Catherine Meimon Nisenbaum, avocate à la Cour, spécialisée dans l'indemnisation du préjudice corporel.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu, le 24 octobre 2006 dans l’affaire Vincent contre France, un arrêt qui, statuant sur l’impossibilité pour un prisonnier paraplégique de circuler dans la maison d’arrêt de Fresnes, a conclu à l’unanimité à la violation par la France de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Le requérant, condamné à une peine de 10 ans de réclusion criminelle, paraplégique et ne se déplaçant qu’en fauteuil roulant, a saisi le 11 janvier 2003 la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le prisonnier a été incarcéré dans les maisons d’arrêt de : Nanterre (25 novembre 2002 au 17 février 2003) où, suite à une tentative de suicide le 25 décembre 2003, il a été transféré quelques jours à l’hôpital de cette ville; Fresnes (17 février 2003 au 11 juin 2003); Cergy-Pontoise (11 juin 2003 au 21 février 2005); Meaux-Chauconin (21 février 2005 au 21 mars 2006); Villepinte (21 mars 2006 au jour de l’arrêt).

La Cour, après avoir examiné les différents griefs portant sur l’accessibilité des lieux de détention, considéra que lesdites maisons d’arrêt, à l’exception de celle de Fresnes, ne répondaient pas de l’application de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Le requérant, faisant valoir que l’étroitesse des portes ne lui permettait pas de les passer en fauteuil, expliqua que l’intervention d’un surveillant était nécessaire pour le porter afin de procéder au démontage d’une roue. Dans ce contexte, l’accès au bâtiment du secteur socio-éducatif lui était impossible et il ne pouvait de ce fait participer à aucune activité (sport, culte, travail). De même, durant deux mois, l’accès à l’installation de douche lui a été impossible et il était contraint d’effectuer ses soins intimes en présence de son codétenu. Le Gouvernement français, pour sa part, a fait notamment valoir que la maison d’arrêt de Fresnes a été construite à la fin de XIXe siècle, que les cellules ont été aménagées et les embrasures des portes élargies pour prendre en compte le passage des fauteuils roulants, que le requérant occupait au rez-de-chaussée une cellule adaptée (sanitaire et mobilier), qu’une garde médicale était assurée 24h /24 et qu’il lui était possible d’être accompagné pour accéder à la bibliothèque, aux salles d’enseignement et à la chapelle, ce qu’il avait refusé. La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence, l’article 3 de la Convention qui stipule que : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », s’applique dès lors que le mauvais traitement atteint un minimum de gravité :

« Dans la présente affaire se posent la question de la compatibilité de l’état de santé du requérant avec son maintien en détention pendant quatre mois dans un établissement où il ne pouvait circuler seul et celle de savoir si cette situation a atteint un niveau suffisant de gravité pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. Si des cellules ont été aménagées au plan du mobilier et des sanitaires, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce le requérant ne pouvait ni quitter sa cellule, ni se déplacer dans l’établissement par ses propres moyens. Le fait que, pour passer des portes, le requérant ait été contraint d’être porté pendant qu’une roue de son fauteuil était démontée, puis remontée après que le fauteuil eut été passé l’embrasure de la porte peut en effet être considéré comme rabaissant et humiliant, outre le fait que le requérant était entièrement à la merci de la disponibilité d’autres personnes. En outre, le requérant a vécu dans ces conditions pendant quatre mois, alors que la situation avait été constatée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation et un médecin, que de nombreux autres établissements pénitentiaires existent dans la région parisienne et que le Gouvernement ne soutient pas que des raisons impérieuses nécessitaient son maintien à Fresnes. En l’espèce, rien ne prouve l’existence d’une intention d’humilier ou de rabaisser le requérant. Toutefois, la Cour estime que la détention d’une personne handicapée dans un établissement où elle ne peut se déplacer et en particulier quitter sa cellule par ses propres moyens, constitue un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Dès lors, elle conclut pour cette raison à la violation de cette disposition en l’espèce, les autres griefs du requérant relatifs à ses conditions de détention dans la maison d’arrêt de Fresnes n’apparaissant pas aux yeux de la Cour, pour leur part, comme atteignant le seuil de gravité nécessaire pour que l’article 3 entre en jeu « .

Il est mentionné que le requérant a été transféré le 21 février 2005 dans la maison d’arrêt de Meaux-Chauconin, qui est un établissement récent adapté aux personnes handicapées. Or, tandis que ce détenu n’avait présenté aucun recours contre l’Etat au regard de cet établissement tout à fait approprié à son handicap, force est de constater que, pour des raisons ignorées, il en a été retiré. Ainsi, la Cour relève que « de nombreux autres établissements pénitentiaires existent dans la région parisienne et que le Gouvernement ne soutient pas que des raisons impérieuses nécessitaient son maintien à Fresnes ». Dès lors, on ne peut que moins encore comprendre les raisons pour lesquelles le prisonnier a été maintenu à Fresnes. Un prisonnier doit certes effectuer sa peine, mais dans des conditions normales de détention. En tout premier lieu, son handicap doit être respecté; on ne saurait à l’évidence l’empêcher de se rendre et de circuler en tous lieux autorisés aux autres prisonniers. L’application d’une peine d’emprisonnement implique le respect par l’Etat des droits de l’homme, et tout particulièrement celui des droits des personnes en situation de handicap.

Monsieur Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, demande l’implication, au sein du monde carcéral, de délégués qu’il présente comme « un relais privilégié entre le citoyen et les pouvoirs publics ». Ceux-ci auraient alors sans nul doute permis, dans le cas d’espèce, l’instauration d’un dialogue qui aurait abouti au transfert du requérant dans une maison d’arrêt accessible et adaptée. Enfin, il ne faut pas omettre que le principe de l’accessibilité, loi votée le 11 février 2005, donne accès à toute personne handicapée, que ce handicap soit physique, sensoriel, mental, psychique ou cognitif, à l’exercice des actes de la vie quotidienne et sociale. De surcroît, le décret du 18 mai 2006 vise expressément, dans son champ d’application, les établissements pénitentiaires. En attendant l’application de cette loi, il faut absolument que les droits des personnes en situation de handicap soient respectés, et de telles exactions inlassablement dénoncées.

Catherine Meimon Nisenbaum, avocate au Barreau, décembre 2006.

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