Un enseignant dont le handicap ne lui permet pas d’enseigner à plein temps en classe doit-il bénéficier d’un aménagement de service à titre permanent ou se résoudre à n’être payé qu’à temps partiel ? Tel est le problème soulevé par la situation de Julien Hugelé, professeur certifié de physique-chimie au lycée Blaise-Pascal de Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne). S’il bénéficie d’un aménagement de service lié aux besoins spécifiques de la paraplégie qui l’handicape au quotidien, cette « facilité » est chaque année remise en cause par l’administration rectorale. Mais Julien Hugelé est un enseignant particulièrement apprécié de ses élèves et de leurs parents, ainsi que de ses collègues, et plusieurs fois tous se sont mobilisés pour que ce professeur poursuive sa carrière dans les meilleures conditions : grèves, rassemblements, bannières et slogans ont à chaque fois eu raison de l’entêtement administratif. Cela va-t-il durer encore longtemps ?

« Chaque année c’est un peu la même bataille, explique Julien Hugelé. Je demande un aménagement de service et on me le refuse puisque un décret de 2007 [abrogé par un décret du 10 juin 2015 qui en reprend l’essentiel des mesures NDLR] dispose que l’allègement ne peut être que de six heures, reconductible sur une année mais dégressif dans le temps. Donc si on me l’accorde une année, l’année suivante on ne le peut plus. » Cette disposition est conçue pour accompagner le retour à un service normal d’un fonctionnaire ayant subi des problèmes de santé qui l’ont contraint à s’arrêter de travailler, elle n’est pas adaptée aux séquelles d’un handicap, celles de Julien Hugelé consistant en un risque élevé d’escarres en position assise plus de quatre heures. « Je suis reconnu handicapé, reprend-il. Dans ma situation, le temps partiel est de droit, payé en temps partiel, c’est là que le bât blesse, c’est ce que l’on me propose chaque année. On me dit ‘écoutez, si vous ne pouvez faire plus que douze heures alors prenez un temps partiel’. Un professeur certifié assure dix-huit heures devant les élèves, si on tombe à douze heures avec un allègement de service, cela peut être proposé une année mais certainement pas les autres années. Ça, c’est un peu le texte refuge de l’Administration parce que je ne demande pas un allègement, mais un aménagement. Un allègement, ce sont des heures que je ne dois pas, que je ne fais pas et qui sont rémunérées. Jusqu’à présent, je demandais des aménagements : ce sont des heures qui sont faites, de manière différente, par exemple en télétravail ou pour former l’assistante de vie scolaire qui est mes mains pour les travaux pratiques. »

Il lui est en effet impossible de montrer aux élèves les expériences qu’ils vont devoir reproduire, cette tâche revenant à l’assistante préalablement formée : « C’est elle qui fait mes mains, mais généralement l’AVS, qui change chaque année, n’a aucune formation. Au mieux, elle a le bac, mais aucune connaissance en physique-chimie, ne sait pas manipuler, pour des raisons de sécurité il faut la former. » Le temps de travail de Julien Hugelé est donc découpé en neuf heures devant élèves, sept heures de télétravail et deux heures de formation de son AVS. Ses heures de télétravail ont porté sur des tâches très diversifiées : réalisation du site web du lycée quand il exerçait en Seine-Saint-Denis, projets pédagogiques, plate-forme web sur laquelle des professeurs déposaient des cours et des élèves posaient des questions ou déposaient leurs documents. Cette dernière réalisation a été mise en attente par un inspecteur, le Rectorat envisageant quelque chose de semblable.

Julien Hugelé serait-il tombé dès l’enfance dans la physique-chimie ? Il l’enseigne depuis 2005, par vocation: « Depuis tout petit je m’y suis intéressé. Et aussi parce que c’est une matière que j’ai toujours beaucoup aimée, je bidouillais dans mon garage, et pourtant j’ai eu des profs qui n’ont pas réussi à m’intéresser en cours : c’était abstrait, compliqué, on ne voyait pas trop les objectifs et les aboutissants, alors que dans mon garage j’étais capable de faire des trucs rigolos, compliqués, et de les expliquer ! Du coup, je me suis dit qu’il n’était pas possible qu’une matière aussi palpitante, on n’arrive pas à l’enseigner de façon sympa, ludique, et d’intéresser les élèves. Ma grande satisfaction, c’est quand les élèves arrivent en début d’année et que je leur demande qui aime la physique-chimie et que peu lèvent la main, et qu’en fin d’année tout le monde lève la main ! » Ses élèves apprennent en s’amusant. Et pourtant : « Il m’a été très difficile de préparer le Capes de physique-chimie. A l’époque, très peu de facultés voulaient m’accepter. L’accident qui m’a rendu paraplégique est arrivé quand j’étais en licence. Quand j’ai voulu reprendre les études dans la même fac, Jussieu [Paris 5e], elle a tout simplement refusé avec comme prétexte officiel la peur que les locaux ne soient pas adaptés, officieusement parce que le handicap en 2005 faisait très peur et que l’Administration ne savait pas comment le gérer. J’ai trouvé une fac adaptée, à Cergy-Pontoise, dans le Val d’Oise. Mes études ont été compliquées, il a fallu que je prenne un appartement adapté, et quand on est étudiant ça a un coût. Quant au Capes, le centre d’examen n’était pas prévu pour recevoir un candidat handicapé. »

Si ses conditions d’enseignement devraient, grâce à la pression de ses collègues et des élèves, s’améliorer pour la prochaine année scolaire, le Rectorat lui ayant annoncé verbalement le 10 mars dernier qu’il bénéficierait de six heures d’allègement de service et de trois heures de télétravail pour n’avoir que neuf heures devant élèves, il lui a été précisé que c’était sans garantie pour les années à venir. A moins que la ministre de l’Education Nationale agisse : elle vient d’être saisie le 13 mars par le député Les Républicains de Brie-Comte-Robert, Guy Geoffroy, qui lui demande « dans quelle mesure une modification [du décret du 10 juin 2015] pourrait être envisagée afin d’adapter les aménagements de service des personnels handicapés selon les énoncés de la loi du 11 février 2005, et selon des modalités pratiques qui pourraient se définir par le bénéfice d’un allègement, voué à être pérennisé, portant au-delà du tiers des obligations de service. » C’est maintenant à la ministre de l’Education Nationale de s’appliquer dans des travaux pratiques, pour que les beaux discours sur l’emploi des personnes handicapées se traduisent dans les faits et que le jeu trop habituel du parcours d’obstacles cesse enfin.

Laurent Lejard, avril 2016.

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