Avalanche de FPS abusifs à Marseille

La seconde ville de France encouragerait-elle la fraude ? C’est la conclusion que l’on peut tirer des mésaventures d’Isabelle Réale, aidante de sa mère âgée de 86 ans titulaire d’une Carte Mobilité Inclusion stationnement (CMI-S) depuis juillet 2023. « Pour des raisons éthiques, justifie-t-elle, parce que je ne suis pas aidante de ma maman tout le temps, je n’ai pas enregistré ma voiture dans le fichier [informatique des usagers handicapés du stationnement] et je me sers de cette carte au coup par coup pour les besoins de maman. » Tout se passait bien jusqu’en novembre 2023, où elle reçoit un premier Forfait Post-Stationnement ; sauf qu’Isabelle Réale avait retiré un ticket gratuit PMR sur un horodateur et n’aurait pas dû être sanctionnée, une erreur sans doute. Suivent deux autres FPS en décembre alors qu’elle a pris un ticket gratuit sur l’appli mobile Timo de la Société d’Assistance et de Gestion du Stationnement (SAGS), en charge du contrôle du stationnement payant à Marseille (mais basée à Charnay-lès-Mâcon, en Saône-et-Loire). C’est à cette société qu’Isabelle Réale a adressé trois Recours Administratif Préalable Obligatoire (RAPO) en annulation des FPS indus.

CMI stationnement derrière le pare-brise

Cette SAGS gère le fichier sur lequel les titulaires de cartes de stationnement s’inscrivent pour que le contrôle automatisé par véhicule à Lecture Automatisée de Plaques d’Immatriculation (LAPI) ne les sanctionne pas. Problème, dès qu’une plaque d’immatriculation est inscrite, le véhicule correspondant est exempté pendant deux ans du paiement du stationnement, que son conducteur soit ou non titulaire d’une carte de stationnement ou au service d’un tel titulaire. C’est dans cette situation qu’Isabelle Réale refuse d’entrer, et c’est tout à son honneur.

Ticket PMR du 15 novembre 2023 à 14h43

Sauf que le système n’a pas été conçu pour encourager l’honnêteté. « Il peut y avoir par moments des remontées de tickets qui ne se font pas, justifie Laurie Labonne, responsable RAPO de la SAGS. On a des pertes de communication avec les serveurs. C’est pour cela qu’il y a des recours. Le véhicule LAPI ne fait que passer dans les rues et fait remonter le défaut de paiement, quand c’est un ticket PMR ça l’indique à des agents en scooters qui suivent la voiture et vérifient que la carte est bien apposée, et que ce n’est pas une copie. Le problème, c’est quand il n’y a pas eu de liaison vers le scooter, et donc pas de contrôle visuel ce qui entraîne un FPS. » Sauf que ces fameux scooters, Isabelle Réale ne les a jamais vu : « La technologie fonctionne bien, c’est au niveau de l’intervention humaine que le bât blesse : il n’y a pas de scooter dans le quartier. » Mais Laurie Labonne a la solution : « Ce que je conseille, c’est d’aller se faire enregistrer en abonnement gratuit. » Avec comme conséquence que tous les véhicules enregistrés stationnent gratuitement, quelle qu’en soit l’utilisation.

Vincennes piétine la loi

Hôtel de ville de Vincennes ©Selbymay

La maire de Vincennes, Charlotte Libert-Albanel, fait visiblement une fixette sur le stationnement : après s’en être pris aux fourgons blancs constituant le lieu de travail des prostituées, ce sont les usagers handicapés du stationnement qui en font les frais. La maire est convaincue que la plupart des cartes donnant droit à la gratuité est fausse et elle demande aux employés du concessionnaire Effia chargés du contrôle de sanctionner les voitures qui affichent une carte européenne ou mobilité inclusion stationnement ; le directeur régional de cette filiale en cascade de la SNCF a refusé d’expliquer pourquoi ses employés assermentés accomplissent une tâche qui n’entre pas dans leur champ de compétences, la vérification des cartes étant de la compétence exclusive des policiers et gendarmes. Seule possibilité offerte uniquement aux Franciliens pour échapper à cette frénésie, se rendre à la mairie pour s’inscrire dans un fichier informatisé. L’édile veut ainsi contraindre tous les usagers à justifier de la détention d’une telle carte pour contester le FPS abusivement infligé : au mépris de la loi leur octroyant la gratuité, visiteurs et touristes handicapés sont contraints de payer leur stationnement ou d’aller garer gratuitement ailleurs !

