Il existe deux écoles pour jeunes sourds à Bamako, la capitale du Mali, toutes deux créées par l’Association Malienne des Sourds (Amasourd). Celle de Jigiya Kalanso, créée en 2001, est installée à Niamakoro, un quartier de Bamako. Elle accueille 140 élèves pour le premier cycle primaire : « Au Mali, explique Moussa Sanogo son directeur, il n’y a pas de technique pour détecter la surdité chez le nouveau-né. La détection, c’est quand les parents se rendent compte que l’enfant ne parle pas. Une fois que nous constatons que l’enfant à des problèmes auditifs, nous devons l’amener faire un dépistage pour connaître le degré de sa surdité afin de voir s’il peut être appareillé et l’envoyer chez un orthophoniste pour la rééducation de l’ouïe et de la parole. Un enfant appareillé peut aller dans les écoles ordinaires et suivre les cours avec les entendants. L’appareillage auditif est efficace, mais il n’est pas répandu parce qu’il n’est pas accessible financièrement. Il coûte 300.000FCA (458€) ou plus. Quand un parent arrive à acheter un appareil pour son enfant, il lui faut apprendre à l’entretenir : ici il y a trop de chaleur et de poussière qui jouent sur la performance de l’appareil, surtout s’il est mal entretenu. Les Sourds, de façon générale, ne bénéficient pas d’allocation venant du Gouvernement ou des collectivités ». Les sourds profonds, pour lesquels l’appareillage est inutile ou insuffisant, sont éduqués dans quelques écoles spécialisées : « Le recrutement se fait sur la base de la surdité, poursuit Moussa Sanogo. Il faut payer les frais d’inscription de 2.500FCFA (3,81€) et de scolarité de 18.000FCFA (27,45€) par élève et par année scolaire, payables par tranche. Un geste pour montrer la volonté d’apprendre des élèves. Par année nous pouvons souvent recruter plus de 20 élèves ».

L’Ecole pour Déficients Auditifs (EDA), créée en 1994 dans le quartier de l’Hippodrome, reçoit 230 élèves en premier et second cycle; sous la direction de Balla Keita, elle a tenté l’intégration : « On a envoyé à l’EDA des élèves entendants de l’école Nelson Mandela, explique le directeur. C’était intéressant, les entendants avaient commencé à apprendre la langue des signes et la communication était devenue fluide entre eux et les élèves sourds. Au bout de trois mois, ces élèves ont demandé à retourner dans leur ancienne école, sous la pression de leurs parents qui pensaient que le système allait jouer sur le comportement de leurs enfants ou leur amener des problèmes auditifs. Depuis, nous ne l’avons plus fait à l’EDA. Le mieux dans l’intégration, c’est de créer une classe de Sourds dans une école d’entendants et leur permettre de faire ensemble certaines matières telles que le dessin, l’éducation physique, les travaux manuels, les activités sportives et culturelles. Avec ce système, les élèves entendants vont comprendre la langue des signes et pouvoir bien communiquer avec les élèves sourds, ce qui leur permettra de continuer ensemble pour le reste des études. A Ségou, il y a une classe de sourds à l’école Bandiougou Bouaré, à Koutiala aussi il y en a une dans un lycée ».

Bien que le Mali soit un pays francophone, on y enseigne la langue des signes américaine : « Au début, nous utilisions la langue de signes bambara, c’est la langue des signes de Bamako, explique Moussa Sanogo. A Bamako, il y a une communauté de Sourds avec sa langue des signes, différente de celle de l’intérieur du Mali. Nous avons commencé, à Jigiya Kalanso, d’enseigner avec la langue des signes de Bamako et l’autre école à l’Hippodrome (EDA) enseignait avec un mélange de langue des signes bambara, française et américaine. Donc, on n’avait pas de langue des signes commune à nos deux écoles. Nous avons constaté que la langue des signes bambara n’est pas aussi évoluée et étudiée à souhait. Elle ne contient pas tous les signes et il n’y a pas eu de recherche menée là-dessus. Une coopérante canadienne a fait des recherches sur la langue des signes bambara, elle a même élaboré un lexique, mais il s’est trouvé que la langue des signes bambara n’est pas développée pour un bon enseignement des Sourds. Autour de nous, tous les pays de la sous-région utilisent la langue des signes américaine. Pour faciliter la communication avec tous les sourds de la sous-région, nous avons adopté la langue des signes américaine car sa documentation est disponible. Elle est bien structurée, elle fait l’objet de beaucoup de recherches ».

