C’est en voisin que Fabrice Payen devrait prendre la mer le 6 novembre prochain pour rallier la Guadeloupe pour la Route du rhum, à bord du trimaran de 50 pieds Team Vent Debout. Ce sera sa deuxième participation, après celle de 2018 où un démâtage l’avait contraint à l’abandon. Cette fois, avec ses partenaires Cheops Cap Emploi, Pôle Emploi Bretagne, Groupe CIB, Ilago et ceux qui viendront les rejoindre, il espère boucler cette mythique course au large qui rassemble la fine fleur de la voile internationale. Pour cette compétition, il utilise une prothèse de jambe dont l’électronique de pointe est étanche.

Question : Quel est votre défi ?

Fabrice Payen : Participer à la prochaine route du rhum, et la terminer cette fois. Je n’y suis pas arrivé en 2018. Je veux aller au bout de ce challenge, et donner de la visibilité au handicap, relayer les actions en faveur de l’inclusion.

Fabrice Payen

Question : Cette course en solitaire relie la Métropole aux Antilles Françaises, sur quels types de bateaux ?

Fabrice Payen : Il y a six classes de bateaux, trois en monocoques et trois en multicoques. Moi je suis en Rhum multi, qui est un peu l’origine de la course, où tous les bateaux sont différents les uns des autres ; ce sont souvent des vieux bateaux, des trimarans et catamarans de tailles variées, avec un minimum et un maximum. C’est aussi la classe des amateurs.

Question : Pour vous, la voile c’est un métier, une vocation pour quelqu’un qui est né loin de la mer ?

Fabrice Payen : C’est un peu des deux. C’est vrai que je suis né loin de la mer, mais j’ai grandi depuis toujours à Saint-Malo. J’ai l’impression d’être plus malouin que d’ailleurs. Et naviguer est une passion dont j’ai fait mon métier. J’étais skipper dans la marine marchande pendant une vingtaine d’années, des bateaux à voile, souvent des anciens bateaux de course dont les Pen Duick, pour des croisières hauturières, et des régates en Méditerranée pendant plusieurs années.

Question : On cherche toujours à comprendre les raisons de cette envie d’aller sur l’eau, qu’est-ce qui fait qu’un être humain comme vous veut glisser sur l’eau à bord d’un bateau ?

Fabrice Payen : C’est très difficile à expliquer. L’émergence, l’origine d’une passion, pourquoi on décide de gravir une montagne, ou traverser l’Atlantique, ou faire le tour du Monde en solitaire, les raisons sont propres à chacun. La naissance d’une passion, ce sont les premières sensations dans la découverte d’un élément, j’imagine. Après, être sur l’eau en solitaire donne une sensation de liberté qu’on retrouve difficilement ailleurs, que pour ma part je n’arrive pas à retrouver ailleurs. Seul avec les éléments et sur des bateaux puissants, il y a un sentiment incroyable de liberté.

Question : Quelle a été votre plus grande appréhension ou frayeur ?

Fabrice Payen : La plus grande appréhension ce sont des situations où on se retrouve en danger immédiat, à la merci des éléments, attendre que la tempête passe sans pouvoir faire autre chose que subir.

Question : Et votre plus grande joie ?

Fabrice Payen : Des moments de plénitude où le bateau marche bien, les conditions sont avec vous, des longues distances parcourues facilement, des sensations d’être en accord avec le bateau et les éléments.

Fabrice Payen à la barre

Question : Par rapport à votre handicap, y a-t-il des gestes, des actions délicates, périlleuses à exécuter ?

Fabrice Payen : En course en solitaire, il y a un danger inhérent à tout marin de passer par dessus bord. Donc les déplacements à l’avant et certaines manoeuvres sont plus périlleuses, mais je fais en sorte, et c’est une obligation, d’être attaché, d’être tout le temps relié au bateau par une sangle. Il peut y avoir des manoeuvres plus compliquées, comme monter dans la mature pour réparer, c’est plus délicat pour moi.

Question : Vous rencontrez également pour participer à ces courses des difficultés à trouver l’argent nécessaire, les sponsors ne viennent pas spontanément…

Fabrice Payen : C’est le lot de chaque skipper, a fortiori quand il n’est pas forcément connu. Il est toujours compliqué de créer un capital confiance pour attirer les budgets. C’est encore plus difficile quand on est en situation de handicap, il y a encore un déficit de confiance qui s’ajoute. C’est dans ce contexte qu’est née l’association Team Vent Debout qui a pour but d’utiliser la course au large pour donner de la visibilité au handicap, aider des skippers en recherche de budgets pour démarrer leur projet.

Question : Dans ce circuit de compétition, vous êtes combien de skippers handicapés ?

Fabrice Payen : On est peu, parce qu’il est très difficile de trouver les budgets. Maintenant, la course au large est l’une des rares disciplines totalement inclusive, pas de classement handi, pas de classement féminin. C’est une vitrine exceptionnelle pour donner de la visibilité au handicap et relayer toutes les actions menées. C’est Damien Seguin qui a ouvert la voie, on lui doit la participation aux courses au large. Il a fait du chemin, il a réussi à créer la confiance et montrer qu’avec des contraintes physiques on arrivait malgré tout à de belles performances. Il y a également un autre skipper, normand, d’un autre handicap. A partir du moment où on satisfait aux prérequis, on réussit la qualification, qu’on montre la maîtrise de notre engin, un skipper avec une contrainte physique peut participer.

Question : Que diriez-vous à nos lecteurs titillés par l’envie de naviguer mais qui hésitent encore ?

Fabrice Payen : S’ils ont ce désir, il y a de multiples façons moins extrêmes que la course au large pour découvrir cet élément. Des bateaux sont adaptés, avec de nombreuses possibilités d’initiation, de découverte dans des conditions sures. La méconnaissance du milieu ne doit pas être un frein à la découverte du milieu marin.

Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2022.

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