En 2007, les portes des institutions s’ouvrent enfin pour les jeunes invités de l’association Vietnam les enfants de la dioxine. Anh Manh et Phuong Dung ont été reçus par l’Association Valentin Haüy (A.V.H), de même que par le Musée du Louvre qui leur a présenté sa galerie tactile, laquelle voyagera d’ailleurs prochainement au Cambodge. Les jeunes vietnamiens l’ont en fait trouvée un peu petite, cette galerie, affirmant que les aveugles avaient le droit de toucher toutes les oeuvres et objets présentés dans les musées vietnamiens ! D’autres activités culturelles les attendent encore avant leur retour au Vietnam, vers la mi-décembre. Tous deux repartiront avec une canne blanche électronique, matériel qu’ils ont découvert en apprentissage rapide : leur éloignement géographique ne leur permet pas de satisfaire au long protocole de formation, il a fallu l’adapter. Selon eux, personne au Vietnam n’utilise encore ce matériel.

Anh Manh joue de l’orgue électronique et chante un répertoire « variétés » de la chanson vietnamienne des années 1950 à nos jours. Né en 1986, il est originaire des hauts plateaux de la province de Darlac, ravagée par l’agent orange déversé par les bombardiers américains durant la guerre du Vietnam. Actuellement, Anh Manh vit avec son frère à Ho Chi Minh Ville et étudie en 1ere année à l’école de musique. Il voudrait devenir enseignant mais a du mal à percer, les concours auxquels il lui est permis de participer étant ceux qui sont réservés aux personnes handicapées.

Phuong Dung est plus âgée; née en 1981 dans la cité balnéaire de Vung Tau, elle joue de la cithare, interprète la musique traditionnelle des minorités ethniques, même si elle trouve triste le monocorde. « La variété est plus aidée que la musique traditionnelle, commente-t-elle, on représente ce qui plait aux touristes. Les jeunes, aussi, apprécient moins le répertoire traditionnel. Ce qui vient de l’Occident est perçu comme meilleur, plus attrayant ». Phuong Dung souhaite ainsi se faire accepter par sa mère, qui voulait un garçon, en lui montrant qu’elle est utile. Elle veut aussi aimer (elle a d’ailleurs un petit ami), avoir un foyer chaleureux et ne pas dépendre de sa famille. Pour l’instant, elle habite avec sa soeur à Ho Chi Minh Ville : « Vivre en ville n’est pas difficile, je me suis bien adaptée; à la campagne il n’y a pas de travail et je m’ennuie ».

Pour Anh Manh et Phuong Dung, l’installation en ville a permis de ne pas accumuler de retard. « La ville est aussi plus adaptée, poursuit Phuong Dung. Il y a une meilleure formation professionnelle, jusqu’à l’université, même si l’accessibilité est encore médiocre ». Alors que Nguyên Hoàng Phuoc, autre musicien accueilli en France l’an dernier, vit dans le delta du Mékong, ce qui l’oblige à de fréquents déplacements pour participer à des concours et examens.

L’intégration reste à construire dans les mentalités : Nguyên Thanh Tùng, musicien de grand talent qui est venu en France en 2005, a subi deux déceptions amoureuses du fait des parents de ses petites amies qui leur ont refusé de les marier avec un aveugle victime de la dioxine. « Les gens pensent que les handicapés ne seront jamais comme les autres, et n’iront jamais loin, déplore Nguyen Phuong, Secrétaire Générale de Vietnam les enfants de la dioxine. Alors les jeunes handicapés ont la volonté de montrer qu’ils ne sont pas des bouches inutiles à oublier dans des établissements ». Le Vietnam compte peu d’écoles spécialisées, les enfants mangent souvent par terre, par manque d’adaptations, et non à table, ce qui créé un sur-handicap. Pour réduire l’impact négatif des mendiants handicapés dans les rues, les pagodes bouddhistes ont créé des centres d’accueil mais cela a entrainé un regain d’abandon de nouveau-nés avec malformations congénitales liées à la dioxine de l’agent orange.

Phuong Dung, née après la guerre, n’a pas de ressentiment et rappelle que tous les Américains n’étaient pas pour la guerre et que certains l’ont combattue. Phuong Dung et Anh Manh distinguent le peuple américain de ses dirigeants mais ils constatent qu’il y a deux poids deux mesures en matière de traitement des victimes et de décontamination des terrains : la multinationale américaine Dow Chemical a récemment versé 3 millions de dollars U.S pour décontaminer un site au Vietnam, contre 120 millions pour des actions similaires aux U.S.A…

Laurent Lejard, novembre 2007.

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