2021 est une année faste pour l’ancienne colonie romaine : une nouvelle institution dédiée à l’art contemporain, la Fondation Luma, ouvre dans un écrin de prestige conçu par le starchitecte canadien Franck O. Ghery dans un style censé générer un effet « Gugghenheim de Bilbao », et son musée provençal Arlaten créé en 1909 par l’écrivain poète Frédéric Mistral rouvre après une longue et mouvementée rénovation. Avec à chaque fois une remarquable accessibilité.
Luma entre lumière et ombre
Cette fondation privée créée par la milliardaire Maja Hoffmann, héritière du conglomérat chimico-pharmaceutique Hoffmann-La Roche, s’est installée sur le site des anciens ateliers SNCF, fermés en 1984 et situés à quelques centaines de mètres de la ville ancienne. Les halles et hangars ont été restaurés et aménagés en lieux d’expositions et d’activités artistiques, un parc paysager remplaçant les sols industriels d’antan, un hôtel aménagé (avec une chambre accessible et adaptée) dans l’immeuble directorial et un « geste architectural » marque le lieu côté ville, avec sa tour de neuf étages de béton miel bardée sur trois côtés d’un habillage torsadé de verre et d’acier inox conçu comme une oeuvre d’art total.
Les salles exposent la collection d’art contemporain de Maja Hoffmann, des salles de travail, bureaux de création, auditorium, bar-restaurant, le toit terrasse de la tour offre un panorama sur la ville ancienne, des artistes ont créé dans le bâtiment des installations pérennes dont l’accessibilité aux visiteurs handicapés a été élaborée avec eux. Par exemple, à la différence de celui de Londres, le double toboggan Isometric Slides du belge Carsten Höller est adapté aux visiteurs handicapés moteurs : départ et arrivée à 50 centimètres du sol, plateforme mobile de transfert et protocole assurant leur récupération en bas par du personnel acheminant leur fauteuil roulant ou autre aide à la mobilité.
Mais de ces adaptations, le public n’est pas informé et ne trouve rien sur le site web de Luma qui mentionne tout juste le « basique » en termes d’accessibilité. Ignorés les totems d’appel du personnel pour bénéficier dès l’arrivée d’une aide au guidage ou à la mobilité (fauteuil roulant, canne-siège), le fil d’Ariane, la douzaine d’oeuvres adaptées, les bornes sonores et boucles magnétiques, les poignées de porte et les boutons d’ascenseurs à identification braille, les maquettes tactiles de découverte des lieux tout juste mentionnées mais pas situées, etc. C’est sur le Registre d’accessibilité que tout figure, mais il n’est pas publié par Luma contrairement à son obligation réglementaire, fâcheux oubli réparé par ce téléchargement au format PDF. Pourquoi avoir déployé autant de moyens et d’énergie pour finalement dissimuler au public les adaptations et aménagements conçus pour lui ? Ces réalisations auraient-elles déplu à la riche commanditaire, ou la présence de visiteurs handicapés ferait-elle tâche ? Et pourquoi leur imposer des portes intérieurs lourdes à ouvrir alors qu’il suffit d’en régler la pression, ce qui avait pourtant été fait ? Arles reçoit les bonnes années plus d’1,5 millions de visiteurs et nombreux seront ceux qui visiteront Luma, valides ou pas : ses gestionnaires devraient avoir cela à l’esprit et valoriser une réalisation exemplaire.
La Provence au musée
Après 12 années de fermeture, le Museon Arlaten a enfin rouvert ; sa rénovation s’est transformée en reconstruction intérieure, les planchers menaçant ruine. Ce museum arlésien a été voulu par Frédéric Mistral pour englober les sciences naturelles, donner accès à la connaissance et à ses oeuvres, à une époque d’émergence de l’ethnologie. Le nouvel Arlaten met en valeur les vestiges du forum romain entourés de bâtiments construits aux XVIe et XVIIe siècles, et propose deux visions : autour de sa collection d’oeuvres et objets, et de l’évolution du musée depuis sa création en 1899. La salle gréco-romaine, pastiche introduisant l’ancrage antique de la Provence mistralienne, débute la visite, suivie d’une présentation du félibrige, mouvement provençal de restauration des langues d’Oc et de leur patrimoine. Les dioramas conçu par Mistral sont toujours là, reconstitutions d’une chambre d’accouchée recevant cadeaux et bons augures, cuisine lors du départ pour la messe de la Nativité, avec mobilier, ustensiles et mannequins dont les visages reprennent ceux de contemporains.
On comprend en parcourant les vitrines l’évolution du costume féminin vers ses spécificités arlésiennes, on découvre l’univers camarguais, les particularismes religieux et les superstitions (dont la terrifiante Tarasque mise en relief), etc. Arlaten a fait le choix d’exposer son évolution au fil du temps, au début du XXe siècle, puis les années 1940, 1970 et notre époque pour terminer.
Ce qui ne s’est pas fait sans conflit entre l’équipe muséographique et le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône, propriétaire du musée, dont la présidence a tenté d’orienter les choix ; c’est ainsi que la section évoquant l’importance de la culture gitane en Camargue et Arles a suscité une controverse publique. Parce qu’Arlaten est un musée ethnologique vivant qui poursuit son travail de collecte de terrain sur un territoire sinistré par la désindustrialisation, marqué par des luttes sociales à répétition, la marginalisation des populations au profit de la gentrification de la ville historique par des « investisseurs » pratiquant l’entre-soi. Un territoire en mutation dans lequel des jeunes femmes portent quotidiennement le costume d’Arlésienne, paradoxe dont la trace sera conservée à Arlaten.
