L’autrice du crime est connue : la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS); elle verse au Centre National d’Information sur la Surdité Surdi Info, confié au gestionnaire d’établissements médico-sociaux Fondation OVE depuis l’appel d’offres de 2013 (lire cet article), la moitié seulement de la subvention inscrite chaque année au budget de l’État. Pourquoi ? Impossible de le savoir, cette administration d’État refusant de justifier son choix d’étouffer l’unique service national délivrant une information objective sur les surdités, indépendante des associations du secteur et hors des conflits récurrents entre partisans de l’oralisation, de l’appareillage ou de la Langue des Signes Française et d’une communauté Sourde. La ministre chargée des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, est également silencieuse. De la pure opacité d’État.

Crédits du budget de l'Etat attribués depuis 2019 au CNIS

« Surdi Info fonctionne sur un budget État et fonds associatifs, explique Laurent Matillat, directeur depuis 2020 du service. Depuis 2019, il est financé par les 100.000€ versés par la DGCS, des fonds associatifs de la Fondation OVE et du mécénat, pour un total annuel de 300.000€. » Mais la Fondation OVE affronte plusieurs années de déficit et le mécénat fait moins recette, d’autant que pour éviter les conflits évoqués plus haut elle s’interdit de solliciter les fabricants et distributeurs d’audioprothèses et autres matériels adaptés. Créé avec un budget initial de 900.000€, dont 420.000€ de subvention apportée par l’État, le service Surdi Info a réduit au fil des années ses besoins de fonctionnement, du fait notamment de la baisse constante de la subvention d’État, jusqu’à descendre à un budget annuel de 300.000€ défini par la Convention pluriannuelle d’objectifs 2019-2021. En serrant davantage encore ses besoins, Surdi Info pourrait fonctionner avec 230.000€. Sauf que la Fondation OVE, confrontée à des déficits successifs, ne veut plus prendre sur ses ressources pour couvrir les 130.000€ complétant l’aide d’État versée par la DGCS. Toutefois, ce problème n’existerait pas si les 200.000€ de subvention qui sont inscrits depuis 2019 dans la loi de finances (programme 157 Handicap et dépendance) étaient versés par la DGCS. Pourquoi cette véritable ladrerie ? Les fonctionnaires de cette administration d’État refusent de l’expliquer alors qu’ils doivent la transparence à la population : l’argent de l’État ne leur appartient pas, c’est l’argent de tous les Français !

Convention d'objectifs du CNIS 2019-2021

« Ce que l’État nous demande n’est pas viable en termes de permanence, d’informations, etc., ajoute Laurent Matillat. Le mécénat ne rapporte que 40.000 à 50.000€, pour des webinaires. On a dit à la DGCS qu’on ne pouvait plus suivre. » Avant la prise de fonction de Monsieur Matillat, la Fondation OVE demandait déjà 100.000€ à la DGCS et prenait en charge le reste avec du mécénat et ses fonds propres. Au fil du temps, 250 articles traduits en LSF ont été publiés sur des thématiques variées afin d’informer les personnes concernés, un gros investissement de départ qui ne nécessite que de l’actualisation. Actuellement, Surdi Info emploie 2,35 équivalents temps-plein : 2 professionnels à temps partiel, une psychologue pour assurer une demi-journée par semaine le service « Une psychologue à votre écoute », et le directeur à 25% de temps de travail, pour un budget total de fonctionnement à 270.000€. Ces personnels réalisent des vidéos, font une veille information, actualisent l’annuaire, rédigent articles et traductions, répondent aux courriels, etc. « On emploie une professionnelle sourde qui a une compétence de dingue, tout comme la chargée d’écoute, conclut Laurent Matillat. On a dit à la DGCS qu’on continue jusqu’au 30 avril. Après, deux salariés seront en licenciement économique, un reclassé. On assurera le « tuilage » en mai-juin avec un repreneur. Ce qui me ferait peur, c’est que l’État reprenne Surdi Info en le rattachant à Mon parcours handicap, ce serait la mort du service, sans contact humain. » Et avec une perte considérable de compétence et d’expérience, au détriment des personnes sourdes ou malentendantes de France.

Trois questions à SurdiFrance

Le président de la fédération des associations de personnes malentendantes ou devenues sourdes, Yann Griset, réagit à l’annonce de l’arrêt des activités du CNIS.

Question : Quelle est l’expression de SurdiFrance sur l’arrêt d’activité du CNIS Surdi Info ?

Yann Griset

Yann Griset : Pour l’instant, nous discutons simplement de l’arrêt du CNIS par le biais du financement de la Fondation OVE. À notre avis, il est impensable d’interrompre aussi brusquement une structure qui joue un rôle crucial dans l’orientation des personnes devenues sourdes, des malentendants, des parents et des personnes atteintes de surdicécité. C’est actuellement un outil indispensable dans le paysage de l’information sur la surdité en France.

Question : Vous discutez, mais avec qui ? La DGCS, le ministère des Personnes handicapées ? Vous ont-ils expliqué les raisons pour lesquelles la moitié seulement (100.000€) de la subvention de 200.000€ inscrite au budget de l’État est versée au CNIS ?

Yann Griset : Aujourd’hui, nous avons sollicité tous les acteurs du handicap et de la santé concernant cette question, que ce soit la DGCS, les différents ministères ou même le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH). À ce jour, je n’ai pas d’information sur la raison pour laquelle seule la moitié de la subvention est versée. Malgré que SurdiFrance soit association membre d’un « comité de pilotage » du CNIS, je n’ai pas de visibilité sur ces questions, que ce soit du côté institutionnel que du côté de la fondation OVE.

Question : Que compte faire SurdiFrance pour sortir positivement de cette impasse ?

Yann Griset : Face à cette situation, SurdiFrance se mobilise avec fermeté et détermination pour garantir l’avenir du CNIS, peu importe les défis à relever. Notre combat ne se limite pas à la simple survie de cette entité ; il vise à assurer sa pérennité et son adaptation aux besoins réels des personnes sourdes, devenues sourdes, malentendantes, et sourdaveugles. Nous exigeons que les associations représentatives, véritables voix de la communauté concernée, soient intégrées de manière incontournable dans toutes les décisions affectant le CNIS. Il est inadmissible que les services essentiels à notre communauté soient compromis par des décisions arbitraires et un manque de transparence financière. SurdiFrance ne restera pas spectatrice ; nous agirons avec tous les moyens à notre disposition pour assurer que le CNIS continue à remplir son rôle crucial d’information et de soutien, en incarnant les besoins et les droits des personnes que nous représentons.

De son côté, la Fédération Nationale des Sourds de France (FNSF) regrette l'arrêt de l'activité de Surdi Info faute de financement. « Même si la plateforme n'est pas suffisamment connue et répandue et que les informations sur la langue des signes et l'éducation bilingue LSF/Français ne sont pas suffisamment mis en avant à notre goût, elle peut être utile pour les parents d'enfant sourd en quête d'informations. »

Laurent Lejard, avril 2024.

Avec le soutien dAcceo-Tadeo

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