Beaucoup d’acteurs du monde de la surdité le déploraient, les Centres d’Information sur la Surdité (CIS) institués en 2000 n’ont pas atteint l’objectif qui leur était assigné (lire cet article paru en 2002). La faute principale en revient, comme souvent, à une absence de pilotage national, l’État se contentant de budgéter 420.000€ répartis entre les différents CIS. Leur création a donc reposé sur le tissu associatif et médico-social social de chaque région, avec ses différences et parfois querelles entre sourds signants, oralistes, implantés, devenus sourds, malentendants, etc. Dans certaines régions, faute d’entente ou de structures intéressées, aucun CIS n’a été créé, et quelques autres parmi la quinzaine recensée n’ont existé que sur le papier. Ce choix de proximité avait également laissé à l’écart les associations nationales dites « représentatives des personnes sourdes et malentendantes » du sujet sensible et assez politique de l’information. Les moyens dévolus aux CIS sont désormais confiés, depuis le début de l’année 2014, à un Centre national d’Information sur la Surdité, attribué après appel à candidatures à l’Oeuvre des Villages d’Enfants (OVE), organisme gestionnaire d’établissements médico-sociaux essentiellement basés en région Rhône-Alpes et qui comporte un pôle surdité, coiffé d’un comité de pilotage composé notamment… des associations nationales.

Un réseau de CIS disparate.

Parmi la quinzaine encore actifs courant 2013, tous les CIS n’ont pourtant pas disparu, faute parfois d’instructions de la lointaine tutelle d’État. Le chargé d’information du CIS Aquitaine, l’interprète diplômé en Langue des Signes Française Pierre Guitteny, a été recruté par le CNIS et sa plate-forme web Surdi-Info. Fort déficit d’information au CIS Auvergne : « On n’en sait pas plus, moi j’attends ! confie sous couvert d’anonymat la chargée d’information. Le CNIS ne nous a pas contacté, ni quiconque d’ailleurs. » Le CIS Limousin va pour sa part continuer à fonctionner sur un reliquat de budget avec un maintien à mi-temps de la salariée. « Compte-tenu de la mise en garde de la Direction Générale de la Cohésion Sociale [tutelle d’État NDLR], on a anticipé en provisionnant des fonds avec l’autorisation de poursuivre, explique le directeur de l’association support du CIS, Luc Buisson. Mais on n’est pas soutenu par les collectivités locales. » Il espère encore les convaincre afin de poursuivre une information et action de proximité auprès d’une population vieillissante et en partie rurale, éloignée des villes : « On a mis en avant le service rendu et l’accueil de terrain, physique, à domicile, les personnes âgées sont démunies face à l’écrit et à Internet. On fournit de la documentation aux étudiants, on répond aux demandes de mutualisation des aides qui leur sont nécessaires, on informe les parents sur les orientations possibles pour leurs enfants. La Maison Départementale des Personnes Handicapées [MDPH] s’appuie sur nous pour répondre aux demandes de cette population. »

Le CIS du Nord Pas-de-Calais poursuit quant à lui son activité dans l’attente du lancement officiel de Surdi-Info. La salariée a été congédiée, le site web n’est plus alimenté et sera prochainement supprimé. La région pourtant très active dans le domaine culturel sourd a déjà perdu son point de diffusion de l’actualité en la matière. En Pays de Loire, la chargée d’information ne connaît pas son devenir: « Je ne sais pas, je m’occupe des appels. Le CIS a une forme qui n’est plus régionale, il va être rattaché à une autre structure. » Et elle déplore de ne pas être informée du lancement du CNIS.

