« Gyzmo, c’est parce que je suis fan du film Gremlin, et pour jouer sur la différence. On me confond parfois avec l’humoriste Guillaume Bats. » Effectivement, le physique de Jeremy Lecerf ne passe pas inaperçu, et lui a certainement offert de multiples opportunités bien que son entrée dans la vie n’ait pas été simple. S’il est né à Flers (Orne) en 1984 avec une importante bosse sur la cage thoracique, sa maladie invalidante n’a été diagnostiquée que quatre ans après. « On n’avait pas autant de données, il a fallu du temps. Des examens à Paris n’ont rien donné, et c’est le Centre Hospitalier Universitaire de Caen (Calvados) qui l’a fait en 1988. J’étais à la maison, j’allais à l’école maternelle, je marchais en me tenant à des meubles, fatigable, avec des difficultés pour tenir la tête droite. » Et c’est une forme de myopathie non évolutive (à central core) qui a été diagnostiquée. Ce qui ne l’a pas empêché de fonder une famille.

Vivre en famille

De sa parentalité, Jeremy parle sans tabou. « J’ai deux enfants, une fille de 7 ans, et son frère de 5 ans. Au début avec mon épouse, on a tenté d’avoir un enfant par les voies naturelles, après m’être inquiété du risque de transmission génétique de la maladie, et au final après examen les médecins ont constaté ma stérilité. On a alors procédé à des fécondations in-vitro (FIV) avec don de sperme. Dans notre entourage et parmi les médecins, il n’y a pas eu de réticences, ça a même été assez simple avec le CHU de Caen. Ma maladie n’est pas dégénérative. On a été très bien accompagnés, un parcours assez fluide, et bien entourés. » Sa future épouse, Annick, il a fait sa connaissance sur un site de discussion. « Le courant est passé assez rapidement, j’ai surpassé mon appréhension et on a fini par se rencontrer. Je vivais à côté de Falaise (Calvados), elle à Caen. On s’est mariés en 2009. Elle à 40 ans, elle est mon auxiliaire de vie, en emploi direct, avec l’ADMR qui gère les formalités. On a trouvé cet équilibre, on ne voulait pas avoir d’intervenant extérieur. » La famille vit dans un appartement neuf qui n’a pas eu besoin d’aménagement, en 5e étage avec ascenseur et petite terrasse pour profiter de la vue.

Gyzmo sur FIFA 21

Jeremy regrette de n’avoir pu accéder à une vie professionnelle. « J’ai étudié dans un collège public puis un lycée professionnel pour un BEP Comptabilité. Je ne suis pas allé au bout, j’avais le niveau mais ça ne me convenait pas, j’avais souhaité m’orienter dans l’informatique. Par la suite, j’ai entamé une formation de technicien informatique, encore une fois elle s’est soldée par un échec à cause de problèmes de santé, je tombais trop souvent malade à cause des intempéries. J’ai été agent d’accueil pendant six mois sur une base de plein-air. C’était pour une première expérience, après j’ai déménagé sur Caen en cherchant de l’autonomie et de l’accessibilité. Je n’ai pas à me plaindre de la ville, assez accessible. Je vais voir des matches de football, l’accueil est bien organisé, je peux aller au cinéma, voir des spectacles, avoir des loisirs. » Fan de l’équipe du Stade Malherbe Caen, il joue lui-même au foot version jeu vidéo sur ordinateur, qu’il utilise sans adaptation. « Le jeu vidéo m’a permis de survivre, avec tous les moments difficiles. Ça m’a permis d’évacuer, de m’exprimer, de déconner et surmonter les moments durs. Je me suis lancé en juillet dans l’univers du streaming avec une petite communauté, en cassant des barrières. Au-delà de mon physique, j’ai envie de m’assumer et de développer, répondre à certaines interrogations. Des gens viennent sur le chat, je réponds à leurs questions, il faut parler du handicap pour qu’il devienne une normalité. J’ai vécu l’époque de la mise à l’écart, pendant les années de rééducation. » C’est en multipliant les crises de nerf qu’il a réussi à en sortir pour revenir chez ses parents, même si d’autres soucis l’attendaient au foyer familial.

Et écrire sa vie

Il se définit comme un autodidacte permanent, notamment dans l’informatique et le jeu vidéo. « J’adore les gens, j’aime beaucoup aider, c’est plus fort que moi. C’est ma manière d’exister. Je connais l’univers du esport, parce que je l’ai pratiqué. Je fais partie d’Atletec, qui fait appel à moi pour m’occuper de la partie animation web TV, et passer des messages. Aujourd’hui, j’ai ma chaîne Twitch sur laquelle je streame 5 jours par semaine. Et je suis également streamer sur la chaîne TV de la structure esportive Atletec 2 jours par semaine. J’ai réussi à être encore là, pour prouver que je peux réaliser des choses. » Une autre lui tient à coeur, écrire sa biographie et pour cela il est en recherche d’un rédacteur bénévole. « Totalement ça, j’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs vies à la fois, dans des contextes différents. »

Gyzmo

Mais il lui reste des combats à mener. « Je me suis habitué à mon handicap. Mon combat, c’est de pouvoir trouver une voie professionnelle pour m’épanouir, au-delà de mon épouse et mes enfants merveilleux. J’ai connu une énorme dépression après la mort d’un cousin en janvier 2020, j’y étais très attaché. Je n’avais plus envie de rien, une personne sans vie, j’ai été hospitalisé. Je m’en suis relevé en identifiant ce qu’il manquait dans ma vie : me rendre utile et réaliser des choses. J’ai vécu une renaissance, je me suis dit que j’avais des choses à faire, des envies, et j’ai voulu passer à la vitesse supérieure. J’ai commencé le streaming fin juillet, avec une petite communauté autour de moi. J’ai envie d’aller plus loin en créant des émissions, sur le coté communautaire. Et je me suis dit pourquoi ne pas raconter ta vie pour faire passer des messages d’espoirs, positifs, même si on a connu de multiples galères. Je suis fier de celui que je suis devenu ! »

Laurent Lejard, février 2021.

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