Avec sa collègue Nicole Duranton (Les Républicains), la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin a rendu public cet été un rapport alarmant sur les inégalités d’accès à la culture et à la création que subissent les personnes handicapées : Culture et handicap : une exigence démocratique. Elles déplorent un manque de moyens de la politique de l »Etat et des collectivités territoriales, une dispersion des initiatives sans pilotage public, des financements insuffisants et aléatoires. Les deux rapporteures formulent également une vingtaine de propositions pour y remédier durablement. Brigitte Gonthier-Maurin revient sur les aspects principaux d’un rapport qui suscite de l’intérêt… pour l’instant.

Question : 
Quelles réactions a suscité ce rapport ?

Brigitte Gonthier-Maurin : La conférence de presse de juillet dernier a été assez suivie puisqu’une dizaine de médias étaient représentés. La dépêche de l’Agence France Presse a été fortement reprise sur le web, la presse régionale a fait état de ce rapport. Cela a déclenché une sollicitation de la ministre de la Culture et on sera reçues fin septembre dans ce ministère en présence de la secrétaire d’Etat chargée des Personnes handicapées. Au-delà, sans doute avez-vous remarqué que l’on fait un peu fi de nos appartenances politiques quand on engage ce genre de travail, parce que permettre le débat modifie beaucoup de choses. Lorsque nous sommes par la suite en séance publique au Sénat, lorsque nous faisons la loi, que nous défendons des amendements, évidemment le consensus est davantage en marge.

Question : Et du côté des acteurs de la culture, d’établissements ou d’associations engagées dans ce domaine ?

Brigitte Gonthier-Maurin : On a reçu des demandes, j’ai en tête l’association Cemaforre qui nous sollicite. Mais vous l’avez vu, le rapport a été présenté très tardivement. On va communiquer à nouveau à l’occasion de notre rencontre avec les ministres et cela nous permettra de relancer. Nous souhaitons effectuer des visites complémentaires de rendu sur le terrain. On en avait effectué, mais on a aussi reçu beaucoup d’interlocuteurs au Sénat.

Question : Vous pointez dans le rapport le manque de lisibilité des politiques publiques, l’action de l’Etat qui lui consacre un seul fonctionnaire, et des régions. Mais on n’a pas connaissance, depuis la restructuration de la carte en 13 grandes régions, d’actions réellement structurées ?

Brigitte Gonthier-Maurin : Non, le gigantisme n’arrange jamais rien, au contraire il éloigne. Une de nos premières constatations dès le début des auditions, c’est le fait qu’il y avait ce manque de lisibilité dans le pilotage, dans le repérage, et donc dans l’accès pour les personnes en situation de handicap. Alors que sur le terrain il y a tout un tas de gens formidables – je ne dis pas ça pour flatter, je le pense sincèrement – qui se démènent. Des associations, mais aussi des centres culturels, des grands musées qui font beaucoup de choses, mais on a le sentiment d’un manque de coordination et surtout d’un problème récurrent, la pérennité du financement. Il suffit qu’une association, une personne, un lieu, une institution perde un financement et tout s’écroule. C’est surtout cela qui, moi personnellement, m’a choqué et mobilisé le plus. J’ai essayé de le faire transparaitre.

Question : Les actions d’accessibilité culturelles reposent toutes au début sur du mécénat d’entreprise ou de bienfaisance, mais pas sur le budget de fonctionnement et les Contrats d’objectifs et de moyens, un point que vous avez souligné ?

Brigitte Gonthier-Maurin : Absolument, c’est même un gros souci. D’une manière générale, et pas seulement pour les personnes en situation de handicap, je suis très inquiète de la progression de l’appel au mécénat, non pas que je pense qu’il ne doit pas y avoir de mécènes, mais quand une politique publique, c’est-à-dire une politique d’accès à égalité de droits pour toutes et tous dépend du bon vouloir d’un mécène, je pense que ça devient très problématique et hypothèque gravement l’avenir dans la qualité et la possibilité même de l’accès aux droits.

Question : Vous pointez également des entorses à la liberté des personnes handicapées à la fois du fait des restrictions liées à l’accessibilité, et aussi de choix imposés, par exemple pour pratiquer un instrument de musique…

Brigitte Gonthier-Maurin : Cela découle de plusieurs choses. D’abord ce problème récurrent de financement, et aussi de formation. Mais il y également un a priori sur le regard que l’on porte sur la personne en situation de handicap. De fait, inconsciemment, culturellement, on ne lui reconnaît pas l’exigence d’accès égal au droit à la culture, à la création, il y a une certaine tolérance sociale au non-accès aux droits, je trouve cela effroyable. Ça l’est d’autant plus que l’accès à la création et à la culture est fondamental pour les personnes en situation de handicap parce que c’est du lien social, c’est la plénitude de l’individu. Ce que l’on a pu constater dès lors qu’une personne en situation de handicap accède au droit à la culture et à la création, c’est du positif pour toute la société. Nous avons été très marquées par un témoignage de Madeleine Louarn qui dans son théâtre a fait jouer une pièce par des personnes en situation de handicap devant des personnes « normales ». La perception de l’oeuvre par les personnes dites normales a été modifiée, c’est-à-dire que cette interprétation a permis de la redécouvrir, de donner une autre version de l’oeuvre. Je pense que nous, personnes en situation de non-handicap, avons un a priori sur la capacité de création des personnes en situation de handicap et leur rapport à la société. Cela pose la question de l’école, de la découverte du handicap, de l’apprentissage de la différence comme un aspect extrêmement riche et très important dès le plus jeune âge.

Question : Pour vous, l’obstacle majeur serait davantage la perception du handicap par le public et les professionnels ?

Brigitte Gonthier-Maurin : Non, ce n’est pas l’obstacle majeur. L’obstacle majeur c’est d’abord le financement et la formation. Parce qu’il ne faut pas se raconter d’histoire : sans financement il n’y aura pas d’accès égalitaire. Je suis de ce fait très inquiète par les restrictions qui sont imposées aux collectivités territoriales, parce qu’on sait très bien que la culture, et a fortiori en direction des personnes en situation de handicap peut en pâtir lourdement. Mais dans le faisceau de difficultés, il y a aussi le fait que nous ne sommes pas formés à la différence. La différence fait peur, parce que nous ne la vivons pas dès le plus jeune âge comme quelque chose de riche. Je pense que cela constitue aussi un handicap.

Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2017.

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