Improprement appelé « Lycée », l’Établissement Régional d’Enseignement Adapté (EREA) Toulouse-Lautrec, ouvert en 1980 à Vaucresson (Hauts-de-Seine), reçoit du primaire au BTS un tiers d’élèves valides et deux-tiers handicapés moteurs. Une inclusion « à l’envers » qui conduit 97% des élèves de terminale à obtenir le baccalauréat. Disposant entre autres d’un centre de soins intégré (lire cet article) et d’un internat médicalisé, cet EREA est l’un des rares en France à mixer ainsi les publics. Bâti initialement sur un seul niveau de plain-pied, avec six kilomètres de couloirs, il a été reconstruit au milieu des années 2000, après polémique, mobilisation et péripéties politiques, sur trois niveaux desservis par des vastes ascenseurs, réduisant ainsi les distances à parcourir par les élèves et les personnels.

C’est cet établissement que présente la première saison d’une série de 6 épisodes de 52 minutes mettant en action l’évolution d’une adolescente valide, Victoire, forcée d’y étudier pour accompagner son frère épileptique ; elle déteste immédiatement, fait et publie une vidéo titrée « mongolitos », se met à dos sa classe et au fil du temps se rachète pour devenir finalement la grande soeur donneuse de leçons d’ouverture aux autres comme à ses camarades de classe aussi handicapés qu’égocentriques. Le tout nimbé de bons sentiments, émotions lacrymogènes et invraisemblances. Exemple : un inspecteur obtient la fermeture du lycée et personne ne moufte, pas une protestation, grève, manifestation ! Au contraire : reclassement des élèves dans d’autres établissements, fête de fin d’année, larmes finales et lycée vide annonçant une suite… si l’audience suit. Quand on se rappelle que dans le « vrai » lycée Toulouse-Lautrec le projet de suppression d’un poste d’infirmière a entraîné pendant l’hiver 2022 une vague d’articles de presse et de protestations, élèves, professeurs et parents allant bloquer une route, on est loin de ces moutons qui se laissent gentiment mener… De quoi se demander ce que TF1 veut vraiment montrer à son public familial.

« Une série de lycéens »

Scénariste de la série et ancienne élève de l’EREA Toulouse-Lautrec d’avant la rénovation, Fanny Riedberger s’explique.

Question : La série que vous avez co-écrite s’inspire directement des années que vous avez passées dans l’établissement ?

Fanny Riedberger : J’y ai été élève pendant 3 ans et passé le brevet des collèges, j’en suis partie en 1ère. Ce sont mes souvenirs que je raconte. Je ne connaissais pas ce monde, j’étais effrayée, rapidement je n’ai plus vu le handicap. Ça a forgé mon caractère, j’ai appris beaucoup avec mes camarades, ils ne s’apitoyaient pas sur leur sort. J’ai des souvenirs très émus de cette époque.

Le lycée Toulouse-Lautrec

Question : Quelles différences avez-vous constatées entre l’ancien établissement dans lequel vous étiez élève, et l’actuel ?

Fanny Riedberger : J’y ai découvert des nouvelles pathologiques, la dyspraxie par exemple, parce que ce handicap n’était pas reconnu. Retourner dans ce lycée, c’est un peu la madeleine de Proust ; le parcours extérieur est identique, le lycée a la même ambiance.

Question : Ce qui surprend dans votre scénario c’est, après une inspection, la décision de fermer l’établissement sans que les personnels, les élèves et leurs familles protestent…

Fanny Riedberger : La fermeture intervient en fin d’année [elle est annoncée dès le 4e épisode NDLR], la bagarre arrivera après. Ce n’est en aucun cas une série politique. Ce n’est pas une série sur le handicap, c’est une série de lycéens qui parle d’un lycée, du parcours d’une jeune valide qui va dépasser ses préjugés. L’envie de créer cette série était de changer le regard. Habituellement dans les fictions, on voit la jeune handicapée au milieu des autres, là on montre la jeune valide parmi d’autres lycéens qui sont handicapés mais ont finalement les mêmes envies et aspirations.

La cour du lycée Toulouse-Lautrec

Question : Comment s’est déroulé le tournage sur les lieux-mêmes de Toulouse-Lautrec ?

Fanny Riedberger : On ne savait pas comment ça allait se passer, on s’est adaptés au fur et à mesure. Les journées étaient extrêmement fatigantes, éprouvantes, mais on n’a eu aucun souci. On a tourné dans le lycée, en plein bac de français, avec l’envie de faire participer un maximum d’élèves pendant les intercours. Une coach s’est occupée des adolescents handicapés ou valides. Pour les prises, on se méfiait de ne pas trop en faire, pour éviter l’épuisement dû à la concentration nécessaire. Ness Merad et Hippolyte Zaremba [interprétant Jean-Philippe, infirme moteur cérébral privé de la parole NDLR] ont logé sur place pour leur éviter les déplacements depuis leur domicile éloigné. Les temps de repas étaient plus longs, il y avait des temps de repos, tout cela a été bénéfique, une énergie pour tous.

« C’est une révélation »

Interprète du rôle essentiel de Marie-Antoinette, Ness Merad vit avec une dystrophie musculaire qui rétracte fortement ses muscles et l’oblige à vivre en fauteuil roulant. Passionnée par la Corée et sa culture, pays qu’elle n’a pas encore visité, elle est étudiante en communication et espère devenir influenceuse beauté mode K-pop… et Corée.

Question : Qu’est-ce qui vous a incité à devenir actrice dans cette série ?

Ness Merad : J’ai été élève à Toulouse-Lautrec de 2018 à 2021. J’ai postulé pour un rôle en fin de terminale, au lancement du casting. Je ne me voyais pas actrice mais j’ai vu tout le monde s’inscrire, et au final ça a marché ! C’est une révélation. J’ai bénéficié d’un travail de coaching, avant et pendant le tournage, pour prendre confiance en moi.

Ness Merad lors du tournage © FRANCOIS ROELANTS / HABANITA FEDERATION / TF1

Question : Que retrouvez-vous dans la série de votre vie et du lycée que vous avez fréquenté ?

Ness Merad : Il n’y a pas trop d’éléments de mon vécu dans les épisodes. J’ai une certaine carapace, je suis très introvertie en public. Je m’impose, bien sûr, mais pas autant que dans la série. Dans la vie, je ne montre pas mes émotions les plus intimes.

Question : Et à propos du lycée ? Par exemple, il est surprenant que sa fermeture se passe sans protestation…

Ness Merad : Je comprends le point de vue de Fanny Riedberger, elle ne voulait pas montrer certaines choses. Je ne me suis pas sentie limitée par l’écriture, grâce au travail entre les comédiens et le script ; on reprenait le texte avec notre manière de parler, sans faire d’efforts de langage. Je me sens très proche du personnage de Marie-Antoinette. Du coup, j’ai laissé paraître certaines émotions.

Laurent Lejard, janvier 2023.

Lycée Toulouse-Lautrec, de Fanny Riedberger, est diffusé sur TF1 avec sous-titrage sourds et malentendants et audiodescription les lundi 9, 16 et 23 janvier à partir de 21h10, à raison de deux épisodes chaque soir.

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