N’écoutant qu’eux-mêmes, le Président de la République et son Gouvernement ont écrit un projet de loi créant un nouvel organisme remplaçant Pôle Emploi et absorbant tous les dispositifs adaptés aux jeunes, aux « personnes éloignées de l’emploi » et aux personnes handicapées en recherche d’emploi. Ces dernières ne disposeront plus d’emblée d’un cadre spécifique s’ajoutant au service public de l’emploi, mais seulement du droit commun qu’elles vont toutes intégrer sans exception. Ce cadre spécifique confié aux Cap Emploi permet de traiter la personne dans sa globalité avec les séquelles du handicap, la situation sociale, les difficultés de logement ou financières, l’accompagnement humain utile. Ceci devrait être préservé, mais après que le conseiller France Travail ait au préalable décidé que tel ou tel travailleur handicapé relève de ces soutiens et accompagnements spécifiques. Les personnes concernées devront donc relater deux fois leur parcours de vie, probablement au nom de la simplification administrative…
Le bien-fondé de ce double niveau suppose que les 50.000 conseillers France Travail soient formés à la multitude des handicaps, sachent définir l’orientation adéquate ou proposer des offres d’emploi tenant compte des aptitudes et contre-indications. Au vu de l’expérience du début des années 1990, il est permis d’en douter, même si des expérimentations récentes ont été jugées positives. Toutefois, en passant de l’expérimentation avec des moyens au traitement à grande échelle, l’écart est fréquemment gigantesque et ce sont toujours les usagers qui trinquent.
France Travail aura en effet la main sur tout : c’est le conseiller recevant un demandeur d’emploi handicapé qui proposera une orientation vers un Établissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT), que chaque Maison Départementale des Personnes Handicapées sera priée de valider. France Travail sera automatiquement informé de l’attribution par les MDPH des Reconnaissances de la Qualité de Travailleur Handicapé. Or, quel est l’intérêt pour France Travail de recevoir cette information pour les travailleurs en emploi ? Plus grave, cette publicité piétine un principe de la loi du 10 juillet 1987 sur l’obligation d’emploi : elle laissait aux travailleurs reconnus handicapés la liberté de demander ou pas cette RQTH, puis de l’invoquer ou pas, nombre d’entre eux ne voulant pas être étiquetés ainsi. Ce sera fini, leur liberté de choix sera supprimée.
Il ira en de même pour les jeunes de 16 ans et plus : s’ils bénéficient d’un projet personnalisé de scolarisation, de l’Allocation d’Éducation de l’Enfant Handicapé ou de la Prestation de Compensation du Handicap, ils seront estampillés « RQTH » sans avoir à le demander. Cette automaticité piétine également la loi pondérée de 1987 qui appréciait la RQTH par rapport à l’emploi envisagé ou occupé, approche rapidement laissée de côté pour atteindre le quota de 6% de travailleurs handicapés dans les entreprises privées et fonctions publiques.
Parce que si l’on devait attribuer la RQTH aux seuls travailleurs dont le handicap est peu ou mal compensé dans l’emploi, le quota baisserait nettement : en quoi une paraplégie handicape-t-elle un comptable d’entreprise, la surdité un masseur kinésithérapeute, la cécité un conseiller en centre d’appel ? Dès lors que l’accessibilité des locaux et l’adaptation du poste de travail sont assurés, un travailleur handicapé est un travailleur comme les autres, tel était l’esprit de la loi qui a instauré l’actuelle obligation d’emploi. Esprit que les gouvernements successifs ont ignoré, piétiné, créant des travailleurs handicapés à vie qui ne sortent du quota qu’avec leur licenciement, départ volontaire, décès ou retraite.
Finalement, le projet de loi gouvernemental pour le plein emploi met toutes les personnes en âge de travailler dans le même sac : occuper un emploi le plus vite possible, sous la pression des conseillers du futur France Travail et avec la contrainte de sanctions telle la suspension d’une allocation chômage ou du RSA. Il n’est pas encore prévu d’étendre cette suspension à l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), mais sait-on jamais…
Laurent Lejard, juin 2023.