Petit rappel. Lève-toi et marche vise à permettre à certaines personnes paraplégiques de marcher par une stimulation électrique des muscles et des nerfs au moyen d’électrodes implantées; ces dernières sont alimentées par un boîtier lui aussi implanté chirurgicalement. Le boîtier est relié par ondes radio à un ordinateur, placé sur un déambulateur, qui gère les programmes de marche humaine. Ce dispositif, que nous avions présenté en détail en octobre 2000 (lire l’article), permet une station debout prolongée et une déambulation sur terrain plat et lisse.

Aujourd’hui, et bien que les américains de l’Université du Kentucky s’y intéressent (lire la revue de presse internationale en date du 14 octobre 2001), la Marche Assistée par Ordinateur (« M.A.O. »?) demeure encore une opération expérimentale pour laquelle son promoteur, le professeur Pierre Rabischong, est à la recherche des financements lui permettant de poursuivre et développer le programme. Après avoir épuisé les financements de l’Union Européenne (1,5 millions d’euros sur quatre ans), le programme a trouvé peu d’écho parmi les pouvoirs publics et les entreprises: seule Électricité De France, par l’intermédiaire de l’une de ses fondations mécénales, apporte environ 107.000 euros durant trois années à une initiative pourtant très médiatisée. L’association Grapa (Groupe de recherche pour l’aide aux personnes paralysées), spécialement créée à cet effet, a sollicité de nombreuses personnalités du (petit) milieu du handicap moteur dont peu ont répondu favorablement; cette structure a pour but de recueillir des dons et du sponsoring provenant du secteur public ou d’entreprises privées.

Derrière le cobaye, un homme. Marc Merger, on l’a vu à plusieurs reprises marcher devant les caméras de télévision: une équipe du magazine de reportage de France 2 Envoyé Spécial a notamment suivi toutes les péripéties du programme. Marc Merger a raconté dans une autobiographie (« Lève- toi et marche », parue aux éditions Robert Laffont en mai 2001) le cheminement qui l’a amené à accepter de prendre le risque d’être le premier à tenter l’expérience. Il lui a fallu du cran et une volonté d’acier pour suivre une préparation physique contraignante, affronter l’intervention chirurgicale lourde destinée à inclure dans le corps électrodes, boîtier et câbles de liaison, subir une rééducation intensive destinée à retrouver la position verticale alors que son corps s’était habitué à la position assise. Marc se définit comme « un modeste prototype », il ne se perçoit pas tel un cobaye mais plutôt comme un pionnier. Un autre paraplégique, Ludovico, a été implanté en Italie, trois mois après Marc Merger, sans susciter le même engouement médiatique.

Marc ne marche que chez lui, jamais dehors, même pas pour aller de son appartement au parking de sa voiture : « je marche comme un jeune petit vieux » précise-t- il. « En terme de sensations, je ne ressens pas de différence aujourd’hui même si la récupération après les opérations a duré trois à quatre mois ». Mais déambuler chez soi n’est pas tout : « je ne suis absolument pas guéri, je suis toujours paraplégique, toujours handicapé. Je souffre des mêmes troubles, de la même pathologie avant qu’après ». Alors, quel est le gain ? « Pouvoir me mettre debout au quotidien, déambuler chez moi. Et joindre l’utile à l’agréable parce qu’on sait que l’homme est avant tout fait pour être debout. Ça change bien des choses pour moi, physiquement et psychologiquement, même si ce n’est que partiel. Je suis réparé avec les moyens du bord d’aujourd’hui. A mon avis, le meilleur est à venir, je suis une version déjà obsolète du projet et j’aurai participé à ce retour intelligent d’expérience ».

Un avenir incertain. La concurrence est exacerbé dans le domaine de la « MAO »: des programmes similaires sont en cours aux USA, au Japon et en Australie. Pierre Rabischong a tenté de réunir les efforts des chercheurs internationaux, notamment lors d’une réunion de travail en 1985, mais « l’impact commercial de ces travaux suscite une concurrence » assure- t- il. Il met actuellement en place un programme d’une douzaine de personnes implantées, en Europe notamment, d’ici à la fin de l’année afin de pouvoir obtenir une homologation du matériel et du protocole : « c’est la condition pour pouvoir développer ce programme et définir un coût unitaire, que j’estime aux environs de 30.000 euros, soit le prix d’une voiture confortable ». Le « produit fini » devrait être conçu d’ici à la fin 2002 et le relais pris par la société, en cours de création, Neurelec qui commercialiserait le système. La Sécurité Sociale devrait prendre en charge les opérations chirurgicales et la partie médicale (rééducation).

Mais qui paiera la technologie ? « Le problème, ici, sera le même que pour les opérations relatives à la maladie de Parkinson ou à l’implantation cochléaire » précise Pierre Rabischong. « C’est pour cela que Marc Merger et moi souhaitons créer un fonds d’aide sociale européen qui financerait la partie technologique, avec l’idée de permettre à toutes les personnes qui le souhaitent d’avoir accès à ce type de médecine ». Reste à savoir si les hôpitaux accepteront d’utiliser une partie de leur budget pour financer des interventions chirurgicales et une médicalisation coûteuse dans une période de restriction des dépenses de santé.

Actuellement, l’équipe travaille à la création du nouvel implant. Des électrodes intelligentes, multifonctions, se passeront de liaison par câbles ce qui réduira le caractère invasif de la chirurgie : les ingénieurs d’EDF devraient contribuer à créer ce matériel dans les trois à quatre ans qui viennent. La stimulation chez les prochains bénéficiaires de la « MAO » se fera uniquement sur les nerfs, celles des muscles s’étant avérée moins efficace. La programmation a fait des progrès, passant du MS-DOS à Windows, bénéficiant de la miniaturisation des équipements informatiques de type Palm Pilot. Quand au déambulateur, il demeurera un outil indispensable pour assurer le maintien debout et la marche.

Au terme de deux années d’expérience, il se confirme que Lève- toi et marche ne redonnera pas aux paraplégiques une marche utilisable pour l’ensemble de leurs activités quotidiennes. Mais c’est actuellement la seule technique qui permette à quelques- uns d’entre eux de pouvoir tenir debout sur leurs jambes, et à leurs yeux, ça veut dire beaucoup…

Laurent Lejard, mars 2002



Le mensuel La Recherche passait en revue, dans un numéro spécial « les nouveaux robots » paru en février 2002, les différentes expérimentations de robotique appliquée à l’homme et à sa santé, et notamment le programme Lève-toi et marche.

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