Ils avaient appris à se détester après s’être appréciés : Sophie Cluzel et Josef Schovanec se sont pourtant retrouvés sur France Culture dans l’émission Les chemins de la philosophie consacrée cette semaine au handicap. Mardi pour la ministre, jeudi pour le philosophe autiste. La secrétaire d’État aux personnes handicapées n’a bien évidement pas manqué de livrer son discours sur la société inclusive et dire tout le bien qu’elle pensait de son action si remarquable, si exceptionnelle…

Rien de nouveau dans son discours mais un moment savoureux quand l’animatrice Adèle Van Reeth a évoqué un propos tenu par Josef Schovanec alors en conflit ouvert avec Sophie Cluzel : « Dans un article publié le 17 avril 2020 [sur Yanous a-t-elle omis de préciser] pendant la pandémie, il dit que les associations sont menacées, que lorsque Sophie Cluzel a été nommée tout le monde était heureux et finalement nul se doutait que le fil conducteur de sa politique allait être celui de l’étranglement des associations ». Là, la ministre est passée en mode dénégation : « Je ne vois pas de quoi il parle, sincèrement, parce qu’au contraire, l’étranglement des associations, j’ai transformé le Conseil national consultatif pour donner la parole aux personnes et aux associations. Nous avons fait une grande stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement. Je l’ai nommé personnalité qualifiée, le cher Josef Schovanec, au sein du Conseil national supérieur, justement, de l’autonomie, le CNSA. » Réparons l’erreur de Madame Cluzel : il s’agit en fait de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) où Josef Schovanec a été nommé le 17 octobre 2017 à une époque où la ministre cherchait des relais complaisants. Et rassurons-la : elle ne croisera plus cet allié devenu ennemi, d’abord parce qu’il s’est exilé en Belgique où il enseigne désormais, et qu’ensuite il n’est pas renouvelé dans le nouvel arrêté du 1er février dernier qui reconduit toutefois le très cluzélien Philippe Denormandie et place le politicien retraité Jean-René Lecerf illico élu le 17 février à la présidence de la Caisse. Espérons pour lui et la CNSA que la vilaine accusation d’avoir embauché sa fille comme collaboratrice lorsqu’il était président du Conseil Départemental du Nord, de 2015 à 2021 (ce qui constitue un délit) ne lui vaudra pas d’user ses pantalons sur les bancs de justice…

Revenons à Josef Schovanec, venu deux jours après son ancienne amie évoquer sur la même radio l’« Autistan, le pays des gens bizarres », et invité à répliquer au propos de Sophie Cluzel. « Je pense qu’au-delà des petites histoires et querelles qui n’ont pas d’intérêt pour le public, le principal obstacle à ce jour pour l’inclusion des personnes handicapées en France, ce sont les bureaucraties chargées de l’inclusion. J’ai essayé de dire cette phrase un peu potache à un certain nombre de responsables associatifs et en privé, tous m’ont dit : Ah, c’est ça ! » Selon lui, le niveau de bureaucratisation ne permet plus de s’en sortir, à l’école comme dans le secteur médico-social. Et il enfonce le clou : « Je pense que depuis l’élection du Président actuel, il y a eu cette volonté de reprendre en main le secteur du handicap par une petite équipe de techniciens de choc. La difficulté, c’est qu’il fallait passer par dessus les cadavres des associations existantes. Cela a donné lieu à un grand nombre de dérives, sur le plan démocratique, c’est la conséquence première, mais aussi en termes de contrat on va dire plus ou moins officiel entre les uns et les autres, entre un petit milieu. » Dans le rôle de la contrainte, il nomme les Agences Régionales de Santé, « espèces de préfectures qui chapeautent, pour ne pas dire écrasent, le monde du handicap dans chaque région. » Lutter contre la bureaucratie serait-il devenu le nouveau front de l’inclusion ?

Laurent Lejard, février 2022.

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