Reste que cet enseignement offre des débouchés limités : « Pour le moment, les études des élèves sourds s’arrêtent au Diplôme d’Etudes Fondamentales [DEF, équivalent au Brevet des Collèges NDLR], reprend Moussa Sanogo. Ceux qui ont accepté d’être enseignants dans nos écoles sont formés et ils enseignent. A Jigiya Kalanso nous avons une enseignante sourde. A l’EDA, il y a trois anciens élèves sourds qui ont bénéficié d’une bourse de formation sur Marseille, en France. Ils enseignent. Des élèves ont appris des métiers de tailleur, menuisier ou cordonnier qu’ils exercent. Un seul élève s’est inscrit au lycée après le DEF. Il est premier de sa classe parmi les entendants; il prend note avec un camarade; à la maison, ses frères lui expliquent les parties des cours qu’il n’a pas comprises. Etant près de l’EDA, il y passe et les enseignants l’aident à comprendre et apprendre. Il y a des sourds qui travaillent dans la fonction publique; depuis un certain temps, elle a accepté de prendre les handicapés ayant un diplôme sans passer par le concours ».

Balla Keita précise : « Il y a trois ans, quand la première promotion de l’école a eu son DEF, les autorités ont accepté que ces élèves soient admis au Centre de Formation Professionnelle de Missabougou. Nos élèves ont refusé, ils voulaient continuer au lycée. Nous leur avons dit ‘pour aller au lycée il y a des conditions : l’âge, la scolarité. Dans votre cas précis, le problème d’enseignants formés en langue des signes conjugué à l’effectif pléthorique dans les lycées, vous n’aurez pas de chance d’aboutir à un bon résultat’. Ils n’ont pas voulu comprendre, et finalement, ils ne sont allés ni au centre de formation ni au lycée ! Cette année, c’est la 4e promotion qui doit faire l’examen du DEF. Nous avons adressé une lettre aux directeurs d’usines et d’autres entreprises pour recruter nos élèves; en contrepartie, le Gouvernement leur accordera des faveurs dans le cadre de leurs activités. Nous sommes en train de nous battre pour trouver une solution définitive à ce problème d’orientation après le DEF. Ainsi, du 1er au 20 août 2009 nous comptons organiser un séminaire sous-régional qui va regrouper tous les pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) pour discuter de l’avenir des enfants sourds. Nous allons élaborer un programme d’enseignement de base solide pour toute la sous-région, pour pouvoir créer des écoles secondaires communes à plusieurs pays. Par exemple, créer un lycée au Mali pour les élèves sourds du Mali, Sénégal, Burkina Faso, un autre au Togo qui va prendre ceux du Togo, Niger, Bénin, et une école de Formation professionnelle au Sénégal pour les enfants du Sénégal, Mali, Niger et une autre au Burkina Faso pour le Bénin et Togo. Du coup, avec peu de frais on trouve une solution commune aux problèmes des élèves sourds de la sous-région. Il faut vraiment vite agir pour trouver une solution durable à ce problème, parce que rien qu’au Mali en 3 ans, 6 écoles de sourds ont été créées. Ici, les autorités refusent de délivrer le permis de conduire aux sourds, alors que dans beaucoup de pays il y a des sourds chauffeurs de taxi. »

Un optimisme que ne partage pas Moussa Sanogo : « C’est un constat, les Sourds en général n’aiment pas travailler. Beaucoup de Sourds font la mendicité au lieu de travailler, ce comportement est propre à presque tous les Sourds de la sous-région : des Sourds viennent du Burkina Faso, du Ghana, du Sénégal, de la Côte d’ivoire, du Nigeria, même du Gabon pour faire des quêtes ou mendier à longueur de journée. Alors que le Sourd qui s’est intégré à la vie sociale et économique joue le même rôle dans le développement de la communauté qu’une personne valide qui travaille. »


Propos recueillis par Abdoulaye Coulibaly, juin 2009.

Partagez !