Ce qui vient d’arriver au groupe Monoprix pourrait être enseigné dans les écoles de management comme l’un des pires exemples de gestion de crise. L’expulsion violente le 21 septembre dernier d’une de ses succursales marseillaises d’un client aveugle parce qu’il était accompagné de son chien-guide a fait le tour du monde, parce qu’elle a été filmée. Grâce à cette vidéo, l’information a été relayée par de nombreux médias en France, dont les journaux télévisés des grandes chaines, mais également à l’étranger, jusqu’en Australie ! La réaction de cette firme n’y a rien fait : « Nous présentons nos plus plates excuses, communiquait sa porte-parole le 9 octobre. Nous condamnons les faits. Même s’il s’est excusé après l’incident, des sanctions ont été prises contre le directeur du magasin. » Ce qui n’est pas le cas. De plus, des employés ont retiré de la vente le journal La Provence qui avait mis les faits à la Une, puis la direction nationale décidait de fermer le magasin mis en cause pendant quelques jours. Faits qui ont suscité une virulente réaction de la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, le 9 octobre sur France 3 : « Ça c’est intolérable. Il faut faire de la pédagogie permanente mais il faut surtout faire du punitif. Je suis désolée, on ne peut plus tolérer cela. Des amendes, immédiatement, qui sont dressées, des procès-verbaux avec des amendes, 450 euros, c’est dans la loi. » On ne la connaissait pas si vigoureuse, elle qui prône l’incitation plutôt que l’obligation, notamment en matière d’emploi.

Sauf que pour qu’il y ait amende, il est nécessaire que des policiers ou gendarmes constatent l’infraction, ce qui ne se produit jamais parce qu’ils ne se déplacent pas pour ce genre d’infraction. Placée sous la tutelle du Premier ministre qui assurait alors l’intérim du ministre de l’Intérieur démissionnaire, Sophie Cluzel a-t-elle saisi Edouard Philippe afin qu’il ordonne aux agents des forces de l’ordre d’intervenir dès qu’un refus d’accès de chien-guide ou d’assistance leur est signalé ? Ces infractions ne sont pas prioritaires et les contrevenants s’en retrouvent de facto protégés. Sauf quand une vidéo dévoile des faits « intolérables » obligeant une ministre à rompre son discours jusqu’alors uniquement « pédagogique ». Se rappelle-t-elle, d’ailleurs, qu’elle avait annoncé la tenue courant septembre d’une réunion de travail sur ce sujet, en présence des associations et victimes concernées, réunion toujours pas programmée ?

Autre indignation très médiatisée et qui a viré au scandale politique, le 11 octobre à l’Assemblée Nationale, celle du député François Ruffin intervenant pour France Insoumise dans le débat sur une proposition de loi relative aux personnels d’accompagnement scolaire des élèves handicapés. Un texte que les députés du parti présidentiel et majoritaire La République En Marche ont refusé d’examiner en adoptant une motion de rejet préalable. Tout en rappelant les lacunes et insuffisances de ce texte défendu par le député Les Républicains Aurélien Pradié, François Ruffin a invoqué les « milliers de femmes qui accompagnent les enfants handicapés dans les écoles. Pour ce métier, elles sont sous-payées – 600 euros ou 700 euros, sous le seuil de pauvreté – avec des contrats ultra-précaires […] Aujourd’hui, notre collègue, Aurélien Pradié, qui est de droite – je m’en fiche qu’il soit de droite, du centre, du Sud, de l’Est, de l’Ouest, peu m’importe – propose d’élever un peu leur statut […] Son texte n’est pas parfait, loin de là. Il est nettement améliorable. Et nous, les Insoumis, comme les communistes, les socialistes, les UDI, les Républicains, nous avons déposé quantité d’amendements en commission. Vous, les marcheurs, n’en avez déposé aucun. Alors que vous êtes 300, vous n’avez déposé aucun amendement ! Vous n’avez même pas participé aux échanges. Vous vous êtes contentés en groupe, en troupeau, de voter contre, contre, contre, de lever la main en cadence, comme des Playmobil. »

Cette charge contre la volonté de ne pas débattre d’un sujet particulièrement important qui met en jeu l’avenir des élèves handicapés a suscité là encore une vive réaction de Sophie Cluzel, mais après cinq jours de réflexion : « Se faire de la publicité sur le dos des enfants handicapés et de leurs accompagnants, c’est scandaleux ! a-telle asséné sur RMC. Et là c’est non seulement la ministre mais aussi la mère d’une enfant handicapée qui vous parle. » Cette militante du parti présidentiel La République en Marche, dont elle est adhérente comme l’a confirmé le service de presse dudit parti, ne fait pas autre chose : l’indignation de Sophie Cluzel est partisane, elle défend son parti comme n’importe quelle autre politicienne.

Il devient lassant de l’entendre sempiternellement rappeler qu’elle sait ce qu’elle fait parce qu’elle a une fille handicapée, ce qu’elle a étalé dès sa nomination en mai 2017 dans un long article publié par Paris Match, « Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat, croisera sa fille à l’Elysée ». A cet égard, la ministre-maman va punir sa fille si les péripéties de la vie lui font rencontrer l’amour : son Allocation Adulte Handicapé sera amputée des revenus de son compagnon, ce « prix de l’amour » que défend Sophie Cluzel au nom des « solidarités familiales ». Les sénateurs LaREM alliés à ceux de la droite Les Républicains ont rejeté le 17 octobre en Commission des affaires sociales une proposition de loi du groupe sénatorial communiste visant à ne plus prendre en compte les revenus du conjoint ou assimilé pour le calcul de l’AAH, un pas important vers l’inclusion et l’autonomie de personnes handicapées dont le revenu d’existence ne serait plus réduit ou supprimé. Ce texte sera examiné au Sénat le 24 octobre et il sera intéressant d’entendre les arguments de la maman-ministre pour que sa fille demeure dépendante à vie de celui ou celle qu’elle aimera.

Laurent Lejard, octobre 2018.

Post Scriptum : nous venions de publier ces lignes quand le magazine féminin Elle diffusait dans son édition papier le récit par la maman-ministre de l’accouchement de son 4e enfant et l’annonce de sa trisomie par un pédiatre. Le tout complété d’un credo sur la politique forcément novatrice que conduit la ministre-maman.

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