136 milliards d’euros, tel est le montant des charges que le Gouvernement veut ajouter au « trou de la Sécu ». Parmi ces milliards figurent les exemptions de cotisations sociales consenties aux employeurs pour prévenir des liquidations d’entreprises et contribuer à réduire le coût du travail, ce leitmotiv du patronat français. Jusqu’à l’année dernière de telles exemptions étaient compensées par le budget de l’État, mais le très libéral Emmanuel Macron a supprimé cette règle budgétaire : désormais, c’est « je décide, vous payez ». Et les payeurs sont les travailleurs actifs, chômeurs ou retraités qui financent cette excellente affaire financière qu’est la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale. Elle emprunte sur les marchés financiers et paie depuis une trentaine d’années des intérêts pharamineux aux banques qui s’enrichissent du « trou de la Sécu » qu’il faut combler. Un trou qui est devenu le tonneau des Danaïdes, plus on le remplit des cotisations prélevées sur les salaires, allocations et pensions, plus il se vide, ce n’est pas demain qu’il sera rempli. En 2033 affirme ce gouvernement, le temps que d’autres utilisent la même combine pour faire coup quadruple : baisser le coût salarial, augmenter les bénéfices des grosses entreprises, favoriser l’évaporation fiscale, gaver davantage encore les banques et les financiers.

Pourtant, Emmanuel Macron assurait qu’il n’y avait pas « d’argent magique » en répondant le 6 avril à une aide-soignante qui manifestait : « Un pays qui n’a jamais baissé son déficit public et qui va vers les 100% de dette rapportée à son produit intérieur brut… c’est vos enfants qui le payent quand c’est pas vous. » C’est parfaitement vrai, cette aide-soignante comme tous les actifs et retraités paient les déficits publics découlant de politiques qu’ils subissent en payant impôts, taxes et cotisations sociales. C’est le travail qui est mis à contribution, pas le capital. On écrivait déjà en avril 2009 au sujet du trou de la Sécu qu’il constituait une bonne affaire : « Les nouvelles dettes sont régulièrement transférées à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) qui les transforme en produit financier acheté par des banques centrales, des fonds de pension, des compagnies d’assurance. En 2007, ces investisseurs ont touché 3,1 milliards d’euros d’intérêt, soit davantage que de capital remboursé. » La députée Caroline Fiat rappelait en octobre 2018 que cette caisse « avait remboursé depuis sa création 140 milliards d’euros de dettes sociales grâce aux impôts essentiellement et elle avait, dans le même temps, versé 52 milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers ». Ce qui veut dire que les travailleurs ont payé près de 200 milliards au total. Créée en 1996, la Cades a dépassé la durée d’une génération, et les enfants des cotisants de l’époque sont devenus à leur tour cotisants. Et il y a de grands risques que les enfants de ces enfants paient à leur tour, dès qu’ils seront sur le marché du travail au milieu des années 2030. Taxer, c’est ça « l’argent magique »…

Laurent Lejard, juin 2020.

Partagez !