Après avoir organisé en novembre dernier dans la chapelle Saint- Louis de l’hôpital Salpetrière une exposition d’artistes sourds, la Société centrale d’éducation et d’assistance pour les Sourds- Muets en France (SCSMF) a de nouveau créé l’événement, dans le cadre de la commémoration de son 150e anniversaire, avec l’organisation d’une soirée Cinéma au studio des Ursulines le 30 janvier dernier. Née en 1850, la Société centrale d’éducation et d’assistance pour les sourds- muets en France est à ce jour la plus ancienne association de sourds encore existante. Composée de sourds et d’entendants, bien que souvent dirigée par des entendants, elle a été créée dans le but d’apporter secours aux sourds- muets sans ressources. Historiquement, la SCSMF a rempli un rôle social considérable envers les sourds, par exemple en 1914 lorsqu’elle est venue en aide aux victimes de la guerre.

Les 150 places proposées pour cette soirée furent prises d’assaut par un public venu en masse, composé aux trois- quarts de personnes sourdes et malentendantes. Les organisateurs, Guy Jouannet en tête, durent se résigner à refuser l’entrée à des dizaines de personnes. Patrick Braoudé, acteur- réalisateur et président de l’association gestionnaire du Studio des Ursulines, assisté du cinéaste Jean- Paul Rappeneau, accueillaient ce soir- là l’actrice numéro Un du cinéma chinois : Gong Li.

Dans le rôle d’une jeune femme chinoise mère d’un enfant sourd. La star, mondialement reconnue depuis ses interprétations dans de grands films primés tels que Epouses et concubines (1991, Lion d’argent à Venise), Une femme chinoise (1992, prix d’interprétation féminine à Venise), Vivre (1994, Grand prix du jury à Cannes), Adieu ma concubine (1993, Palme d’or à Cannes), etc., était venue présenter en avant- première à la communauté sourde parisienne son dernier film, Plus fort que le silence (Breaking the silence), en compagnie du réalisateur Sun Zhou (sortie en salles le 28 février 2001). Elle y interprète le rôle de Sun Lying, une jeune femme chinoise d’aujourd’hui qui à Pékin élève seule son enfant sourd de 5 ans avec un but unique : faire de lui un garçon comme les autres.

« J’ai travaillé pendant près de deux mois avec des enfants sourds avant le tournage et j’ai reçu le témoignage de plusieurs mamans », précise Gong Li. « A la manière du film russe « Les silencieuses » de Valeri Todorovski en 1997, ce film propose une véritable radiographie de la Chine actuelle et plus précisément de la place de la femme dans une société chinoise coincée entre archaïsme et libéralisme », explique Guy Jouannet, auteur de L’écran Sourd. « Le spectateur, en particulier sourd gestuel, pourra se sentir un peu frustré par le parti pris du réalisateur de ne considérer le problème de la Surdité qu’au travers du regard (même s’il est bouleversant) de la mère, qui occulte le point de vue et la psychologie de l’enfant, ainsi que l’existence d’un enseignement spécialisé et d’une communauté sourde chinoise », ajoute- t-il. Le réalisateur, Sun Zhou, précise qu’il y a en Chine trois ou quatre instituts spécialisés pour enfants sourds. Mais dans son long- métrage, il est en effet plus question « d’oreille » (le nom donné par Sun Lying à la prothèse auditive de son fils), « d’oraliser » (voir les demandes répétitives et obsessionnelles de la mère pour que son fils répète les mots prononcés) que de mains et de Langue des signes. Même si, au terme d’une scène finale superbe et bouleversante, les deux protagonistes principaux, dont l’interprétation est sans défaut (Gong li a obtenu le prix d’interprétation féminine au festival de Montréal 2000 pour ce rôle), seront bien obligés de reconnaître « cette différence ».

Court-métrage en Langue des signes. Le temps pour les responsables de la SCSMF de remettre à l’actrice un bouquet de fleurs et un insigne représentant l’Abbé de l’Epée, et cette dernière, toujours accompagnée de Sun Zhou, repartira, non sans avoir salué une salle conquise et embrassé au passage une jeune fille sourde qui se présentait devant elle. La projection pouvait commencer avec en première partie un court métrage français de Pierre- Louis Levacher, mettant en scène deux comédiens sourds et cette fois « signants » (mais sans sous- titrage), Joël Chalude et Claire Garguier : La clef des étoiles, qui a obtenu le Grand prix du festival indépendant de Bruxelles 2000. Les festivités commémorant le 150e anniversaire de la SCSMF, qui ont été officiellement incluses dans les célébrations nationales de l’an 2000, sur décision de Catherine Trautmann (alors ministre de la Culture et de la Communication) se poursuivront dans les prochains mois avec un forum philosophique sur le thème de la place des artistes sourds dans la création et s’achèveront par une soirée café-théâtre animée par le comédien sourd Joël Chalude.

Emmanuel Benaben, février 2001.

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