques mètres dans d’anciens entrepôts rénovés, sans devoir faire un long détour pour contourner une ancienne voie ferrée portuaire conservée. Il aurait pourtant été facile, pratique et esthétique de créer des rampes d’accès assurant ces traversées, mais architectes et urbanistes en ont décidé autrement… Si la voiture doit être invisible le long de rues dépourvues de places de stationnement, les immeubles ont leurs parkings, construits à niveau puisqu’il est impossible de creuser dans des terrains entre deux fleuves. Avec comme résultat les immenses escaliers conduisant à l’immeuble Le Mégalithe hébergeant des services au public, et dont un seul est équipé d’un élévateur fauteuil roulant (à clé), procédé que l’on croyait interdit par la réglementation mais qui a été choisi ici.

Dans le Vieux-Lyon.

Si l’architecture de ce Lyon moderne vous donne envie d’en apprendre davantage sur la ville, les Musées Gadagne combleront ce besoin. Ils sont installés dans un élégant édifice Renaissance où une famille de négociants d’origine italienne, les Gadagni, valorisaient leur commerce et recevaient leurs hôtes. Une des sections est consacrée à l’histoire de Lyon que l’on parcourt dans une trentaine de salles depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne, avec plans, meubles, ustensiles et outils dont l’un de ces métiers à tisser qui ont fait la fortune de la ville. L’autre section expose une belle collection de marionnettes anciennes d’Europe et d’Asie: outre les marionnettes à fil et à gaine de toutes époques, on y découvre le premier Guignol de Lyon (1808), mais également celui de Paris. En attendant la réouverture après rénovation et mise en accessibilité du théâtre Guignol de la rue Louis Carrand.

L’équipe des musées Gadagne a par ailleurs élaboré des objets tactiles détaillant les phases de fabrication d’une tête de Guignol dont le visiteur peut ensuite manipuler la marionnette. Côté histoire, des ateliers sont proposés aux visiteurs déficients visuels, dont un fait voyager autour des épices, ainsi qu’une visite olfactive du jardin, et tactile de l’édifice. Les outils tactiles sont également employés auprès des visiteurs handicapés intellectuels. Enfin, Gadagne organise régulièrement de passionnantes visites et balades urbaines en LSF sur l’histoire et la contemporanéité de Lyon qui sont très prisées par le public sourd.

La mise en accessibilité totale des nombreuses salles est une réussite, même si les circulations sont un peu complexes (l’édifice l’est lui-même), une seule pièce demeurant impraticable en fauteuil roulant. On en prête d’ailleurs aux visiteurs fatigables, de même que des sièges pliants, et il y a bien évidemment des toilettes adaptées. Petite restauration possible sur place, accès aux musées par interphone depuis la rue pour les utilisateurs de fauteuils roulant.

Autre musée qu’il faut absolument visiter dans ce même quartier Saint-Jean, celui de la Miniature et du Cinéma, véritable mine de découvertes et d’émerveillements. Conçu par un maquettiste passionné, Dan Ohlmann, il est installé depuis dix ans dans un bel ensemble d’immeubles Renaissance sauvé de la destruction par des avocats qui y avaient installé leur Maison. Acheté par une mécène suisse, soigneusement restauré en 2005, il a été mis en accessibilité avec ascenseur et toilettes adaptées, les deux salles du sous-sol demeurant malheureusement inaccessibles. Côté cinéma, aux riches décors du film Le Parfum (atelier et bureau de parfumeur, ambiance vieux Paris) succèdent des maquettes d’engins de films fantastiques ou de science fiction, des costumes, masques et accessoires plus ou moins terrifiants. Les cinéphiles retrouveront ici l’ambiance de films mythiques (Terminator, Batman, Spiderman…) ou de série B (Independence Day, Les trois mousquetaires version Paul Anderson, Hellboy…), dont la spectaculaire reine d’Aliens 2 : cette « animatronique » plus vraie que nature est ici présentée en mouvement, réellement impressionnante !

Côté miniatures, précipitez-vous dans la galerie d’expositions temporaires consacrée à Alan Wolfson : de véritables bijoux oniriques reconstituant des scènes new-yorkaises des années 1990 présentés jusqu’au 22 février 2015 : Dinner, station de métro vue dans tous ses niveaux, commerces, théâtres, cinémas, le souci du détail va jusqu’aux affiches reproduites à l’échelle, aux papiers gras au sol, aux salissures des murs, l’ensemble remarquablement mis en lumière restituant l’ambiance : on s’y croit réellement ! Les visiteurs en fauteuil roulant regretteront que la collection permanente de miniatures de Dan Ohlmann, avec ses lieux « ordinaires » ou extraordinaires (salle à manger du paquebot Normandie, muséum d’histoire naturelle exposant des squelettes de dinosaures) soit présentée dans des boites placées trop en hauteur… Les autres visiteurs apprécieront la minutie, le rendu, l’exactitude des détails, le réalisme des architectures, la poésie de ces théâtres abandonnés, de ces lieux où on attend presque qu’apparaissent des personnages lilliputiens… Ce musée privé, non subventionné, ne propose pas de supports ou médiations adaptés aux visiteurs déficients visuels mais le maître des lieux pourra les gratifier d’une visite guidée… « sur réservation motivée ».

Côté spectacle vivant.

