Le Gouvernement soumet ce mois-ci au Parlement un projet de loi l’autorisant à modifier par ordonnances les dispositions relatives à l’accessibilité contenues dans la loi du 11 février 2005. Comme d’autres organisations de personnes handicapées, l’Association des Paralysés de France a approuvé la création d’Agendas d’Accessibilité Programmée reportant de 3 à 9 ans, sous conditions, l’échéance initialement prévue au 1er janvier 2015. Elle a pourtant organisé à Paris et dans des villes françaises, le 13 mai dernier, des manifestations de protestation contre ce report…

Question : L’Association des Paralysés de France a accepté le principe des Agendas d’Accessibilité Programmée (Ad’Ap) en approuvant le rapport Campion lors de sa présentation à l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle. Pourquoi aujourd’hui manifestez-vous votre opposition à ces Ad’Ap, et de fait au report de l’échéance de 2015 ?

Alain Rochon : Pardonnez-moi, mais il y a deux inexactitudes dans ce que vous venez de dire. La première, c’est que nous nous sommes finalement ralliés à une méthode de travail consistant à dire « le 1er janvier 2015 la France ne sera pas accessible, la moins mauvaise méthode pour progresser c’est d’avoir des calendriers budgétaires pour les travaux ». Si nous n’avions pas fait cela, qu’est-ce qui se serait passé ? Il y a plusieurs centaines de milliers d’établissements [recevant du public NDLR] en France, l’APF n’a pas toute seule les moyens d’engager des procès. Donc nous partions dans des débats, des poursuites juridiques, judiciaires, qui allaient nous mener sur plusieurs années et à des résultats qui n’étaient pas évidents. Peut-être les acteurs indélicats auraient été simplement condamnés à faire les travaux. Aujourd’hui, ce que nous disons c’est que cette méthode est sans doute la moins mauvaise, qu’il n’y avait sans doute pas d’autre solution, mais que nous ne sommes pas prêts à attendre 10 ans de plus pour mettre en accessibilité la société française.

Question : Pour vous, les conditions d’un front du refus n’étaient pas réunies face à un gouvernement qui après tout n’était absolument pas obligé de remettre en cause l’échéance de 2015, il pouvait très bien laisser faire, comme on dit aujourd’hui, « le marché » ?

Alain Rochon : Je pense que le front du refus en matière d’accessibilité est surtout porté par l’APF. D’autres types de handicap sont un peu moins lourds, un peu moins onéreux, et donc le front du refus c’est nous qui le portons essentiellement.

Question : Vous avez peur d’être isolés ?

Alain Rochon : 
On n’a jamais peur, parce qu’on arrive quand même à mobiliser, comme vous l’avez vu, 200.000 personnes [sur une pétition NDLR] c’est-à-dire largement au-delà des adhérents stricto sensu de l’APF. Ce qui veut quand même bien dire que le regard de la société change peu à peu et que vraisemblablement il y a des personnes âgées ou plus ou moins dépendantes qui nous rejoignent aujourd’hui. Mais le débat de l’accessibilité est compliqué parce qu’on a eu affaire à des gouvernements, des lois qui n’étaient pas portées, pas pilotées, pas financées, pas incitatives. Des gouvernements qui n’étaient pas complètement mobilisés, des acteurs qui étaient un peu laissés à leur bonne volonté, et nous en payons aujourd’hui les conséquences.

Question : Les ordonnances vont se télescoper avec le projet de loi de réforme territoriale dont on connaît l’avant-projet, avec une nouvelle redistribution des compétences dans les collectivités et notamment un impact fort dans les transports. Ces ordonnances sont-elles déjà caduques avant d’être promulguées ?

Alain Rochon : Je ne pense pas, j’espère que non au moins pour deux raisons. C’est que dans ce que l’on appelle le millefeuille [administratif], la tranche qui est annoncée comme devant disparaître c’est celle des départements donc effectivement les transports, notamment les transports scolaires, les collèges pour ce qui concerne l’éducation et la scolarité.

Question : Et les Maisons Départementales des Personnes Handicapées ?

Alain Rochon : Oui mais, cher Monsieur, ce n’est pas parce que, et c’est ce que m’ont encore dit récemment le sénateur Yves Daudigny et le président de l’Assemblée des Départements de France Claudy Lebreton, ce n’est pas parce que les conseils départementaux disparaîtraient que les fonctions ne seraient pas reprises par des acteurs. Vraisemblablement les transports ou les lycées, où les collèges seront repris peut-être par les régions demain, ou par l’intercommunalité.

Question : C’est prévu dans l’avant-projet de loi, mais pas la solidarité envers les personnes handicapées, on ne sait pas où elle va…

Alain Rochon : C’est tout à fait exact, mais moi je n’ai pas de renseignements sur ce projet de loi dit « millefeuille » et je pense que l’ordonnance, ou les ordonnances puisqu’on parle de onze articles, ont toute leur valeur, toute leur légitimité et qu’il ne faut surtout pas qu’on traine pour les sortir, parce que plus on perdra de temps et plus on donnera de bons prétextes aux mauvais élèves pour retarder les échéances.

Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2014.

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