Il fallait oser s’attaquer au sujet ô combien délicat de la place qu’occupent les personnes handicapées mentales dans les institutions censées les éduquer : les personnels et l’institution sont-ils au service des pensionnaires ou est-ce plutôt l’inverse ? Le défi relevé par la compagnie Théâtre de la grange aux quatre vents avec « Psy cause toujours… je t’intéresse » est une parfaite réussite sur une histoire pourtant difficile : un jeune pensionnaire autiste a mordu une éducatrice qui se met en arrêt de travail prolongé. Il est placé en hôpital psychiatrique, l’équipe éducative se réunit avec le directeur puis un conseil d’administration propose de laisser le jeune homme à l’hôpital au grand écartèlement moral du président de la structure puisque c’est son fils que l’on rejette ainsi. Seuls les soignants ont voix au chapitre, avec la conception qu’ils ont de leur travail, leurs certitudes intellectuelles et petites mesquineries quotidiennes; ils affirment ce qui est bon pour les jeunes autistes à l’aune de leur confort professionnel et moral, sans chercher réellement à comprendre comment fonctionnent ceux qu’ils prétendent soigner et éduquer.

Cet ensemble de scènes est interprété par des comédiens professionnels auxquels se joignent, dans leurs activités propres, des jeunes autistes; pendant que les adultes débattent, ces jeunes découpent du papier, dessinent, se querellent, vivent. Sous l’oeil d’un metteur en scène qui intervient de temps en temps : nous assistons en effet à la répétition supposée d’une pièce de théâtre, introduisant une distanciation qui vient adoucir la charge virulente contre les établissements et devrait réconforter personnels et parents. « Non, ça ne peut pas se passer comme cela dans la réalité, se diront certains spectateurs! On écoute les personnes handicapées mentales, on travaille avec elles sur leur potentiel afin de le développer, on leur propose des activités gratifiantes. Non, on ne les gave pas de médicaments psychotropes, on ne les laisse pas à longueur de journée face à du papier et quelques crayons ! ». Et pourtant…

Si la pièce est interprétée par des comédiens professionnels, de jeunes autistes interviennent dans des scènes de vie quotidienne pour ce qu’ils sont, pas pour ce qu’on voudrait bien qu’ils soient. Et dans le play- back final, détournement parodique de chansons célèbres interprétées par un imitateur de talent (Thierry Garcia), ils se déchaînent sous les projecteurs en montrant ce qu’ils sont, des jeunes qui vivent et jouent avec leurs moyens, sans artifice, sans piéger le public avec ces bons sentiments de pitié et de commisération qui font le charme détestable des spectacles de patronage. Si « Psy cause toujours… je t’intéresse » se joue près de chez vous, courrez-y !

On passera rapidement sur la sempiternelle histoire d’Hellen Keller, revenue cette année dans l’adaptation théâtrale du texte de William Gibson « Miracle en Alabama », qui a donné lieu à une adaptation cinématographique magistrale d’Arthur Penn (1962) et qui fut traduit en français par Marguerite Duras. La compagnie Francilienne Théâtre du signe a fait ce qu’elle a pu pour représenter ce miracle que le spectateur n’a pas vraiment perçu : était- ce dû à l’âge des comédiens ou à leur jeu parfois maladroit ? Bénédicte Budan a choisi de monter la pièce par « coup de foudre pour le texte », pour montrer un combat vital dans lequel tout devient possible. On retiendra surtout la présence et le beau chant de Jocelyne Vignon, servante au grand coeur. A noter que deux versions en audio- description et en langue des signes française de ce spectacle (dont aucune date de reprise n’est actuellement définie) sont actuellement en cours de préparation.

Le premier festival du Duo Soma. Elle, Sophie Simonet, chante et récite; lui, Emmanuel Sala, chante et joue de la guitare ou de la basse. Tous deux forment le Duo Soma, conjuguant leurs aptitudes, affrontant leurs faiblesses. Sophie a cette voix chuchotée et hésitante des personnes qui ont subi un accident cérébral, elle en conserve des séquelles physiques. Emmanuel compense une jambe plus courte par une semelle hyper compensée qu’il applique même à ses sandales ! Ils chantent la vie, la maternité, la première femme, le voyage, des rencontres, l’amour. Ils étaient en récital un soir sur deux lors du Festival d’Avignon Off. Emmanuel Sala connaissait l’ambiance en tant que spectateur, il a de la famille sur place. Il nous raconte comment il a vécu son mois de festival :

« Nous avons eu peu de public, une dizaine de spectateurs en moyenne, et peu de contacts professionnels, trois ou quatre. Notre créneau horaire était difficile (23h15). Mais nous sommes satisfaits d’avoir pu mener à bien quelque chose d’ardu. Notre rythme de vie était dur, couché un jour sur deux à deux heures du matin, les parades dans la journée, le spectacle, la chaleur. La première semaine, consacrée aux répétitions, a été très difficile; pour ma part, j’ai eu des problèmes de santé à répétition causés par le rythme de travail et de vie, jusqu’à la première représentation; il a fallu au corps un temps d’adaptation. Après, on a senti qu’on trouvait notre rythme, avec une bonne deuxième semaine et un peu de fatigue durant la troisième. De fait, le spectacle et la musique donnent de l’énergie, on sort gagnants Sophie et moi ! Jouer douze fois d’affilée nous a permis de roder notre spectacle, améliorer notre jeu scénique ».

« Nous avons vu des spectacles basés sur le travail du corps et rencontré d’autres artistes. On réfléchit avec eux : on envisage de revenir l’an prochain à Avignon, soigner la communication, préparer durant l’année cette période de festival. Cette fois nous sommes venus avec nos moyens personnels, l’an prochain on investira davantage. La parade était un moment assez spectaculaire, on chantait de par les rues avec un ampli rechargeable; le regard des passants renvoyait beaucoup de choses, une saine curiosité, une attirance pour ce qu’ils entendaient et voyaient, on voulait leur montrer notre volonté de bouger, d’avancer dans la vie. Et le livre d’or du spectacle est rempli de messages émus parce qu’on porte notre vie, notre corps sur scène : cet acte-là touche les gens. On a envie de continuer à travailler pour et autour du handicap parce que c’est porteur de valeurs ».

Laurent Lejard, août 2004.

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