D’abord un gros bémol: rien de nouveau en matière d’accessibilité à l’Opéra depuis 2005, pas même d’audiodescription, une lacune impensable pour une scène de cette importance. Mais l’accessibilité progresse dans les autres théâtres, particulièrement en direction des publics déficients sensoriels. Ainsi, près de la place Bellecour, le Théâtre des Célestins a été rénové il y a une dizaine d’années et ses deux salles sont aisément accessibles (entrée par ascenseur à droite de l’escalier extérieur). Multiple dans sa programmation, il propose des créations (quatre cette saison), coproduit huit des oeuvres représentées et reçoit une douzaine de spectacles en tournée. Quatre oeuvres sont proposées cette saison avec audiodescription. Le Théâtre des Célestins s’inscrit dans le Parcours culturel Sourds mais sans afficher de pièces avec interprète LSF.

Le TNP, c’est le Théâtre National Populaire, fondé en 1920 par Firmin Gémier et installé depuis 1972 à Villeurbanne, dans le quartier des Gratte-ciels, remarquable ensemble Art Déco qui débouche sur un imposant Hôtel de Ville surmonté d’un beffroi horloge. Derrière, une vaste place est fermée par l’immeuble du TNP, édifice emblématique de l’Art Déco alliant élégance du style et rigueur des lignes. Le soir, l’ensemble que forme la place Lazare Goujon, remarquablement mise en lumière, est d’une grande majesté. A l’intérieur (accès fauteuil par une porte à interphone à gauche du grand escalier, puis élévateur, ascenseur pour les étages, places fauteuil roulant dans les toutes les salles, boucles magnétiques dans les salles Planchon et Bouise), trois salles proposent un théâtre de qualité pour tous les publics, mêlant création et œuvres en tournée, « élitaire pour tous » selon la formule toujours actuelle d’Antoine Vitez… Au programme : théâtre, danse, théâtre musical, avec quelques créations, mais essentiellement des spectacles accueillis. Le théâtre forme actuellement des personnes aux techniques d’audiodescription pour les réaliser en interne et ambitionne de proposer ainsi davantage de spectacles adaptés (trois le sont cette saison), la visite de décors de spectacles est possible sur demande. Enfin, la brasserie 33TNP assure une bonne restauration sur place à des prix très raisonnables.

A l’extrémité du plateau qui lui a donné son nom, le Théâtre de la Croix-Rousse est installé dans un bel immeuble Art Déco classé à l’inventaire des monuments historiques. Il propose une programmation à dominante musicale, constituée de créations maison et de pièces en tournée. C’est par une rampe d’accès située à droite du bâtiment que les personnes à mobilité réduite accèdent au niveau bar et billetterie, un ascenseur desservant les étages. Dans la grande salle en gradins dominée par un impressionnant lustre Art Déco, les spectateurs en fauteuil roulant sont placés au dernier rang, soit par démontage de sièges (quatre emplacements possibles), soit en se transférant. Ils sont bien placés également dans la petite salle, sur un podium dominant la scène.

Les spectateurs handicapés bénéficient d’un tarif préférentiel, les déficients sensoriels d’un placement adapté sur demande; même en l’absence d’audiodescription, de boucle magnétique ou de LSF. Le théâtre organise des visites de décors sur demande, l’ensemble du programme est disponible en ligne en version audio, trois spectacles de la saison s’inscrivent dans le parcours culturel sourd et malentendant. A ne pas rater (entre le 24 février et le 4 mars 2015) la création française d’un opéra composé en 1944 par le compositeur allemand Boris Blacher, Roméo et Juliette, puis une adaptation en bande dessinée vocale de l’opéra Didon et Enée de Purcell (28 avril au 6 mai) avec une fin inédite !

Autre salle excentrée, résolument en dehors des sentiers battus, le Nouveau Théâtre du 8e (NTH8) est à l’origine du Parcours culturel Sourds. Inscrite dans un quartier populaire, la salle, bien que proche du tram, est malaisée à trouver par le néophyte et ne paie vraiment pas de mine, l’accès fauteuil roulant s’effectuant par le mitoyen Espace 101. Le théâtre est dirigé par le collectif d’artistes Trois-Huit qui conduit une action très ouverte sur la population invitée à payer sa place au prix auquel chacun estime l’oeuvre ou le spectacle à voir : une démarche rarissime ! Cette conception se retrouve dans la politique unique de création, le théâtre n’accueillant pratiquement aucun spectacle en tournée. Et en impliquant les comédiens sourds lyonnais, tel Anthony Guyon qui est artiste associé, ou la compagnie jeune public Joli Rêve. Dès son installation il y a une dizaine d’années, le NTH8 a lancé le projet de spectacles à parité linguistique Français-LSF avec une mixité de public sourd-entendant. Il propose également des ateliers et stages théâtre en LSF pour adultes et enfants, de Chansigne et de Virtual Visuel. Le Parcours culturel Sourds résulte de cette approche du travail sur la langue, la traduction LSF participant de la création artistique.

Terminons ce panorama au Théâtre des Clochards Célestes, perché sur les pentes de la Croix-Rousse. Son nom est une invention du fondateur, Yves Barroz, fan de Jack Kerouac : amateur d’art, il a dédié le lieu aux artistes débutants. Ce petit théâtre s’inscrit depuis 2000 dans les « scènes découvertes » aux jeunes compagnies de Rhône-Alpes pour présenter leurs créations. Si l’accessibilité du lieu est plus que perfectible (petit seuil, pas de toilettes adaptées), l’équipe a la volonté de l’améliorer et compense les lacunes par un accueil attentif. Le théâtre participe à son niveau au Parcours culturel Sourds. A découvrir pour encourager cette nécessaire accessibilité à une culture réellement partagée par tous !

Laurent Lejard, février 2015.

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