L'appellera-t-on
"le coup de Berta" ? C'est en effet un véritable coup
tordu qui a été joué le 17 mai à l'Assemblée Nationale pour transformer
en avancée des droits une volonté gouvernementale constante de
faire payer les conséquences de leur handicap par les personnes
handicapées. Le moyen de torsion de la réalité consiste en une
proposition de loi déposée et soutenue par le député Modem du
Gard, Philippe Berta : elle vise d'une part à lever l'obligation
pour une personne handicapée avant l'âge de 60 ans de demander
la Prestation de Compensation du Handicap jusqu'à ses 75
ans sous peine de ne plus pouvoir l'obtenir, et d'autre part à
expérimenter un système de prise en charge du montant restant
à la charge d'une personne handicapée qui acquiert une aide technique
couteuse, fait procéder à un aménagement du logement ou d'un véhicule.
Sur le premier point, rien à dire, la disparition de cette barrière
d'âge imposée par les technocrates du ministère des Finances est
demandée depuis la création de la PCH. Celle de 60 ans demeurera
toutefois : un retraité âgé de 62 ans qui devient handicapé par
maladie ou accident n'accèdera pas à la PCH mais seulement à l'Allocation
Personnalisée d'Autonomie, plus partielle et financièrement très
insuffisante.
Mais sur le second point, rien ne va. Tout d'abord, il faut savoir
que le député Berta n'avait envisagé sa proposition de loi que
sur la seule barrière d'âge à 75 ans. C'est en engageant la discussion
avec les services du secrétariat d'Etat aux personnes handicapées
qu'il lui a été suggéré d'ajouter le remplacement des Fonds Départementaux
de Compensation (FDC) par un dispositif expérimental. Il lui a
été caché le contentieux soulevé par l'ANPIHM conduisant à l'arrêt
du Conseil d'Etat du 24 février 2016 exigeant sous astreinte la
publication du décret prévu par la loi. Ces FDC ont été créés
par la loi du 11 février 2005 pour se substituer aux Dispositifs
Vie Autonome déployés dans une partie des départements. Ces derniers
rassemblaient les multiples financeurs publics (Etat, départements,
Sécurité Sociale) et privés (dont les mutuelles) afin de compléter
le montant remboursable en cas d'achat d'une aide technique. C'est
l'expérience de ces Dispositifs Vie Autonome qui a servi à élaborer
en 2005 les FDC, sauf que le décret qui doit les organiser n'est
jamais paru. Résultat : une mise en place disparate d'un département
à l'autre et un Etat qui joue les Ponce-Pilate depuis plus de
dix ans après avoir, pendant les deux premières années, financé
ces Fonds.
Condamnés par le Conseil d'Etat, le Premier ministre de l'époque,
Manuel Valls, et ses successeurs Bernard Cazeneuve et actuellement
Edouard Philippe se sont consciencieusement assis dessus. Malgré
de multiples demandes adressées par nos soins à leur Cabinet,
ainsi qu'à celui des secrétaires d'Etat aux personnes handicapées
Ségolène Neuville puis Sophie Cluzel, aucune réponse, et pour
cause...
Voilà le tour de passe-passe : remplacer le décret sur les FDC
par une réforme aux calendes macronniennes consistant à expérimenter...
des Fonds Départementaux de Compensation. En s'affranchissant
de toute discussion préalable et d'un examen du texte par le Conseil
National Consultatif des Personnes Handicapées puisque seuls les
textes gouvernementaux lui sont transmis, pas les propositions
de lois déposées par des parlementaires. Cet artifice a maintes
fois été employé par le Gouvernement pour court-circuiter la concertation.
Résultat immédiat : de beaux titres dans la presse, "Les députés
améliorent la prestation de compensation du handicap", alors qu'ils
la détruisent en partie. L'opération de propagande voire d'enfumage
est presque parfaite. Presque, parce que le député Berta a été
instrumentalisé et qu'il le sait, observant depuis un silence
prudent. Lors de l'examen de la proposition de loi, les députés
et la secrétaire d'Etat n'ont à aucun moment évoqué l'arrêt du
Conseil d'Etat et la condamnation du Premier ministre.
L'expérimentation va permettre à l'Etat de faire des économies,
il abondera le Fonds de Compensation de trois départements seulement.
De plus, cette expérimentation arrivera à terme fin 2021 ou début
2022, trop tard pour l'étendre à l'ensemble du territoire mais
juste à temps pour l'inclure dans le bilan du premier quinquennat
du Président de la République, Emmanuel Macron, qui ne manquera
pas d'ajouter son extension nationale dans ses promesses de campagne
en vue d'un second mandat. Le tour sera joué, et le député Berta
le dindon de la farce, tout comme les personnes handicapées...
Laurent Lejard, mai 2018.
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