Jean a contracté la polio quand il était adolescent. Chez lui, il se déplace à pied. Le pas n’est pas très assuré et la faiblesse de ses bras lui interdit le secours d’une canne ou d’un déambulateur. Néanmoins, dans le périmètre de son appartement, la marche est fonctionnelle.

Il y a deux mois, un faux pas dans la salle de bains, et c’était la chute. Apparemment plus de peur que de mal, mais le visage avait rencontré le sol avec une certaine violence. Les voisins sont venus donner un coup de main et le médecin de quartier l’a tout de même orienté vers les urgences de l’hôpital. Diagnostic : fracture du nez, huit jours d’hospitalisation après une petite intervention chirurgicale. Le personnel attentionné et étonné : « On vous a agressé ? » Lui : « Non, je me suis fait ça tout seul, en tombant chez moi » Réponse : « Oh… mais, handicapé comme vous êtes, vous devriez faire attention, rester assis et ne jamais être tout seul, c’est trop risqué! » Lui : « Vous avez peut-être raison mais c’est un mode de vie qui me convient assez bien »

En fait depuis près de trente ans qu’il vit chez lui, Jean a connu quelques aventures douloureuses sanctionnées par des points de suture ici et là. Mais il ne joue pas sa vie à chaque instant. Il a pris la mesure de ses incapacités et autant que possible, il ne va pas au- delà de certaines limites. Avec les conseils de professionnels, il a aménagé son appartement et il y est indépendant. Sachant que les accidents domestiques existent, il essaie d’en anticiper la survenue. Il n’est ni téméraire ni particulièrement audacieux, il a simplement choisi de vivre dans la ville avec ce que cela représente de fatigue, de risques, et de libertés. Il aurait pu aussi opter pour le foyer ou tenter de rester au sein de sa famille… Il y aurait eu d’autres avantages et d’autres contraintes.

Ce qu’il voudrait, c’est qu’après un incident fâcheux, on ne le traite pas comme un enfant irresponsable. Qu’on respecte son autonomie et que l’on ne joue pas ses cartes à sa place. Il veut rester maître de ses atouts au milieu d’un entourage qui l’aime d’une présence transparente sans chercher à lui imposer ce qui serait mieux pour lui…

Pierre Brunelles, novembre 2000.

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