500.000, 520.000 Travailleurs Handicapés chercheurs d’emploi ? 19%, 20%, leur taux de chômage ? Voilà les ordres de grandeur officiels mais fondamentalement faux. Car derrière ces TH qui ont un suivi administratif, il y a la masse des invisibles renonçant au marché du travail : alors que 71% des valides sont actifs, 59% des TH sont inactifs. 23 ans que la loi de 1975 a défini une politique systémique d’emploi des TH, 21 ans que la loi de 1987 l’a renforcée, 14 ans que la loi de 2005 l’a amplifiée. Pourtant le résultat est là. Pourquoi ? N’est-ce pas tout simplement que, malgré des textes forts, il n’y a pas de vraie politique de l’emploi des travailleurs handicapés ?

Qu’en est-il de sa pièce maîtresse, l’obligation d’emploi de 6% de TH dans les entreprises et les administrations ? Son objectif : faciliter l’embauche de ceux dont le handicap rend difficile l’accès à l’emploi. Or elle permet d’y compter des personnes dont le handicap n’a aucune conséquence professionnelle. Entendons la formule du premier président du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), Didier Fontana, lui-même paraplégique : « J’en ai marre qu’on compte les amputés du petit orteil gauche » ! On sait que de nombreuses entreprises vont à la « chasse au handicap invisible » et récompensent en numéraire ou en allègement d’horaires les salariés qui leur présentent une Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé alors qu’aucun de leurs collègues n’a jamais détecté un impact de ce handicap sur leur travail. En est-il de même dans la fonction publique ? Je ne sais. Mais elle compte de manière tout à fait légale des personnes non handicapées mais bénéficiant d’une priorité à un autre titre. Le remède serait simple : qu’à la visite d’embauche le médecin du travail évalue la réalité d’une moindre efficience professionnelle du TH dans le triangle emploi / qualification / équipements. Quel gouvernement peut faire entendre cela au MEDEF ?

L’emploi des TH se heurte à deux difficultés majeures. 48% ont plus de 50 ans, 81% une formation au mieux du niveau CAP. A l’heure où toutes les entreprises sont nostalgiques des systèmes de préretraite et recherchent des salariés de plus en plus qualifiés plus adaptables aux innovations technologiques et organisationnelles, ces caractéristiques de la population des TH les placent évidemment en situation d’infériorité accrue. Y a-t-il des incitations positives pour conduire les entreprises et les administrations à leur accorder une priorité d’embauche ? Non, à la seule exception des subventions spécifiques aux entreprises adaptées qui augmentent en fonction de l’âge de leurs TH, mais il s’agit là d’effectifs marginaux.

La société française n’est pas spontanément portée vers une conception inclusive de son fonctionnement. Le métro parisien en témoigne : ni accessibilité physique, ni accessibilité auditive ou visuelle n’y sont présentes. Alors que la concentration urbaine croît continûment, centres de formation spécialisés pour enfants handicapés, ESAT, foyers spécialisés restent massivement à l’écart des centres urbains, écartant leurs occupants d’une socialisation normale. Mais des progrès se font et l’Education nationale, si excluante autrefois, s’ouvre largement. Tout bien pesé, les réformes en cours promettent des améliorations sensibles pour les prochaines années.

L’axe de progrès le plus important réside dans la réforme de la formation professionnelle. Il y a un lien indiscutable entre niveaux de formation et taux de chômage; lutter contre le chômage des personnes handicapées veut dire intensifier, de préférence massivement, l’effort de formation qui leur est destiné. Ces dernières années, celui-ci a été atteint à la fois par la crise de l’AFPA (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) qui a diminué le nombre de formations adaptées, et par la dévolution des compétences de formation aux régions dont plusieurs ont réduit l’offre destinée aux TH en raison de son coût supérieur à celle des travailleurs valides. La réforme de la collecte, l’augmentation des comptes personnels de formation, la création d’un opérateur national, le retour en force des branches, tout cela va dans le bon sens pour les TH. Il n’y a pas de miracle à en attendre mais sur le moyen terme ce devrait être un progrès.

La pérennisation des financements de l’AGEFIPH et du FIPHFP avec le retour au paiement des contributions pour les entreprises sous accord agréé va elle aussi dans le bon sens puisqu’elle permettra le maintien des aides de toute nature que ces deux organismes apportent aussi bien aux employeurs qu’aux TH pour réussir leur insertion.

En revanche, il faut redouter les effets du projet pas encore finalisé de l’absorption des Cap Emploi par Pôle Emploi. Sauf cas exceptionnels tenant à la motivation spécifique de certains conseillers professionnels, Pôle Emploi n’a jamais su prendre en charge correctement les demandeurs d’emploi TH. Il ne s’agit ni de mauvaise volonté ni de choix politique mais seulement, par les agents de Pôle Emploi, de leur charge de travail. Dans les limites de leurs horaires, il leur faut choisir entre placer trois demandeurs valides et performants ou un demandeur TH âgé et peu qualifié. La logique managériale du système les amène à se concentrer sur les candidats en bon état, satisfaisant ainsi davantage de demandeurs et d’offreurs d’emplois. Les Cap Emploi sont tout entiers dédiés à cette population des TH et n’ont pas la pression du flux continu de nouveaux entrants que connaît Pôle Emploi. Ils peuvent se constituer une expérience professionnelle spécifique, capitaliser les meilleures pratiques. Vouloir les diluer dans Pôle Emploi aurait pour seul résultat d’accroître encore les durées de chômage des TH et leur éviction douce du marché du travail.

A ce stade, je dirai que les béquilles de la politique d’emploi des TH se renforcent, mais elles restent des béquilles…

Wenceslas Baudrillart, président d’Asnières Industries Adaptées, novembre 2018.

Partagez !