L’Inspection Générale des Affaires Sociales a remis fin septembre aux ministres de la Solidarité et des Personnes handicapées le rapport d’enquête administrative qu’elles lui avaient commandé sur l’incendie, le 9 août dernier, des gîtes La Petite Venise et La Petite Alsace, à Wintzenheim (Haut-Rhin). Le bilan était particulièrement lourd : dix des seize occupants handicapés mentaux dormant au premier étage sont morts brûlés vifs, de même que l’un des deux animateurs encadrant ce groupe.

La mission d’inspection s’est livrée à un exercice d’équilibriste découlant de la lettre de mission signée par les ministres commanditaires : « Le rapport se concentre sur l’examen de l’organisation et du fonctionnement des deux opérateurs concernés par l’incendie du 9 août dernier : l’association Idoine, dont le siège est situé à Besançon, et la société par actions simplifiée (SAS) Oxygène, dont le siège social est à Lyon. La mission devait examiner les procédures et contrôles administratifs dont ces deux opérateurs de Vacances Adaptées Organisées (VAO) ont été l’objet. » Elle n’a donc pas étudié la situation vis-à-vis de la réglementation du bâtiment en bois et briques hébergeant les deux gîtes, autant en matière déclarative que du respect des normes de sécurité qui « relèvent pour l’essentiel d’une enquête judiciaire instruite par le tribunal judiciaire de Paris. Par ailleurs, les investigations n’ont pas porté sur l’action des préfectures et des services en charge de la protection civile, qui ne relevaient pas du champ de la lettre de mission. »

C’est là que le bât blesse, parce que l’IGAS affirme : « La chaîne des actions des opérateurs et des administrations sociales chargées de leur suivi révèle une succession de défaillances, qui mises bout-à-bout, soulèvent une question systémique quant à une prise en compte effective de la sécurité des vacanciers en situation de handicap. » Pourtant, l’administration territoriale de l’État est dédouanée alors qu’elle se trouve en première ligne. En effet, la préfecture d’Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), région du siège social d’Oxygène, n’avait pas délivré à cette société l’agrément indispensable à l’organisation, durant le printemps 2023, de séjours de vacances adaptées. « La SAS Oxygène avait poursuivi son activité sans agrément entre le 24 avril et le 8 juillet 2023, relève la mission IGAS, organisant deux séjours qui ont fait l’objet de contrôles dans les Ardennes et le Pas-de-Calais, et donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal d’infraction pour exercice illégal d’une activité industrielle et commerciale par la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) des Ardennes, ainsi qu’à la saisine du procureur de la République au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale pour le même motif. »

Comment comprendre, dès lors, que la préfecture AURA ait pu délivrer un agrément temporaire à l’organisateur Oxygène pour « couvrir » les séjours estivaux comme le constate l’IGAS ? « Un agrément provisoire [a] été attribué à la SAS Oxygène par arrêté préfectoral du 7 juillet 2023, pour la période allant du 8 juillet au 31 août 2023. Cet agrément a été délivré afin de permettre la tenue effective des séjours malgré l’incomplétude du dossier, et sous réserve d’apporter les pièces manquantes. » Pourtant, la mission IGAS écarte la responsabilité du représentant de l’État par une étonnante pirouette : « Si l’attribution d’un agrément provisoire n’est pas prévue par les textes, elle n’a eu aucun impact sur la question de la mise en sécurité des locaux, qui n’est pas prise en compte dans la procédure d’agrément. » Effectivement, la mission a relevé que la vérification de la sécurité des locaux d’hébergement n’était pas clairement imposée aux organisateurs de vacances adaptées.

Mais la question est ailleurs : en délivrant in extremis un agrément provisoire non-prévu par la réglementation, la préfecture AURA a régularisé la vente de séjours à plusieurs dizaines de vacanciers handicapés. Des séjours au prix élevé, près de 3.000€ par participant, constituant un enjeu financier d’importance pour la société Oxygène qui les a vendus alors qu’elle ne disposait pas de l’agrément administratif indispensable à leur organisation. Qu’auraient fait ses dirigeants si la préfecture n’avait pas délivré d’agrément ? Seraient-ils passés outre au risque de nouveaux contrôles et poursuites judiciaires ? Et comment est-il possible que la préfecture AURA ait ignoré les contrôles effectués dans les Ardennes et le Pas-de-Calais constatant un « exercice illégal d’une activité industrielle et commerciale » signalé au procureur de la République, maître des poursuites judiciaires ?

L’enquête sur l’incendie de Wintzenheim permettra peut-être de démêler les dessous de l’agrément provisoire délivré par la préfecture AURA à la société Oxygène. Que cette dernière ait eu ou pas la volonté de respecter la réglementation ne change rien au problème : comment l’administration de l’État a-t-elle pu commettre de tels errements et être ensuite couverte par une inspection générale du même État ?

Laurent Lejard, octobre 2023.

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