Tout à commencé à l’automne 1999. Deux habitants d’un village de l’Oise remettaient une coque de ski assis et deux fauteuils roulants à une association savoyarde ; ils avaient entendu dire qu’une entreprise offrait 2.000 euros ­ le prix d’un fauteuil roulant ­ en échange de 25.000 bouchons plastique qu’elle se chargeait de recycler. Ces citoyens lancent alors une opération de collecte relayée par les enfants et les bouchons s’accumulent rapidement. Le 14 janvier 2000, le quotidien Le Parisien publie le récit de la remise des fauteuils à Antenne Handicap (La Plagne, Savoie), précise que 65.000 bouchons ont été dénombrés et que « des particuliers nous ont offert deux fauteuils roulants, le fauteuil coquille, le fauteuil et le chariot que nous avons décidé de donner pour les personnes handicapées de l’association Antenne Handicap ». En omettant de préciser que les bouchons n’ont jamais été vendus, faute de trouver à proximité une société capable de les recycler. Et pour ne pas désoler les centaines de personnes, dont de nombreux enfants, qui ont collecté en trois mois ces bouchons qui s’entassent inutilement, les initiateurs de l’opération, aujourd’hui découragés par l’aventure et qui souhaitent l’oublier, et le journaliste local passent cet épisode sous silence.

Le résultat de cette opération attire néanmoins l’attention et enfle la « rumeur des bouchons » qui trouve là un fondement et une réalité. Dans la foulée, le club Handisport de Plaisir (Yvelines), créé en décembre 1999, adopte la démarche pour faire financer les fauteuils roulants nécessaires à ses activités : l’opération Bouchons d’espoir est née. Elle dispose par la suite d’un parrain de luxe, auto- proclamé en septembre 2000, en la personne de l’humoriste Jean- Marie Bigard. Dès lors, l’opération est médiatisée et connaît un retentissement national.

Bouchons encombrants à Plaisir.
 Chez Handisport Plaisir, on se lance tête baissée et la collecte des bouchons est lancée, 60 tonnes sont stockées et livrées aux promoteurs de l’opération. Ceux- ci promettent, selon le club, de financer deux fauteuils roulants de sport pour lesquels, aujourd’hui encore, Handisport Plaisir affirme n’avoir pas reçu l’argent nécessaire. Il faut dire qu’entretemps le parrain auto- proclamé est devenu encombrant : il veut également consacrer le produit de la vente des bouchons à un second projet qui lui tient à coeur, la construction d’un orphelinat à Madagascar. Michel Périn, président de Handisport Plaisir, n’est pas d’accord : l’argent ne doit servir qu’à financer les fauteuils nécessaires à son club. C’est la rupture. Michel Périn poursuit Bouchons d’espoir, lancée en avril 2000, alors que Bouchons d’amour est créée par Jean- Marie Bigard. Au terme de sa première opération autonome, Bouchons d’espoir dégagera un bénéfice net de 10 euros par tonne de bouchons, soit un total de 545 euros : 86% du produit de leur vente est absorbé par le coût de leur transport !

Depuis, le réseau de collecte a dépassé la région parisienne et est devenu national, Bouchons d’espoir revendiquant une quarantaine de délégués départementaux. Mais à Plaisir, ça se gâte : les bouchons ont été collectés par un peu tout le monde et stockés dans des écoles ou la bibliothèque. Les pompiers et la commission de sécurité hurlent face à cet entreposage sauvage qui fait courir de gros risques en cas d’incendie, la combustion de ces plastiques pouvant dégager des gaz dangereux. La municipalité fait déménager les sacs de bouchons vers un site loué par la ville. Actuellement, ils représentent l’équivalent de cinq semi- remorques. Les sacs poubelles (dont certains sont éventrés) contenant les bouchons sont entreposés à l’extérieur, devant les fenêtres de riverains exaspérés de les voir s’accumuler. La location du terrain est arrivée à terme, Handisport Plaisir doit faire livrer les bouchons à la société de recyclage avant le 15 mai 2002 mais l’ampleur de la tâche dépasse le président de l’association qui fait part de son intention de laisser à la ville le soin de s’en débarrasser. Ces 65 tonnes de bouchons savamment récoltés par des dizaines de bénévoles finiront- elles à la décharge publique ?

La FFH amoureuse des bouchons.
 Peut- être pas, Zorro est là en la personne du recycleur des Bouchons d’amour, ceux de l’opération concurrente désormais soutenue et popularisée par Jean- Marie Bigard. La société Eurocompound s’est en effet engagée à récupérer tous les bouchons où qu’ils soient stockés en France métropolitaine, Corse exceptée. Bouchons d’amour est visiblement mieux structurée que sa concurrente, et c’est avec elle que la Fédération Française Handisport a négocié une convention dont la signature est imminente. Le réseau est national, des partenariats sont clairement définis, une organisation structurée a été mise en place pour gérer la collecte, le tri, le stockage et le transport des bouchons vers l’usine de recyclage. Une charte est édictée, les correspondants départementaux sont baptisés « bigarchons », dans la grande lignée de l’humour franchouillard de notre Bigard national qui multiplie les interventions télévisées au sujet de cette opération.

Et ça marche ! 400 tonnes de bouchons récoltés, plus de 300 lieux de stockage, un territoire national entièrement couvert y compris l’Outre- Mer. Au- delà du ramassage des bouchons, une grande quantité de matériel est récupéré – fauteuils roulants, déambulateurs, accessoires – et devrait être redistribué par la FFH. Bigard sera également le parrain des Championnats du monde d’athlétisme Handisport organisés à Lille (Nord) en juillet prochain par la FFH; lors de cette manifestation, il remettra les fonds récoltés, que la Fédération affectera au financement d’équipements sportifs pour les enfants. L’humoriste devrait attirer la presse au grand complet, un beau coup de publicité pour la FFH qui cherchait un moyen de médiatiser cet événement sportif. Dans le même temps, la dérive de l’opération Bouchons d’espoir a placé Handisport Plaisir sous les feux de la Fédération Française Handisport qui semble s’intéresser attentivement au fonctionnement du club. On évoque désormais une enquête administrative diligentée à la suite de plaintes d’adhérents du club dénonçant des errements de gestion.

Quant à la rumeur des bouchons, elle s’est transformée en actions de terrain dont les péripéties sont loin d’être terminées…

Laurent Lejard, mai 2002.

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