En pratique, la municipalité a décidé au printemps 2023 d’imposer aux titulaires de cartes de stationnement d’enregistrer sur un fichier la plaque d’immatriculation du véhicule qu’ils utilisent habituellement ; problème, seuls les habitants d’Île-de-France peuvent le faire en se rendant obligatoirement à la mairie :

« Référencement Handi-stationnement. Le référencement active automatiquement le droit à la gratuité conféré par une Carte Mobilité Inclusion mention Stationnement (CMI-S) ou une Carte Européenne de Stationnement […] Le véhicule référencé peut être celui : du titulaire de la CMI-S ou CES, domicilié en Île de France, de son accompagnant régulier domicilié en Île de France [...] Les documents à fournir sont des originaux. »

La municipalité a informé la population dans une actualité non datée, publiée en mai 2023 et qu’on ne peut retrouver qu’au moyen du moteur de recherche de son site web :

« Les agents de contrôle continueront à vérifier l’apposition des cartes sur les véhicules, mais cette inscription préalable permettra aux titulaires enregistrés d’éviter d’avoir une amende (forfait poststationnement). L’objectif ? Ne sanctionner que les utilisateurs de fausses cartes ! » 

Depuis début 2024, les voitures non enregistrées sont systématiquement sanctionnées pour contraindre les usagers à justifier de la validité de leur carte en effectuant un Recours Administratif Préalable Obligatoire : « Les personnes non inscrites sur le fichier pourront bien sûr toujours justifier de leur situation a posteriori afin de faire annuler leur contravention », ajoutait cette actualité qui précisait l’impossibilité de retirer sur horodateur ou appli mobile un ticket gratuit PMR. Mais aucune information figure sur la page Circuler et stationner du site web de Vincennes, il faut être devin pour le savoir !

Information sur le stationnement des véhicules de personnes handicapées sur le site Internet de Vincennes, sans mention d'une inscription obligatoire dans un fichier informatisé

Première conséquence, une avalanche de mécontentement… des Vincennois : « Il y a beaucoup de problèmes avec des citoyens handicapés, concède un agent d’accueil de la mairie. Ils appellent au téléphone, font de nombreuses demandes de réclamations. » Cet employé fournit quelques exemples d’abus qui auraient été constatés : « Une carte de stationnement utilisée par sept personnes, un habitant d’Aubervilliers qui laisse sa voiture dans une rue de Vincennes pendant une semaine, une Parisienne qui remet sa carte à des parents pour la conduire à un rendez-vous médical. On cherche à gérer au mieux. » Pourtant, la tonalité est différente à la Police municipale : «On n’a pas constaté une augmentation de l’usage de fausses cartes, répond une policière. Mais des titulaires de cartes de stationnement viennent se plaindre d’être sanctionnés. » Sa responsable refuse toutefois de communiquer le nombre de fausses cartes constatées ou saisies par les policiers municipaux : « Si on est sensibilisés, c’est qu’il y a des fraudes. Ce n’est pas qu’à Vincennes, c’est comme partout ailleurs. On ne fait pas la chasse aux fausses cartes, on ne va pas embarquer la voiture qui en affiche une. » Les policiers municipaux se contentent de verbaliser au titre du défaut de carte justifiant le stationnement sur place réservée et ne font pas appel à la police nationale pour constater un éventuel délit de contrefaçon. La maire de Vincennes aurait-elle miragé la fraude ?

Laurent Lejard, janvier 2024.

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