Dans la galerie du magazine photographique Fisheye (Paris 10e) aux murs bruts, des photographies peintes exposent des paysages d’Islande, aisément reconnaissables par quiconque a eu la chance de visiter cette île du cercle polaire arctique. Et sur quelques-unes, une femme aux longs cheveux blancs apparaît dans une vision fantasmatique. Cette femme, c’est la présence de l’absente, la mère de la photographe et peintre Flore Prébay : « Je devais partir en Islande avec elle, finalement je n’ai pas pu. Donc je suis partie en van avec mon mari et une amie, initialement pour faire le portrait du pays et de ma mère. Au retour de ce voyage, j’ai compris qu’il s’agissait plutôt d’elle, de l’absence, de la présence, et je voulais aussi montrer l’invisible. Mon amie a posé pour la série, l’idée était qu’elle représente ma mère, une représentation universelle d’elle. »
Un voyage en tout début d’été, dans la période du soleil de minuit. Restée en France, la mère de Flore vivait encore avec les séquelles d’une démence fronto-temporale aggravée par une sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Charcot. « Elle n’avait plus du tout la notion de l’espace, du temps, mais elle communiquait encore. J’ai pu lui montrer quelques images, parler avec elle de cette disparition progressive, et, trois mois après le diagnostic de démence, elle a été diagnostiquée en avril 2024 pour la maladie de Charcot. Un autre processus a suivi, avec des difficultés de déglutition, une paralysie progressive, elle est décédée en juin 2025. » La combinaison des deux pathologies a entraîné des incompatibilités de traitement, générant une fin de vie accélérée, accompagnée dans les derniers moments par un service de soins palliatifs et la présence constante de Flore aux côtés de sa mère.
C’est tout cela qu’elle expose dans Deuil blanc, à la fois exposition et livre d’artiste : « J’ai voulu montrer dans cette série le sentiment de disparition progressive, comme ce glaçon de la plage de Diamond beach qui se grignote, fond au fur et à mesure, mais encore là, vivant, parmi nous, mais qui se délite. Je voulais surtout parler de la notion de Deuil blanc, quand la personne est physiquement là mais qu’elle disparaît peu à peu, on vit un peu un deuil avant le vrai deuil. » Dans la galerie Fisheye, la plupart des photographies sont exposées, pas dans un tirage classique mais dans un rendu hybride sur des feuilles de papier conçues par l’un de ses oncles artisan papetier. « C’est un mélange entre du papier artisanal, de l’aquarelle et de la photographie. Ce rendu permet la réinterprétation des couleurs de la photo d’origine. » Avec un aspect éthéré, presque irréel, hors du temps comme la mère de Flore.
« Quand j’ai fabriqué les photographies à l’atelier, le fait de peindre sur chacune m’a permis de prendre le temps de réfléchir à cette série, à ce qu’elle voulait dire, à donner du sens. J’avais envie par ce Deuil blanc de pouvoir parler de sentiment, de ce qu’on traverse, plutôt que de montrer ma mère dans la maladie, ou en photo documentaire. » Elle le traduit notamment dans une maison photographiée en pose longue, avec une idée d’effacement, puis un papier plus clair partiellement superposé, renvoyant ce sentiment de perte d’un parent. Dans une démarche consciente de la situation des victimes de la maladie de Charcot. « Il me tenait à coeur que cette histoire qui m’est personnelle puisse servir pour la recherche médicale, pouvoir communiquer sur ces maladies, la SLA mais aussi la démence fronto-temporale. Le cas de ma mère était très particulier parce que la démence empêchait de lui administrer les traitements pour la maladie de Charcot, par exemple une sonde gastrique qu’elle aurait arrachée. Et la SLA faisait qu’on ne pouvait pas la mettre dans un établissement spécialisé pour la démence parce qu’il ne savait pas gérer la maladie de Charcot. Il y a beaucoup à dire sur cette lacune médicale où la prise en charge n’est pas adéquate quand on a deux maladies dégénératives, sachant que ma mère n’est pas un cas isolé. On s’est battu pour l’amener en soins palliatifs où on a dû rester près d’elle jour et nuit jusqu’à son décès pour pouvoir justifier son droit à ces soins-là. »
Quant au livre d’artiste, il est entré dans les collections de la Bibliothèque Nationale de France en avril dernier, comme un point d’orgue du travail de mémoire de Flore. « J’ai trouvé ça beau, parce que finalement ma mère devient éternelle. »
Laurent Lejard, novembre 2025.
Deuil blanc, exposition de Flore Prébay, est à voir jusqu’au 30 novembre 2025 à la Fisheye gallery, 2 rue de l’Hôpital Saint-Louis à Paris 10e. Livre d’artiste contenant des exemplaires uniques des photographies peintes, 30 exemplaires vendus 975€.