Reste le cas de la région Centre et de son atypique CAIS dans lequel le A change tout: ce Centre d’Action et d’Information sur la Surdité couvre en effet les six départements, et constitue l’une des activités de l’Association de Patronage de l’Institution Régionale de Jeunes Sourds d’Orléans (APIRJSO) qui gère une dizaine d’établissements et services. « Nous avons modifié ce qui ne marchait pas avec le CIS, précise son directeur, Philippe Balin. Nous travaillons sur une population frustrée en matière d’accompagnement, en assurant une mise en réseau, en participant aux équipes pluridisciplinaires des MDPH, nous avons assuré le suivi de 1.500 personnes. »

Le CAIS Centre est agréé par l’Agence Régionale de Santé (ARS) qui vient de le prolonger pour trois ans, avec 400.000€ de financement par an, quasiment autant que la dotation annuelle de l’ensemble des CIS en 2012 et 2013 et que celle du CNIS en 2014. « On a réussi à ouvrir le CAIS parce qu’on s’est débrouillés seuls, poursuit Philippe Balin. Tous les personnels sont bilingues Français-LSF. C’est pour cela que ça a marché. Le CAIS réalise aussi des études d’accessibilité d’Etablissements Recevant du Public. On prodigue des conseils très simples, peu onéreux, par exemple sur l’éclairage pour que la lecture sur les lèvres soit possible. » Le CAIS Centre a dépassé la simple mission d’information des personnes sourdes ou malentendantes pour devenir un acteur de proximité nécessaire à leur insertion sociale et professionnelle. Il conduit également une action de coopération médico-sociale avec les autorités de l’Ile Maurice.

Que fait le CNIS ?

Ouverte le 16 décembre 2013, la plate-forme téléphonique et web Surdi-Info vise à fournir « un premier niveau d’information en matière sanitaire et médico-sociale aux personnes sourdes ou malentendantes de tous âges et aux parents d’enfants sourds, précise son responsable, Yves Béroujon. Les retours sont très positifs, on trouve très vite une information de premier niveau. On va rester sur l’info basique. » Une base d’information médico-sociale est constituée, comportant les adresses des MDPH, des maternités impliquées dans le dépistage de la surdité, des associations nationales, des établissements scolaires accueillant des jeunes Sourds en classe ou unité d’intégration, des établissements médico-sociaux recevant des enfants ou adultes sourds. « On a eu un débat pour savoir si on irait plus loin, en recensant les associations locales, reprend Yves Béroujon. On a fait le choix d’orienter les publics vers les associations nationales qui orienteront vers les structures locales. » Ce qui est conforme à la demande des associations nationales membres du Comité de pilotage du CNIS : c’est vers elles que sont dirigées les personnes qui ont besoin d’une information de « second niveau », plus précise, ciblée, à charge pour les associations nationales de les orienter vers leur structure locale si elle existe.

Le CNIS répond dans de nombreux domaines : droits, scolarité, vie quotidienne. « On cherche, on rappelle les gens, on les met en lien avec des relais locaux par exemple pour trouver un interprète LSF, poursuit Yves Béroujon. Chaque réponse nécessite une trentaine de minutes de travail. » Mais plusieurs domaines sont exclus du champ du CNIS : « Le Comité de pilotage nous a demandé de ne pas faire d’information sur le sport, les loisirs et la culture, » concède Yves Béroujon. Autre souci, en voie de traitement, l’information en langue des signes actuellement absente des pages web de Surdi-Info : « Le tournage des vidéos est en cours de réalisation. Nous avons installé un studio pour cela. » Quant à la carence d’information des CIS et au transfert de leur expérience, au recueil de la documentation qu’ils ont accumulée, Yves Béroujon balaie la question : « Ce n’est pas notre rôle d’informer les CIS, mais à la Direction Générale de la Cohésion Sociale. »

Finalement, la création d’un Centre National d’Information sur la Surdité assure une couverture nationale en matière sanitaire et médico-sociale. Elle règle également les querelles de chapelles entre Sourds. Mais en renonçant à l’information et au contact de proximité, elle risque de renvoyer dans leur isolement les personnes âgées devenues sourdes et tous celles qui rencontrent des difficultés avec le téléphone ou Internet. Et en excluant ce qui procède de la participation à la vie en société (sport, culture, loisirs notamment), l’information des Sourds et des malentendants sera limitée à leurs besoins primaires, le reste retombant dans l’escarcelle d’associations qui remettent la main sur « leur » public…

Laurent Lejard, février 2014.


Surdi-Info répond par téléphone tous les jours sauf dimanche au 0812 040 040 (horaires et cout de la communication sur cette page), ou en Langue des Signes Française deux demi-journées par semaine via Skype ou ooVoo.

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