L’accessibilité du musée est soignée, avec une entrée unique pour tous, des ascenseurs, élévateurs et aides à la mobilité (fauteuil roulant, canne-siège), un parcours tactile comportant maquette des bâtiments et pupitres présentant une sélection de pièces, guide en Facile à lire (FALC), boucles magnétiques, vidéo en Langue des Signes Française de présentation, visites LSF à partir de septembre. L’offre de visites adaptées ne concerne toutefois que les groupes pour les personnes handicapées mentales ou psychiques, ou déficientes visuelles. Bien que situé dans une rue piétonne, de nombreux stationnements réservés sont proches, boulevard des Lices et rue Molière notamment.
Réattu accessible en parallèle
Ses bâtiments construits au XVe siècle n’ont pas été mis en accessibilité, et sans attendre que la ville d’Arles s’y intéresse, l’équipe du musée a élaboré Réattu parallèle, espace muséographique adapté tous handicaps : une salle présente en vidéo Langue des Signes Française, tactile et audiodescription une sélection d’oeuvres enrichies d’une nouvelle chaque trimestre. La table multimédia qui présente actuellement une dizaine d’oeuvres apparaît constituer une solution palliative d’accessibilité universelle propice à la médiation culturelle. Ces réalisations sont effectuées sur le budget du musée et grâce au mécénat de la Caisse d’Épargne, en collaboration avec des associations de personnes handicapées.
Installé dans le Grand-Prieuré de l’Ordre de Malte, le musée Réattu expose l’oeuvre du peintre arlésien Jacques Réattu (1760-1833), des collections de dessins de Pablo Picasso, de photographies (il fut pionnier des premières Rencontres arlésiennes de la photographie), et des oeuvres contemporaines. Sont venus et ont travaillé ici, outre Picasso, Nicolas De Staël et Jean Cocteau, l’historien Jean-Maurice Rouquette et le photographe Lucien Clergue cofondateurs des Rencontres photos.
Le musée et ses collections sont présentés en Langue des Signes Française, un livret de visite Facile est disponible à l’accueil ou téléchargeable, il propose l’audiodescription de six oeuvres et du Grand Pieuré. Accès en fauteuil roulant par rampes amovibles, il est préférable de prévenir au préalable. Des visite accessibles de la cour du Grand Prieuré sont organisées lors des journées du patrimoine et deux fois par an au printemps et en automne.
Saint-Trophime toujours inaccessible
Annoncée par la municipalité pour 2015 (lire ce reportage), l’accessibilité au merveilleux cloître romano-gothique de l’église Saint-Trophime n’est toujours pas réalisée. Actuellement, il faut gravir plusieurs escaliers à hautes marches depuis la cour de l’Archevêché, ce qui rebute bien des visiteurs. Ce cloître aux piliers et colonnettes de marbre noircis par le temps et aux chapiteaux sculptés devenus illisibles a été entièrement restauré, de même que son portail sud qui devait assurer l’accès des visiteurs handicapés. Il « rouvrira avec accessibilité en 2015 par la rue du Cloître, avec une place de stationnement réservé », nous avait-on dit en 2012.
Hélas, pour constituer une offre complémentaire à Luma (un véritable Majapoly pour le magazine local d’information L’Arlésienne), Maja Hoffmann a acheté l’immeuble qui ferme la cour mitoyenne pour en faire un hôtel tendance : « L’accès n’est plus possible parce que la place a été récupérée par l’hôtel du Cloître », explique une chargée d’accueil de l’office de tourisme d’Arles. La ville envisage un projet d’accueil du public, mais sans échéance définie : « Le projet d’accessibilité est au programme du dossier géré par le service du Patrimoine de la Ville, justifie son porte-parole. Une nouvelle entrée est prévue rue du Cloître. Elle sera située dans l’ancienne maison du prévôt qui a été rachetée par la Ville. Une étude de faisabilité concernant la restauration et les aménagements spécifiques de cette bâtisse est à l’état de projet […] La maison du prévôt est accolée au cloître Saint-Trophime. Par ailleurs la présence de l’Epicerie [restaurant de l’hôtel du Cloître] ne gênera pas le passage des visiteurs car sa devanture/terrasse est située sur le domaine public et la Ville peut faire valoir son droit de créer un passage pour l’entrée au cloître dans ce périmètre. » Cette privatisation du domaine public pourrait ne pas durer éternellement et transformer l’accessibilité au cloître en… Arlésienne.
Bonus van Gogh
Bien que le peintre Vincent van Gogh ait peint en terre provençale plusieurs tableaux marquants, la Fondation Vincent van Gogh ne possède aucune de ses oeuvres. Si elle bénéficie habituellement d’un prêt annuel, 2021 est nettement plus faste : elle accueille en effet sept oeuvres provenant de musées internationaux. Grâce au soutien du milliardaire Lukas Hoffmann, père de Maja, la fondation est installée depuis 2010 dans l’ancienne Banque de France (dont seuls les locaux directoriaux sont ouverts à la visite à la différence de celle de Béthune également transformée en musée) adjointe d’une extension moderne. Jusqu’au 31 octobre, les tableaux de Vincent van Gogh dialogueront avec les papiers peints créés par la plasticienne américaine Laura Owens, qui a également créé des livres uniques accompagnant son travail ; à la fois visuels et tactiles, ils sont à apprécier autant qu’Hôpital à Saint-Rémy ou Champ clos avec laboureur. Dommage que l’accessibilité se limite au bâtiment et que des visites adaptées ne soient pas au programme…