Pouvait-on rêver meilleur endroit que le Domaine de Longchamp pour installer « le premier site exemplaire du développement durable […] un exemple de pédagogie au service du développement durable, à vocation européenne et international » lisait-on dans un communiqué le 14 mai 2004 ? Situé dans le Bois de Boulogne, bordé par l’hippodrome de Longchamp, le select Polo-club de Paris et Bagatelle, le château de Longchamp ainsi que le vaste parc qui l’entoure constituent une adresse prestigieuse que la ville de Paris, propriétaire, a décidé de confier au WWF France (Fonds mondial pour la nature). L’adjointe au Maire chargée du commerce, Lyne Cohen-Solal, était lyrique lors du Conseil de Paris du 10 mai 2004 qui a voté une concession exceptionnelle de 39 ans au lieu des 25 années habituelles : « Ce sera pour l’Ouest de Paris, une formidable opportunité de création d’une vitrine tournée vers le commerce équitable, les artisans et les PME respectant les règles de construction de Haute Qualité Environnementale, ainsi que les agriculteurs et les commerçants promouvant l’agriculture biologique. »

Huit ans et demi plus tard, rien de cela n’a été réalisé, et la seule association que le WWF avait été « contraint » d’héberger est expulsée par la manière forte : Escapade Liberté Mobilité, qui organise des randonnées adaptées en engins électriques adaptés aux personnes handicapées motrices, s’est vu couper l’électricité au tout début d’une vague de froid, ne pouvant faire fonctionner ni chauffage ni téléphone ni ordinateur ni chargeurs de batterie.

« Nous sommes hébergés dans le château par le WWF à la demande de la ville de Paris. Le droit d’occupation courrait jusqu’aux travaux, explique Louis-Albert Serrut, Délégué pour Paris d’Escapade Liberté Mobilité. On nous a annoncé les travaux pour 2007, à l’époque nous avons obtenu l’accord du président du WWF pour nous installer dans un Algeco le temps qu’ils soient faits. Les travaux ont ensuite été annoncés pour 2008, puis 2009, et en octobre 2012, la nouvelle présidente, Isabelle Autissier, nous a écrit qu’il fallait partir à cause du début des travaux. »

La célèbre navigatrice occupe en effet depuis décembre 2009 la présidence de la fondation support juridique du WWF en France : « Escapade avait un contrat d’occupation jusqu’en mars 2012, pendant six ans, confirme-t-elle. On a retiré nos personnels du château à la suite d’un rapport de la commission de sécurité. On attendait qu’Escapade s’en aille. Et au début de l’hiver, un audit électrique nous a conduit à couper l’électricité par mesure de précaution. On est responsables pénalement. »

Mais elle n’évoque pas le lancement des travaux qui, pourtant, conditionnaient la concession accordée par la ville de Paris : « On a dépensé énormément d’énergie pour trouver un bailleur afin de rénover le château. On a rempli nos objectifs pour les autres bâtiments, qui sont occupés par Yann-Arthus Bertrand [Sa fondation Good Planet et son studio photo Altitudes Aniway sont effectivement installés dans l’un des deux bâtiments annexes qui a été soigneusement rénové NDLR] et nos services. On est en discussion avec la ville de Paris pour trouver une solution. »

Etonnamment, le permis de construire apposé à l’entrée du site n’est plus valide depuis six mois et la convention signée avec Paris laisse à la charge du WWF l’intégralité des dépenses de rénovation qu’il a proposées en échange d’une redevance d’occupation symbolique : 4,96€ le m2 carré habitable pour l’année 2012, soit 100 fois moins que le loyer moyen dans le 16e arrondissement de Paris ! Un beau cadeau que l’écolo-star Isabelle Autissier n’a visiblement plus envie de partager avec une association de loisirs nature pour personnes handicapées, comme en témoigne le courrier qu’elle lui a adressé le 10 octobre dernier : « Nous avons, nous-mêmes, de grosses difficultés à reloger nos salariés dans le bâtiment Dreyfus [L’un des deux rénovés NDLR], donc il nous est malheureusement impossible d’accueillir le personnel de votre association, et de plus il n’est pas accessible aux personnes handicapées. » Un juriste pourrait s’interroger sur le fait que ce soit la présidente de la Fondation WWF, et non le responsable légal en charge du Domaine de Longchamp, qui demande à Escapade d’en quitter les locaux, mettant en évidence un montage étonnant qui repose sur une société anonyme spécialement créée en août 2004, filiale de la Fondation WWF France.

Cette SAS WWF Domaine de Longchamp affichait 311.300€ de pertes en 2011, soit presque trois fois le chiffre d’affaires de 122.400€ : elle ne semble devoir sa survie qu’à l’apport continu d’argent effectué par la Fondation WWF dont les recettes proviennent essentiellement de dons privés. Entre le 1er juillet 2009 et le 30 juin 2010, les organisations occupant le domaine ont en fait acquitté 96.000€ de loyer et charges locatives, dont 2.700€ l’ont été par Escapade. L’analyse du dernier rapport de gestion Domaine de Longchamp 2010 montre que cette société connaît des pertes chroniques et qu’elle a « mangé » son capital : « Les capitaux propres sont pour le 3e exercice consécutif inférieurs à la moitié du capital social » explique ainsi le rapport de festion. Une liquidation rendrait caduque la convention signée avec Paris, mettant à la rue le WWF, ses deux sociétés filiales (Panda et WWF Domaine de Longchamp) ainsi que les entreprises de Yann-Arthus Bertrand, à égalité avec l’indésirable Escapade Liberté Mobilité. De son côté, un porte-parole de la ville de Paris, qui vient de recevoir une Marianne d’Or du développement durable, répond : « Pas de commentaire »… Pour sa part, le Maire, renvoie dos-à-dos les deux organisations, « aussi remarquables qui ont son soutien l’une et l’autre » rapporte un participant à une réunion publique lors de laquelle Bertrand Delanoé a été interrogé sur le litige. Quant à son adjointe chargée des personnes handicapées, Véronique Dubarry, d’Europe Ecologie-Les Verts, elle n’est pas en charge du dossier mais ne veut pas être confondue avec les « écolos-stars » qui occupent le Domaine de Longchamp, en rappelant qu’elle, elle est de gauche…

Laurent Lejard, décembre 2012.

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